Le tollé qu'ont suscité les déclarations procanadiennes du président Sarkozy a occulté les problèmes réels de l'Organisation de la francophonie, cette grosse machine qui a trahi sa vocation - la promotion de la langue française - et qui apparaît de plus en plus comme une gigantesque blague. Une blague qui constitue, en vérité, une insulte à notre langue.
Si l'OIF ne se réforme pas radicalement, il vaudrait mieux mettre la clé dans la porte et consacrer les milliards qu'on y gaspille dans ses officines diplomatiques à des objectifs concrets, comme le financement d'écoles françaises dans les régions sensibles ou l'organisation de manifestations culturelles à l'échelle internationale.
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Le coup de grâce, cette année, est venu du Rwanda. Un pays francophone depuis près de 100 ans, qui vient de proclamer l'anglais comme unique langue d'enseignement du primaire à l'université. Le Rwanda est membre en règle de la francophonie. Qu'a-t-on dit à ce sujet au dernier Sommet de Québec? Rien. Niet. Nothing.
Cela n'a rien de surprenant, puisque la moitié des États-membres de la soi-disant francophonie ne sont pas francophones, et que près de la moitié transige en anglais avec l'ONU!
Certains expliqueront le brusque revirement linguistique du Rwanda par le lourd contentieux qui l'oppose à la France depuis les massacres de 1994. Mais en fait, l'anglicisation du Rwanda a commencé dès que le Front patriotique de Kagame a pris le pouvoir, avec le soutien d'exilés tutsis qui s'étaient anglicisés dans les pays limitrophes. C'est très consciemment que les élites rwandaises francophones ont ensuite opté pour l'anglais, dont elles croient qu'il offre plus de chances de développement à leur petit pays surpeuplé.
Un pareil changement de langue est un phénomène rare. Mais ce n'est pas du tout comme si le Québec décidait de devenir anglais. Les ancêtres des Canadiens français étaient Français, les Canadiens français ont toujours parlé français. La langue nationale et populaire du Rwanda, par contre, est le kinyarwanda; le français y a été importé, il y a 90 ans, par le colonisateur belge.
Il reste que cette dérive vers l'anglais est de mauvais augure. L'urbaniste Luc-Normand Tellier, un familier du Rwanda, prédit que ce mouvement ne s'arrêtera pas et qu'«après le Rwanda, ce sera sans doute le Burundi qui passera à l'anglais, puis rien de moins que le Congo, le plus grand pays de l'Afrique subsaharienne, dont le président Kabila est d'ailleurs plus à l'aise en anglais qu'en français». À ce rythme, il ne restera plus, comme grands pays africains francophones, que le Sénégal et la Côte d'Ivoire...
L'Afrique noire est-elle perdue pour la francophonie? Ce n'est pas impossible, mais ce n'est pas une raison pour renoncer à étendre le rayonnement de la langue française. Or, l'existence même de l'OIF y fait obstacle parce qu'elle empêche le développement d'initiatives qui seraient vraiment porteuses de progrès.
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À l'OIF, on ergote sur tout et rien, on parle (derrière des portes closes) d'environnement, de réchauffement climatique, de nutrition, de la paix dans le monde et de la crise financière... comme s'il n'existait pas déjà une pléiade d'organismes voués à ces causes-là! Le tout se conclut par des déclarations navrantes de banalité. Où est, dans ce fatras de voeux pieux hors sujet, l'intérêt pour la langue française et les diverses cultures francophones?
Depuis sa fondation, l'OIF est essentiellement une planque offrant de confortables sinécures aux petits copains des gouvernements membres (dont un grand nombre sont des dictatures corrompues jusqu'à l'os), une planque doublée d'une grosse caisse qui distribue l'argent du Nord vers le Sud, en favorisant au passage l'emprise économique de la France sur ses ex-colonies. C'est d'ailleurs pour cette raison - parce qu'elle est une distributrice de fric - que tant de pays non francophones ont voulu y adhérer. Cela ne leur coûte rien, ils ne sont même pas tenus, contrairement par exemple aux membres de l'Union européenne ou du Commonwealth, de respecter un certain nombre d'engagements.
L'OIF est une mauvaise vitrine pour la francophonie, elle en fait un objet de railleries.
Le Canada, qui est après la France le principal bailleur de fonds de la francophonie, devrait profiter de l'indifférence manifeste du président Sarkozy envers l'OIF pour proposer le sabordement de cet organisme qui coûte cher et ne rapporte rien, et qui a trahi sa raison d'être.
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