Je viens de prendre connaissance de vos déclarations, à la faveur desquelles vous affirmez que les artistes «sont gâtés des deux côtés» (Le Soleil du 17 septembre, Les artistes poussés vers Québec) et que le gouvernement québécois n'avait qu'à compenser les coupes (irresponsables, illogiques et irrationnelles, ça c'est moi qui l'ajoute) faites par le gouvernement conservateur.
Je ne pensais pas me mêler trop de cette campagne électorale, mais vous me forcez à sauter à pieds joints pour m'assurer que vous ne soyez jamais élue. Ce serait trop grave de donner la responsabilité à des esprits aussi obtus comme le vôtre.
Réglons d'abord l'idée que les artistes «sont gâtés». Je vous invite à venir visiter les bureaux de notre compagnie de création théâtrale, ils ne sont pas très loin des vôtres, au 336, rue du Roi (bureau 120), à Québec. Vous y découvrirez que dans ce que j'appelle notre garde-robe, tellement l'espace est exigu, il y a trois personnes qui travaillent (à mi-temps ou bénévolement, ça dépend, on n'a pas les moyens de faire mieux).
Ces personnes voient à diffuser nos spectacles au Québec et en France, à animer des ateliers de sensibilisation en classe, à préparer les prochaines productions. Non, ils ne sont pas gâtés, ça non!
Attaquons ensuite votre «des deux côtés». L'idée selon laquelle nous profiterions de double montant est strictement fausse. Nous ne faisons pas de double financement; le contrôle de nos revenus et de nos dépenses par les différentes instances subventionnaires est beaucoup trop serré pour faire une telle chose. Nous faisons des montages financiers qui demandent une diversification des sources de revenus publics, oui, et autonomes, toujours.
Aucun ministère ou conseil des arts, y compris Patrimoine canadien ou le ministère des Affaires étrangères, ne finance des projets à 100 %. Aucun. La complémentarité des sources de financement est toujours la bienvenue. C'est pourquoi nous cognons à la porte des instances fédérales, provinciales et municipales pour réaliser nos projets en plus de solliciter le public, les fondations privées et les commanditaires.
Enfin, pourquoi le gouvernement fédéral doit-il continuer d'être actif dans le financement culturel et qui plus est dans le développement du marché international? Parce qu'il serait impensable pour un pays de laisser à ces provinces seules la charge de faire rayonner leur culture partout dans le monde. Ce serait un non-sens. Ce n'est pas de gaieté de coeur que j'écris cela. Je préférerais que le Québec soit seul maître d'oeuvre si vous transfériez réellement les fonds coupés récemment.
Il est tellement plus facile de traiter avec les organismes québécois qui me semblent faire preuve d'une plus grande vision sur la place de la culture québécoise à l'étranger. Mais je ne m'y résous pas. Tant que le Québec sera au sein du Canada, il sera normal que le Canada mette tout en oeuvre pour promouvoir sa culture coast to coast partout dans le monde. Aux provinces ensuite de mettre en valeur leurs particularités. Il y a tant d'autres pays qui ont compris que la diplomatie culturelle servait les intérêts du pays. Que les artistes sont de formidables ambassadeurs, qu'ils réussissent à développer un capital de sympathie dans le pays visité et qu'ils nouent des liens durables entre les nations.
J'oubliais de vous dire, si vous passez nous voir au bureau, je n'y serai pas. Je travaille. Comme tous les artistes. Je travaille. Je vous écris de Paris, d'où je partirai dans quelques jours pour Lyon pour représenter le Québec dans un événement international en préparation au Sommet de la Francophonie. J'y rencontrerai là-bas des artistes de 16 pays européens. La semaine suivante, nous accueillerons des artistes de 21 pays différents d'Europe, d'Asie et d'Afrique. Comme vous ne souhaitez plus que le Canada soit représenté à ces événements internationaux, soyez assuré que je représenterai fièrement l'État du Québec à Lyon et que j'accueillerai, ensuite, ces artistes de partout dans le monde au nom du gouvernement québécois. En attendant que vous réalisiez l'indicible erreur que le gouvernement conservateur a commise.
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Jean-Philippe Joubert, Directeur artistique de la compagnie de création Nuages en pantalon
Une indicible erreur
Lettre à la candidate conservatrice, Myriam Taschereau
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