Votre permis de conduire et votre carte d'assurance maladie pourraient bientôt n'être que de vieux souvenirs. Radio-Canada a appris que le gouvernement du Québec veut créer une identité numérique pour ses citoyens d'ici 2021. Dès lors, une foule de services publics seraient accessibles à partir de votre téléphone intelligent.
Si le projet vise à faciliter l'accès aux services publics, il a aussi pour but de réduire le risque de fraude d'identité. On est tous très conscients qu'il y a un certain niveau d'urgence
, affirme le ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale, Éric Caire.
Les récents vols de données chez Desjardins et Capital One, qui ont par la suite révélé d'importantes failles en matière de protection des renseignements personnels, ne sont d'ailleurs jamais bien loin dans son esprit.
On les voit, les conséquences de ne pas le faire ou de le faire avec un délai trop grand. On ne souhaite pas que ça nous arrive, au gouvernement du Québec.
Pour mieux protéger ces données personnelles, qu'il qualifie de pétrole du 21e siècle
, le ministre entend donc créer une identité numérique pour chaque citoyen. Un avis d'appel d'intérêt a d'ailleurs été publié à cet effet le mois dernier, pour sonder l'offre du marché.
En réalité, il s'agit d'une actualisation du projet Accès UniQC, mis en veilleuse l'été dernier en raison d'une explosion des coûts, notamment. Néanmoins, le nouveau projet du ministre va beaucoup plus loin que sa version précédente.
Cette nouvelle identité devra permettre aux citoyens de s'identifier et [de] s'authentifier au moment de consommer des services gouvernementaux de façon numérique
, indique M. Caire.
Elle devra combiner des éléments dignes de confiance pour certifier que la personne qui traite avec l'État est la bonne, et non pas un fraudeur ayant mis la main sur son adresse et son numéro d'assurance sociale, par exemple.
Empreintes digitales ou reconnaissance faciale?
Pour atteindre cet objectif, plusieurs mesures sont envisageables, dont le recours à la biométrie, selon le ministre.
Si je prends votre empreinte digitale, votre empreinte vocale, la reconnaissance faciale [...] c'est sûr que ces marqueurs-là me permettent de m'assurer que je parle bien à la bonne personne.
M. Caire est toutefois conscient que le recours à la biométrie poserait certains risques. Vos empreintes digitales, vous en avez juste une
, illustre-t-il.
Un expert en cybersécurité l'invite d'ailleurs à la plus grande prudence. Si on perd l'information biométrique à notre sujet, ça peut avoir de très graves conséquences pour toute notre vie
, indique Pascal Fortin, l'ex-président de la firme GoSecure.
Qui nous sommes [biologiquement], c'est le facteur d'identification qui est généralement le plus fort, mais c'est aussi un peu le talon d'Achille
, dit-il.
Une application mobile
Le projet d'identité numérique comprend aussi la création d'un portefeuille numérique
, qui permettrait aux citoyens de ne plus avoir recours à des documents papier dans leurs interactions avec l'État.
Sous forme d'application pour téléphone intelligent, ce portefeuille regrouperait donc les différentes sources d'identité que chacun possède, comme le permis de conduire, la carte d'assurance maladie ou le certificat de naissance.
Grâce à cette application, les citoyens auraient un contrôle accru sur leurs renseignements personnels, selon M. Caire.
Prenons l'exemple de mon permis de conduire, je pourrais dire : "Voici mon permis de conduire". Mais dépendamment de la personne à qui j'exhibe la pièce en question, je vais rendre disponibles certaines parties d'information [...] et masquer d'autres informations.
Le ministre est convaincu que cette application sera fonctionnelle au plus tard au début de l'année 2021.
J'espère qu'on fera une entrevue, dans un an jour pour jour, dans un cabinet de médecin avec votre téléphone dans les mains pour montrer l'application!
Les limites du système
Le président d'Okiok, une entreprise spécialisée en cybersécurité, croit que le gouvernement fait un pas dans la bonne direction
avec ce projet d'identité numérique.
C'est un pas nécessaire qu'on doit franchir, parce que c'est clair pour tous, aujourd'hui, que l'utilisation d'identifiants statiques comme les numéros d'assurance sociale [...] c'est dépassé
, dit Claude Vigeant.
À son avis, l'identité numérique limitera les risques de fraude, puisqu'elle sera basée essentiellement sur la cryptographie.
M. Vigeant affirme néanmoins qu'un des défis du gouvernement sera de trouver d'autres moyens d'offrir une identité numérique à certains citoyens, par exemple les plus âgés.
On doit être en mesure d'assurer la prestation de services à tous les gens qui y ont droit [...] Ça veut dire même ceux qui n'ont pas nécessairement en leur possession un téléphone intelligent.
À cet effet, le ministre Caire affirme que les citoyens qui préfèrent utiliser leurs cartes d'identité pourront continuer à le faire.
Je pense que le gouvernement du Québec doit accompagner les citoyens et non pas leur imposer une façon de faire. Donc, oui, on va garder ces pièces-là.
Précisions manquantes
Même s'il en est à ses balbutiements, le projet du ministre laisse sans réponse une question fondamentale, selon Pascal Fortin : quelle sera l'architecture
de cette future identité numérique?
Est-ce qu'on repart d'un document qui est notre certificat de naissance et qui est l'ultime preuve de notre identité, de notre citoyenneté aussi? Est-ce qu'on repart de là et on crée un nouvel identifiant et on va s'assurer que tous les autres systèmes sont fédérés à partir de cet identifiant-là?
S'il croit que le Québec a un rôle important à jouer, il rappelle que les documents généralement jugés les plus crédibles pour identifier un citoyen sont le numéro d'assurance sociale et le passeport.
Or, ces deux documents sont de compétence fédérale. M. Fortin croit donc qu'une forme de concertation
serait souhaitable pour que le projet d'identité numérique soit une réussite.
J'aimerais voir les provinces assises ensemble à créer une approche qui est commune et qui va aussi être utilisée largement par le gouvernement fédéral, autant que possible.
Sur ce point, M. Caire est d'accord. S'il y a des consensus à dégager, c'est maintenant qu'il faut le faire. Ce n'est pas d'attendre que chacun s'en aille de son bord, construise son système sans penser qu'il y a un voisin avec qui il devrait échanger des confirmations.
Le ministre voudrait même que d'autres organisations, telles les banques ou les municipalités, puissent aussi utiliser ce futur système d'identité numérique.
Quant aux coûts de ce projet, il préfère ne pas s'avancer pour l'instant. C'est que je veux donner une information qui est précise et validée
, dit M. Caire.