Paris – On a l’habitude de dire que les Québécois sont les plus européens des Nord-Américains. Le scrutin de mardi dernier en aura fourni une preuve surprenante. Loin de correspondre aux standards nord-américains du bipartisme, ces résultats plus éclatés que jamais pourraient facilement se comparer à ceux de nombreux pays européens.
Pour un journaliste qui a eu la chance d’observer sur le terrain les récentes campagnes espagnole et grecque, ainsi que les deux dernières élections françaises (présidentielle et législative), les parallèles sont frappants. Certes, le Québec se tire beaucoup mieux de la crise que la plupart de ces pays. Il n’empêche qu’en ces temps troublés, la colère des populations semble devoir avoir raison de la plupart des dirigeants qui veulent se faire réélire. Les Québécois sont loin d’être les seuls à vouloir faire place nette. En Europe, cette colère a provoqué une véritable hécatombe. Les États-Unis ne font pas non plus exception, puisque même un leader aussi exceptionnel que Barack Obama est loin d’être assuré de sa réélection.
Cette colère va de pair avec l’irruption d’un certain populisme dans la vie politique. Les élans d’un François Legault, pressé de « faire le ménage », ne sont pas sans rappeler la « rupture » d’un Nicolas Sarkozy, qui avait lui aussi promis d’en finir avec toutes les formes de bureaucratie et les vieilles manières de faire. On sait ce qu’il en est advenu. S’il y a une part justifiée dans cette revendication, il y a aussi beaucoup d’idéologie.
L’arrivée de la CAQ dans la politique québécoise n’est pas non plus sans rappeler, toutes proportions gardées, celle de Berlusconi en Italie. Les deux hommes ont en effet en commun cette idée saugrenue selon laquelle les hommes d’affaires, même incultes, seraient les mieux placés pour « runner la business » de l’État. Comme l’a fort justement rappelé Jean Charest en annonçant sa démission, le Québec a la chance exceptionnelle de jouir d’une fonction publique de grande qualité. Or, si les rouages de l’État ont régulièrement besoin d’être polis et lissés, le service public ne saurait être considéré comme une vulgaire PME qui n’a d’autres impératifs que la rentabilité à court terme.
Convenons pourtant que cette révolte contre l’État ne vient pas de nulle part. Elle trouve le plus souvent sa source dans l’incapacité des États modernes à choisir. Comment expliquer en effet qu’un État comme celui du Québec offre des traitements de fertilité gratuits alors qu’il n’est même pas en mesure d’assurer un service adéquat aux urgences ? Ou que l’on hausse les droits de scolarité alors qu’il n’y a pas de péages sur les autoroutes du Québec ? Qu’on me permette de penser qu’il ne s’agit pas tant de trancher dans le gras que d’avoir le courage de choisir.
L’incrustation au Québec depuis deux élections de Québec solidaire rappelle aussi la dynamique européenne. Les pays européens, où le scrutin proportionnel encourage les petits partis, ont presque tous de tels partis à gauche de la gauche. Le Front de gauche en est un bel exemple en France. La plupart de ces partis d’ultragauche prétendent défendre les classes populaires. Pourtant, contrairement aux anciens partis communistes, qui avaient une large base ouvrière, ils recrutent le gros de leurs électeurs dans ce qu’il faut bien appeler la petite bourgeoisie. Comme le Front de gauche, surtout implanté dans les quartiers branchés de Paris, Québec solidaire demeure essentiellement un phénomène issu du Plateau-Mont-Royal et de sa périphérie.
Après deux mois au Québec, j’ai été surpris d’entendre tant de mes amis dire qu’en votant pour ce parti, ils allaient enfin « voter avec leur coeur ». Peut-être parce que j’ai été vacciné par le 21 avril 2002 (la division du vote à gauche avait alors permis au Front national de se hisser au second tour de l’élection présidentielle française), j’ai tendance à ne voir dans ces petits partis radicalisés qu’une forme de sectarisme. Pourquoi en effet se donner la peine d’aller convaincre les militants des grands partis de masse que sont le Parti libéral et le Parti québécois quand on peut demeurer confortablement entre nous, et surtout éviter la lourde responsabilité du pouvoir ?
La dernière élection a aussi révélé que Québec solidaire était devenu le refuge de la gauche multiculturaliste, comme l’illustre son opposition à une charte de la laïcité, une citoyenneté québécoise et l’application de la loi 101 aux cégeps. Il se pourrait que le succès relatif de ce parti soit justement lié au fait que le Parti québécois vient de renouer avec la défense de la langue et de l’identité québécoise. Comme de nombreux partis sociaux-démocrates dans le monde, le PQ avait en effet flirté avec le multiculturalisme après le référendum de 1995.
Le PQ n’est pas le seul à corriger le tir. Plusieurs partis sociaux-démocrates européens, dont le Parti socialiste français, ont récemment redécouvert les vertus de la nation. Convenons cependant que, pour une nation minoritaire comme le Québec, les sirènes du multiculturalisme avaient quelque chose de proprement suicidaire.
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