Le drame d'une petite Brésilienne de neuf ans, enceinte de jumeaux après avoir été violée et agressée par son beau-père depuis l'âge de six ans, a récemment ému la planète. Sa vie étant gravement en danger, il y a eu avortement comme le permet, dans des cas exceptionnels, la loi brésilienne. La mère qui soutenait la fillette et l'équipe médicale qui a pratiqué l'avortement ont été excommuniées par l'évêque du diocèse de Recife, Mgr José Cardoso Sobrinho qui a affirmé que «le viol est un péché moins grave que l'avortement». Ce dernier a reçu l'appui du préfet de la Congrégation des évêques au Vatican, le cardinal Giovanni Battista Re, réputé être un proche de Benoît XVI.
Comment lire ces événements et que faire pour qu'ils ne se reproduisent plus? Je suggère deux pistes de lecture qui sont autant de voies de changements requis pour que cesse l'inacceptable: d'abord, la représentation des femmes dans l'Église marquée par le sexisme et le machisme clérical et puis le rapport au pouvoir et à l'autorité dans l'Église.
Le machisme clérical
Si la fillette a été ainsi objectivée, c'est que les femmes ne sont pas comprises ni reconnues comme des personnes à part entière dans l'Église, car elles sont assimilées à des choses. Après tout, n'est-ce pas une autre «chose», la machine à laver, qui les a libérées, tel que l'a affirmé l'Osservatore Romano dans sa livraison du 8 mars?
Des choses, donc, au service des hommes, des mères dédiées à leurs enfants, des épouses attentives pour leur mari, des vierges servantes du clergé. Elles ne peuvent pas exister par et pour elles-mêmes. Certes, le discours romain glorifie «la femme» qui s'accomplit dans l'abnégation la plus totale, dans le don désintéressé d'elle-même. Mais les femmes ordinaires, avec un corps, des désirs et des ambitions n'ont pas de légitimité, pas même d'existence dans le discours romain clérical.
La jeune Brésilienne, une petite fille ordinaire, n'a pas été reconnue comme une enfant violée, agressée, qui devait avant tout recevoir amour et compassion. Non, elle a d'abord été comprise comme un utérus porteur de deux foetus qui devaient être menés à terme peu importe les conséquences sur «la chose». La fillette comme sujet, comme personne n'a pas eu d'existence dans la pensée de Mgr José Cardoso Sobrinho et du cardinal Giovanni Battista Re, ces défenseurs d'une vérité prétendument divine. Ils l'ont regardée comme une «chose enceinte».
Un système organisé
Il ne s'agit pas d'un cas isolé, d'une erreur de parcours de la part de quelques ecclésiastiques. Il s'agit d'un système religieux machiste qui n'a de cesse de reproduire ces aberrations sexistes. En 2006, en Colombie, dans des circonstances similaires, les membres d'une équipe médicale ont été qualifiés par le Cardinal Trujillo, alors président du Conseil pontifical pour la famille, de personnages infâmes.
Chaque jour, des femmes de partout dans le monde vivent des drames: viols de guerre, agressions sexuelles par des ecclésiastiques, incestes, et se retrouvent en situation de grossesse non désirée. Chaque jour des femmes sont traitées comme des choses et se voient refuser la compassion de l'Église. Qui plus est, le discours de l'Église catholique sur la contraception, l'avortement, les relations sexuelles en dehors du mariage, etc., infantilise les femmes, nie leur autonomie sexuelle, de même que la capacité des femmes et des hommes de faire des choix responsables pour l'exercice de leur sexualité.
Sans compter que ce système a également pour effet d'exclure les femmes des postes de responsabilité et des ministères ordonnés dans l'Église catholique. Après tout, comme l'a si bien dit le cardinal Vingt-Trois de Paris sur les ondes de Radio Notre-Dame le 6 novembre dernier: «Le tout n'est pas d'avoir une jupe, c'est d'avoir quelque chose dans la tête.» Les femmes, des choses qui peuvent bien avoir la tête vide, pourvu qu'elles aient le ventre plein.
L'autoritarisme
Tout comme Benoît XVI qui, la semaine dernière, dans le cadre de son voyage en Afrique, ce continent ravagé par le sida, a maintenu sa condamnation du condom, prétendant que l'usage de ce dernier aggravait l'épidémie du sida, Mgr Sobrinho a fait fi du réel, du nécessaire devoir de compassion face à la souffrance humaine et il a rappelé la loi dans toute sa rigidité. Il n'a même pas utilisé les quelques possibilités offertes par le Droit canon pour considérer des circonstances atténuantes et modérer ses transports de grand justicier. Voilà l'autoritarisme à l'oeuvre.
Ce système est-il toutefois en train de se fissurer quand on voit l'accumulation des bêtises sexistes et racistes (réintégration de l'évêque intégriste qui nie l'Holocauste), des décisions irresponsables qui soulèvent un tollé général? Dans ses tentatives d'encadrement de la vie sexuelle des femmes et des hommes catholiques, l'Église a perdu beaucoup de sa crédibilité et a étalé son incompétence.
Il reste cependant dans l'Église catholique une mouvance capable de justice sociale, de compassion, de reconnaissance des personnes. Des catholiques engagés et quelques évêques ont eu le courage de prendre position la semaine dernière et de condamner les excommunications.
Notes discordantes
Ivone Gebara a soutenu que les évêques sont devenus des défenseurs de principes abstraits; Mgr Martin Veillette, président de l'Assemblée des évêques catholiques du Québec, a manifesté sa compassion à l'endroit de la fillette brésilienne et de sa mère; Mgr Farine, de Genève, a affirmé que l'Église doit cesser la sanction de l'excommunication; Mgr Francis Deniau, évêque de la Nièvre, a reconnu avoir accompagné des femmes avant et après une IVG.
Je dis bien courage parce que ces personnes, en manifestant leur dissidence par rapport aux autorités ecclésiastiques, ont pris le risque de subir les foudres de Rome: mise au silence, carrière épiscopale brisée, etc. Mais le vent a tourné. Lundi de cette semaine, quelqu'un à Rome a compris qu'il y avait plus à perdre qu'à gagner dans cet entêtement à excommunier. Le président de l'Académie pontificale pour la vie, Mgr Rino Fisichella, a signé dans l'Osservatore Romano un texte où il a pris ses distances des excommunicateurs et dit toute sa compassion pour la mère et l'enfant.
Heureuse coïncidence? Dans les heures qui ont suivi la publication de ce texte, de notre côté de l'Atlantique, le cardinal Ouellet et le cardinal Turcotte, qui n'avaient rien à dire sur cette question la semaine dernière, ont trouvé des mots pleins de compassion pour la mère et l'enfant.
La fracture est bel et bien là et elle ne pourra être colmatée par des voeux pieux. D'un côté, il y a un système rétrograde, machiste et autoritaire qui a du plomb dans les ailes et qui multiplie les dérapages. De l'autre, il y a une poignée de cathos convaincus qui ont des aspirations de justice sociale et d'Église plus évangélique. Ces derniers auront-ils les moyens de leurs aspirations? Chose certaine il y a pour ce «petit reste» tout une traversée du désert avant de parvenir à bâtir une église féministe, démocratique, égalitaire, plus juste et solidaire. Le pari est loin d'être gagné.
***
Marie-Andrée Roy, Professeure au Département de sciences des religions de l'UQAM, directrice de l'Institut de recherches et d'études féministes et membre fondatrice de la Collective L'Autre Parole
***
Les groupes suivants appuient ce texte: Collective L'Autre Parole; Association des Religieuses pour la Promotion des Femmes (ARPF) et ses membres; Citoyennes averties, Alma; Soeurs Auxiliatrices du Québec; Intervenantes communautaires de la Maison Orléans; Centre de Femmes Au Quatre-Temps Inc., Alma.
Une Église machiste et autoritaire
Laïcité — débat québécois
Marie-Andrée Roy1 article
Marie-Andrée Roy, Professeure au Département de sciences des religions de l'UQAM, directrice de l'Institut de recherches et d'études féministes et membre fondatrice de la Collective L'Autre Parole
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé