La présente campagne électorale constitue un moment propice pour mieux cerner les enjeux du fédéralisme canadien, d’autant plus que le premier ministre Harper vient de remettre à l’avant-scène, comme il l’avait fait en 2006, le concept du fédéralisme d’ouverture dont les contours demeurent toujours flous, et les retombées incertaines. Il nous semble judicieux dans le contexte de faire un retour sur les deux grandes traditions fédérales qui se font concurrence au pays.
La riche contribution des chercheurs québécois au domaine des études fédérales a trop souvent été boudée par leurs collègues évoluant dans la tradition anglo-canadienne du fédéralisme alors que leur apport aux études fédérales est depuis longtemps reconnu et amplement cité à l’échelle internationale. Pourquoi ? Qu’en est-il au juste ?
Il existe bien deux traditions du fédéralisme au Canada : la première, à laquelle adhèrent généralement les chercheurs anglo-canadiens, est fortement influencée par le modèle américain et promeut l’idée d’une nation unie et indivisible, alors que celle généralement avancée au Québec est inspirée par la tradition suisse qui consiste à reconnaître et à promouvoir la diversité nationale.
La tradition américaine fondée sur un équilibre entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire est celle qui domine le champ des études fédérales. Bien qu’elle mette en échec une vision absolutiste du pouvoir, cette tradition fait fi de la diversité nationale à la base même du pacte fédéral et propose l’avènement d’une nation homogène et uniformisée dans le but de garantir la stabilité politique. Cette tradition ne reconnaît qu’un seul pouvoir constituant et elle s’est construite, du moins aux États-Unis, au prix de conflits armés en niant en particulier aux nations autochtones leurs droits de représentation et d’autoreprésentation les plus fondamentaux.
Les spécialistes décrivent habituellement la tradition américaine comme étant l’expression la plus avancée du fédéralisme territorial. Il est clair que cette tradition exerce une influence marquée sur la façon dont la nation majoritaire en Espagne, par exemple, souhaite voir évoluer les relations de pouvoir, et ce, même après la sortie du régime franquiste et l’avènement de l’État des Autonomies.
Tradition helvétique
La tradition helvétique du fédéralisme se distingue de la tradition américaine de deux façons : elle a été érigée sur le principe de l’autonomie politique des États membres fondant la (con)fédération et sur celui de la non-superposition des pouvoirs entre ordres de gouvernement. Cette tradition a connu beaucoup de succès auprès des sociétés démocratiques complexes en reconnaissant les nations fondatrices comme autant de pouvoirs constituants.
Le plus grand défi de cette école de pensée a été de réinventer sur une base continue et évolutive les rapports de pouvoir sans préjudice pour les communautés politiques et les nations historiques à l’origine du pacte fondateur. Cette tradition a pris diverses formes à travers le temps et est généralement reconnue comme étant l’expression la plus avancée du fédéralisme pluraliste.
Fédéralisme négocié
Les choses se complexifient au Québec un peu plus puisque non seulement il y a une démarcation importante entre la tradition américaine et la tradition helvétique, mais il y a une école de pensée qui s’impose de plus en plus et qui avance, comme réponse au manque de reconnaissance et d’habilitation, un fédéralisme de type multinational. Cette formule est de plus en plus prisée par les nations minoritaires évoluant dans les démocraties libérales.
Les dernières décennies ont fait la démonstration qu’il fallait imaginer des mécanismes de gestion de la diversité nationale plus ambitieux et surtout plus à même de respecter les principes centraux de la démocratie que sont la justice, la légitimité, la reconnaissance, l’hospitalité et l’habilitation. Seul le respect de ces principes permettra aux démocraties fédérales de se renouveler et de se maintenir dans la longue durée. La réconciliation entre les principaux partenaires au sein des États pluralistes et plurinationaux ne pourra se faire que dans la mesure où les nations seront non seulement reconnues et respectées, mais seront également habilitées à promouvoir leur langue, leur culture, leurs traditions et leurs institutions propres.
Trop souvent, la nation majoritaire dicte l’ordre du jour et ne tient pas assez compte des revendications légitimes des nations minoritaires. Il importe en cet Âge d’incertitude d’ouvrir la porte aux débats intercommunautaires et d’engager avec l’Autre un dialogue faisant en sorte que le fédéralisme ne soit plus imposé, mais négocié.
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