Un seul cas

Hier, il était assez divertissant de voir Mme James répéter à qui voulait l'entendre que jamais elle n'accepterait que le principe de l'égalité entre hommes et femmes souffre la moindre exception.

Laïcité — débat québécois

«Citez-moi un seul cas», avait lancé Robert Bourassa à René Lévesque, qui l'avait accusé de favoritisme au cours d'un débat à la radio en 1976.
Au moment de présenter un projet de loi qui touche directement la question des accommodements raisonnables, quoi qu'en dise la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, Yolande James, le gouvernement Charest n'avait surtout pas besoin que «le» cas illustrant sa procrastination surgisse tout à coup neuf mois après le fait.
D'ailleurs, il est assez curieux que la Commission des droits de la personne soit restée si discrète sur l'avis qu'elle avait rendu en janvier dernier, à la demande de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), au sujet du refus d'un membre de la communauté hassidique qu'un examinateur masculin fasse passer un examen de conduite à son épouse.
La Commission plaide que son avis était disponible sur son site Internet, mais il fallait vraiment être chanceux ou très astucieux pour le débusquer. Compte tenu du retentissement de l'incident à l'époque, on était en droit de s'attendre à plus de transparence.
Quoi qu'il en soit, il était inévitable que la question rebondisse tôt ou tard. Ne pas tenir compte d'un problème est souvent un réflexe naturel en politique, mais cela ne signifie pas qu'il est réglé pour autant. En général, le temps ne fait qu'aggraver les choses.
À la veille de la campagne électorale de 2007, le gouvernement s'était débarrassé de la patate chaude des accommodements raisonnables en décidant en catastrophe de créer la commission Bouchard-Taylor, dont il s'était empressé de tabletter le rapport au lendemain de sa parution, en mai 2008.
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À sa lecture, le premier ministre Charest avait eu un certain mal à cacher sa déception. «Ce n'est pas un style auquel on est habitués. Il y a beaucoup de pédagogie sur les concepts», avait-il commenté. Que pouvait-il attendre d'autre des deux brillants intellectuels à qui il avait confié la présidence?
En réalité, il était surtout déçu que la commission renvoie la balle au gouvernement au lieu de lui fournir des solutions toutes faites. Autrement dit, qu'elle le place devant ses responsabilités. Une loi sur l'interculturalisme? Un livre blanc sur la laïcité? Tant qu'à y être, pourquoi pas une constitution?
Hier, il était assez divertissant de voir Mme James répéter à qui voulait l'entendre que jamais elle n'accepterait que le principe de l'égalité entre hommes et femmes souffre la moindre exception.
Pourtant, sa prédécesseure, Lise Thériault, avait été catégorique en février 2007. Selon elle, la décision de la SAAQ remettait directement en question le principe de l'égalité entre les sexes. Y aurait-il mésentente entre juristes au gouvernement? Depuis deux jours, l'opposition tente de savoir ce qu'en pense la ministre responsable de la Condition féminine, Christine St-Pierre, mais elle s'est réfugiée dans le plus profond mutisme.
En juin 2008, le gouvernement avait fait adopter à l'unanimité et à grand renfort de publicité le projet de loi 63, qui proclamait haut et fort que l'égalité entre hommes et femmes primait tout le reste. De toute évidence, cela ne voulait rien dire, comme plusieurs le disaient à l'époque.
M. Charest plaide que la décision de la SAAQ, qui place les droits religieux sur le même pied, ne concerne que six cas sur 26 000. Autrement dit, il lui paraît acceptable de faire entorse à un principe du moment que cela demeure occasionnel.
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Tous les projets de loi n'entrent pas dans le menu détail, mais il faut reconnaître que celui de Mme James se signale par le vague de ses dispositions. En général, une loi suit l'élaboration d'une politique gouvernementale, alors que c'est l'inverse dans ce cas-ci. Il est prévu que la ministre en présentera éventuellement une.
On demande aux organismes qui relèvent du gouvernement de se donner eux-mêmes une politique de gestion de la diversité culturelle, mais les fonctionnaires ne peuvent pas se substituer au législateur et ne doivent pas lui servir de paratonnerre.
En matière d'accommodements raisonnables, le gouvernement préfère s'en remettre aux tribunaux sans fixer lui-même de balises. Même si le principe de la laïcité de l'État est directement mis en cause, le projet de Mme James n'en fait pas mention.
Lors des audiences de la commission Bouchard-Taylor, plusieurs avaient plaidé en faveur de l'adoption d'une Charte de la laïcité qui aurait un statut semblable à celui de la Charte de la langue française.
De toute évidence, il ne faut rien espérer de tel du gouvernement actuel. Les libéraux ont toujours été très mal à l'aise sur le terrain identitaire et M. Charest lui-même ne voudra certainement pas s'engager dans cette voie.
D'ailleurs, le rapport de la commission n'allait pas aussi loin. Il recommandait cependant la publication d'un livre blanc en matière de laïcité, «dans lequel le modèle implicite de laïcité patiemment construit au Québec serait précisé et formalisé». À défaut d'une charte, ce serait déjà un progrès.
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mdavid@ledevoir.com


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