En réponse aux tensions linguistiques qui déchirent le Québec, certains privilégient un renforcement de l'enseignement de l'anglais à l'école. Dans un même souffle, on a beaucoup coupé ces dernières années dans les cours de francisation des immigrants. À quoi cela rime-t-il?
Loin de passer par un bilinguisme intégral comme le laissait entendre tout récemment Gérard Deltell, l'avenir de notre culture passe plutôt par un renforcement du français à l'école et un accroissement des transferts linguistiques au profit du français. S'éloignant du bilinguisme à la canadienne prôné par une certaine classe politique, cette approche implique la francisation rapide des immigrants dans un contexte d'immersion totale. Il faut, comme en France, réussir à faire du français la langue parlée à la maison par les néo-Québécois dès la seconde génération.
Car contrairement aux cas des pays scandinaves cités en exemple par M. Deltell, notre langue seconde, l'anglais, occupe en Amérique du Nord une place hégémonique, et partout où le bilinguisme a été appliqué, on a assisté à des taux records d'assimilation des francophones. Par ailleurs, on est en droit de s'interroger sur l'objectif de renforcement de l'anglais au primaire alors que les jeunes Québécois ne maîtrisent même pas le français au cégep.
Le transfert linguistique
Au Québec, le nombre de locuteurs dont le français est la langue maternelle vient récemment de glisser sous la barre des 80 %. Le Québec ne pourra éternellement imposer le français comme langue d'usage si le nombre de locuteurs dont la langue maternelle est le français ne cesse de diminuer. Selon les chiffres actuels et les politiques en place, la tendance à long terme est désastreuse pour le français. Malgré la faiblesse évidente du français, certains, comme Gérard Deltell, parlent plutôt de renforcer l'enseignement de l'anglais à l'école! Sommes-nous à ce point inconscients?
Nous savons de fait que moins grande sera la proportion de citoyens parlant le français à la maison et plus importante sera la part de la population à s'exprimer quotidiennement en anglais, plus artificielles et difficiles à imposer deviendront les mesures coercitives et incitatives en faveur du français.
À Montréal, ce constat s'impose déjà de lui-même: la faiblesse relative du nombre des locuteurs du français langue maternelle rend problématique l'imposition du français comme langue commune. Il faut ajouter à cela l'incurie d'un grand nombre de francophones de l'île à l'égard des questions linguistiques: on se fend en quatre pour parler la langue de l'autre!
N'ayons pas peur des mots: afin de préserver notre culture, nous devons maintenir, voire accroître les mesures natalistes. Cela dit, ces mesures à elles seules ne suffisent pas. Il faut de surcroît amener les enfants issus de l'immigration à adopter le français comme langue «maternelle» dès la seconde génération. Car peu importe l'origine ethnoculturelle, le fait de parler le français à la maison est le signe indiscutable d'une intégration réussie. Le déclin démographique des francophones se transforme ainsi en succès d'intégration et dynamise le fait français en Amérique.
Afin d'accroître les chances de transfert de la langue d'origine vers le français comme langue parlée à la maison, des mesures favorisant l'établissement des immigrants en région devront être mises en place afin de garantir la mixité sociale dans une perspective d'immersion totale: évitons, de grâce, de reproduire chez nous le modèle canadien de la ghettoïsation et du repli sur soi. Dans le cas des incitatifs à l'immersion en région, les économies en coûts sociaux justifieront largement les investissements en mesures incitatives.
Renforcer l'enseignement du français
À l'aune des récents résultats scolaires en français, il semble évident que l'on ne passe pas assez d'heures en classe à apprendre la langue de Molière. La maîtrise du français est généralement faible à la sortie du secondaire et s'améliore peu au cégep. Avec les moyens financiers restreints qui sont les nôtres, les sommes consacrées à l'éducation devraient être investies en priorité à l'enseignement du français. Car la faiblesse du français au Québec se répercute autant sur l'attrait qu'exerce notre langue auprès des immigrants que sur la pensée discursive, la clarté conceptuelle et la capacité de raisonnement critique des étudiants.
Plus qu'un simple outil de communication, la langue structure la pensée. En ce sens, le français n'est pas qu'un simple outil de travail pour une poignée de professionnels du verbe, comme semblent le croire une part croissante de nos concitoyens. Le français, lorsqu'il est maîtrisé, amène ses locuteurs à penser de façon claire, simple, précise et logique. Le français définit le rapport au monde. Aussi comprenons que, dans le transfert de leur langue d'origine vers le français langue «maternelle», c'est ce rapport au monde que nous voulons transmettre aux nouveaux Québécois.
Le français, qui se distingue par son très haut degré de finition et de précision, est pour nous un énorme avantage linguistique face à une culture mondiale de plus en plus nivelée et uniformisée. Il faut faire prendre conscience à nos enfants du trésor qui leur est légué.
Ainsi, plutôt que de favoriser, encore une fois, l'anglais à l'école, comme le suggère l'ADQ, un cours d'Histoire de la langue française devrait compléter les cours de grammaire et d'orthographe en leur ajoutant une dimension historique. Élargissons à travers ce cours la perspective de nos enfants sur la langue et le rapport au monde qu'elle contient. Expliquons aux enfants issus de l'immigration les nombreux avantages du français afin de les persuader de l'adopter comme langue «maternelle».
En dynamisant l'enseignement du français et en faisant ressortir ses nombreux avantages dans un cours complémentaire, nous formerons non seulement de meilleurs citoyens rompus à la pensée logique et abstraite, car la connaissance du français y conduit, mais nous persuaderons également davantage d'enfants d'immigrants d'embrasser de plein gré cette culture universelle et humaniste, comme disait Léopold Senghor, que nous brûlons de faire partager.
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Alexis Cossette-Trudel
Candidat au Ph. D en sciences des religions et inscrit au doctorat en sémiologie, UQAM
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