Ouf !... Quel coup de théâtre !
J’ai beau fouiller ma mémoire, je ne me souviens pas d’un départ de campagne électorale aussi fulgurant. Une semaine à peine après son début, le thème majeur est imposé, de façon si solide qu’on voit mal comment il pourrait être délogé.
Il y a d’abord eu le suspense entourant la candidature du policier vedette Jacques Duchesneau à la CAQ. Puis sa confirmation. Puis ses premières déclarations fracassantes qui mettaient tout le monde dans l’embarras y compris lui-même. Et hier est tombé dans la mare électorale ce gigantesque pavé, gracieuseté de l’équipe de l’émission « Enquête » de Radio-Canada s’il vous plaît.
L’effet de souffle est si grand que personne n’ose trop parler de l’affaire, ou alors très sobrement. Sauf Jean Charest, et encore parce qu’il n’avait aucun moyen de s’y soustraire. Regardez les journaux aujourd’hui, c’est assez frappant.
Bien sûr, il y a l’effet de la concurrence. C’est le scoop de Radio-Canada, après tout. Mais il y a aussi le fait que le risque de dérapage est très grand, et que personne ne veut recevoir de mise en demeure, encore moins lorsqu’elle émane des avocats du premier ministre.
Le comportement de La Presse est très instructif. Un coup d’oeil sur sa première page nous dit tout. Regardez la bien... http://images.lpcdn.ca/une/lapresse.jpg?ts=1344521380.
La nouvelle est bien là, au milieu de la page, mais regardez de quelle façon elle est traitée. Si La Presse avait souhaité qu’elle passe inaperçue, elle ne s’y serait pas prise autrement. Dans la boîte grise, juste à côté d’un titre en caractères gras sur une nouvelle relativement mineure dans les circonstances. Et juste au dessus d’un bandeau nous informant que Legault voterait « Non » lors d’un référendum, avec photo couleur de celui-ci.
Ce dernier élément est la nouvelle que La Presse aurait voulu monter en épingle si le pavé Brandone n’était pas tombé dans la mare électorale hier. Alors, à contrecoeur, La Presse la met en première page pour ne pas que son jupon dépasse trop. Sauf que quelqu’un n’a pas réalisé que le titre de la nouvelle ne cadrait pas du tout avec la place qu’on lui réservait : « Une histoire de filature éclipse toutes les annonces ».
Quand une histoire « éclipse » toutes les autres, on s’attend à ce que ça paraisse... Surtout lorsque c’est La Presse qui le dit...
Quant à l’affaire Brandone elle-même, c’est l’histoire du ressort usé, trop tendu, qui au moment le plus inopportun saute au visage de celui qui a négligé de s’en occuper en temps utile. Jean Charest est victime de lui-même. De son style comme de ses fréquentations et de sa façon de gérer la chose publique, le bien commun.
Le reportage de Radio-Canada, « bétonné à 1000 % » pour reprendre les mots du journaliste Alain Gravel, démontre que Brandone s’est rendu, sans y être invité contrairement à ce qu’il prétend, à un hôtel proche de l’aéroport où il savait pouvoir rencontrer Jean Charest. C’était le chien dans un jeu de quilles, le « cheval » sur la soupe.
Brandone a une courte conversation (deux minutes) avec Jean Charest alors qu’il est sous filature de la police. Quelques heures plus tard, les policiers affectés à la filature reçoivent l’ordre de laisser tomber leur sujet.
Radio-Canada nous rapporte les témoignages de quatre policiers qui ont été tellement surpris et choqués par le tour que prenait l’affaire qu’ils ont décidé d’enfreindre leur serment d’office et de témoigner de façon anonyme à ses journalistes Alain Gravel et Marie-Maude Denis.
Alors Jean Charest intervient et nous déclare, la main figurativement sur le coeur, que, en ce qui le concerne, il n’est jamais intervenu dans une enquête de la SQ. Et je suis à peu près certain qu’il dit la vérité.
Mais ma propre expérience politique me permet de savoir qu’un premier ministre ne fait jamais ce genre de choses lui-même. D’autres personnes autour de lui s’en chargent, souvent sans même qu’il ait besoin de donner une instruction précise. Des personnes de la trempe de son ancien chef de cabinet Dan Gagnier, par exemple.
Le malheur pour Jean Charest, c’est qu’il nous a montré toute la duplicité dont il était capable dans le cadre de la Commission Bastarache, et s’il ne lui reste aujourd’hui plus une once de crédibilité, c’est que tous les Québécois ont pu l’y voir en pleine action se dépêtrer dans ses propres témoignages contradictoires ou en réponse aux témoignages qui contredisaient le sien.
Il faut également s’arrêter à l’intervention tonitruante de Radio-Canada dans une campagne électorale. Radio-Canada n’est pas tout à fait un diffuseur comme un autre. C’est une société d’État, fédérale par surcroît, avec tout ce que cela comporte comme obligations, responsabilités et contrôles. Pour que cette nouvelle sorte, il a fallu qu’elle franchisse plusieurs étapes, depuis les superviseurs des journalistes jusqu’à la haute direction de Radio-Canada, et fort possiblement même le cabinet du premier ministre Harper.
Et si l’information a ensuite été diffusée, et si ce faisant une ligne rouge a été clairement franchie, c’est que tout ce beau monde a décidé qu’elle était d’intérêt public ET EN CONFORMITÉ AVEC LE MANDAT DE RADIO-CANADA DE PROMOUVOIR L’UNITÉ CANADIENNE.
Si j’étais Jean Charest aujourd’hui, c’est ce dernier bout qui m’inquiéterait. Non seulement n’incarne-t-il plus le rôle de Capitaine Canada qu’on lui avait fabriqué pour le propulser à la tête du PLQ, mais il est devenu pour beaucoup une menace à l’unité canadienne à cause de son identification à la corruption. Il est devenu un boulet pour l’option dont il devait être le champion.
Alors, on va le sacrifier. Et regardez bien, à partir de maintenant, ça va être la curée.
Cela dit, qu’advient-il du reste de la campagne électorale ?
La déconfiture de Charest va provoquer une migration, que dis-je une migration, un exode massif de ses soutiens vers la CAQ. Les anglophones ne pourront plus le soutenir, et le témoignage hier de l’ancien député de D’Arcy-McGee, Robert Libman, à l’origine d’une première vague de défection des anglophones du PLQ dans la foulée de l’adoption de la Loi 78 en 1988, en est un signe avant-coureur que les développements d’hier ne feront que renforcer.
Sauf que... La CAQ n’est pas non plus sans problèmes. Outre d’avoir à gérer les frasques d’un candidat de la trempe de Jacques Duchesneau, un homme qui, s’il est un excellent policier, n’en est pas moins doté d’un ego surdimensionné, au point de s’être fait dresser ses armoiries http://www.journaldequebec.com/2012/08/07/des-armoiries-pour-duchesneau (le Journal de Montréal parle même méchamment de « mégalomanie galopante »). C’est assez particulier, mais cela ne le discrédite pas pour autant pour les fonctions qu’il cherche à exercer.
Mais là où ça risque d’accrocher, c’est lorsque les rumeurs qui traînent dans le décor au sujet des affaires de Charles Sirois, de Mario Bertrand, organisateurs de la CAQ, et d’un ex-sénateur conservateur, vont se mettre à sortir, ce qui, à ce qu’on m’informe, ne saurait trop tarder. Jacques Duchesneau aura alors à se demander si sa réputation de M. Propre est capable de s’accommoder de la m... qui va se mettre à revoler dans le ventilateur.
À ce rythme, Pauline Marois risque de l’emporter par défaut, conformément à la tradition bien ancrée dans la politique québécoise voulant qu’un parti ne soit jamais plus fort que de la faiblesse des autres.
Mare électorale
Un pavé nommé Brandone
À partir de maintenant, ça va être la curée !
Chronique de Richard Le Hir
Richard Le Hir673 articles
Avocat et conseiller en gestion, ministre délégué à la Restructuration dans le cabinet Parizeau (1994-95)
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15 commentaires
Archives de Vigile Répondre
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Joseph Berbery Répondre
10 août 2012En analysant la Une de La Presse, vous nous donnez un cours magnifique sur l'art de rédiger une page-titre en embobinant le lecteur, plutôt qu'en l'informant comme on est censé le faire. Je me permettrais d'ajouter ceci. L'information qui s'st imposée à La Presse, et qu'elle ne pouvait décemment pas passer sous silence a été présentée littéralement ainsi :
«Une histoire de filature éclipse toutes les annonces».
Le plus important, voire l'essentiel de cette information, à savoir L'INTERRUPTION de la filature a été précisément «ÉCLIPSÉ» par La Presse en mettant l'accent sur... l'éclipse.
Plus tordu que ça, tu meurs.
Alain Patenaude Répondre
10 août 2012Avez-vous remarqué comment les partisans libéraux s'empressent de trouver des bibittes dans la cour du PQ quand le premier ministre se fait prendre les mains dans le sac? Le PQ n'est sûrement pas propre mais il a au moins la décence de vouloir changer les choses. Charest ne fait que promettre de l'argent et continue d'être l'arrogance même.Il veut gagner l'élection à tout prix car il sait qu'il ne peut s'appuyer sur rien de concret de ses deux mandats. Nous savons tous que les politiciens ont tous des squelettes dans le placard mais au moins, il est clair que Charest est un magouilleur et un menteur. Nous en avons la preuve. Dehors monsieur Charest. Dire qu'il y aura sûrement une rue à son nom dans quelques années. En attendant, Monsieur Desmarais va bien s'occuper de son Ti-jean comme il l'a toujours fait...quand il sera retraité et retirera les dividendes de son bon travail de dépossession tranquille.
Archives de Vigile Répondre
9 août 2012Quand le Premier ministre a des conférence seulement les gens invités
savent l’endroit et l’itinéraire de l’endroit ou cela se passera.
Comment expliquer que M.Brandone s’est rendu direct a cette conférence,
a demander à parler a John James et que les gardes du corps ont obtempérer ?
Essayez de vous rendre j’usqu’à lui sans être repousser par les gardes du corps
de John James notre premier minus, il le savait et l’attendait!
De plus John James a accepté de lui parler, vraiment étrange non ?
Ça devait être urgent! ET là un Black-Out des policiers!
On aura jamais la réponse mais on la connaît.
Jean-Pierre Bouchard Répondre
9 août 2012Si Radio Canada peut laisser Enquête jusqu'à s'approcher de John Charest c'est que SRC vend la CAQ. Grossière affirmation pas si folle pourtant!
La tolérance bienvenue de C.Sirois envers les paradis fiscaux qui serait dans l'ombre suspecte de la CAQ, les contradictions de la CAQ quant à son programme, baisse d'impôts et lutte contre la dette pourtant décisive selon le désir du mentor obsessionnel Lucien Bouchard; l'intégrité d'un Duchesneau policier qui ne s'indigne pas des 25,000 dollars réclamés pour les candidats caquistes et qui devrait surfer sur la loi et l'ordre contre les étudiants.
Toute une alternative aux libéraux que les caquistes! Réélection libérale ou gouvernement de la CAQ c'est la même offre pour la dépression politique le 4 septembre.
En attendant J.Charest depuis la commission Bastarache connaît une lente agonie politique qui semble prendre son envol fatal. Comment croire qu'il peut rallier malgré ses promesses bonbons 35% et plus de l'électorat francophone le 4 septembre?
Son espoir la division du vote et le cynisme, l'abstention.
Archives de Vigile Répondre
9 août 2012Juste une correction, ici; c'est la loi 178 qui modifie la charte de la langue française, et non pas la loi 78 comme vous l'écrivez, que tout le monde connait et qui est en fait un projet de loi, devenue la loi 12. Merci.
Archives de Vigile Répondre
9 août 2012M. Le Hir
Dans le Journal de Québec ce matin, à la Une il y avait bien entendu Céline Dion, Londres 2012 et un fait divers en grosses lettres à des années lumières des élections.
Ce n'est qu'à la page 7 en bas à droite où l'on donne seulement la version de Jean Charest à propos de la filature policière de la SQ.
Jean Lapierre à bord de l'Express 2012 TVA continue de faire la promotion de Jean Charest et nous rappelle à tous les jours comment les étudiants avec leurs carrés rouges sont une manace pour la loi et l'ordre.
Ma question:
Est-ce que la promotion du parti libéral par Québecor (TVA) est comptabilisée comme une dépense électorale?
Yves Rancourt Répondre
9 août 2012Monsieur Le Hir,
Ce "pavé", comme vous dites, aura assurément pour effet de convaincre encore un peu plus certains Québécois de donner leur vote au parti que l'on nous présente avec insistance dans les médias comme le plus intègre et le plus susceptible de faire le grand ménage, la CAQ. Est-ce là l'effet recherché par toutes ces révélations? À chacun de juger.
Vous nous parlez ensuite de l'"ego surdimensionné" de Jacques Duchesneau. Or, en examinant son cv sur Wikipédia, on comprend pourquoi. Il est médaillé comme pas un: membre de l'Ordre du Canada(1996), Chevalier de l'Ordre national du Québec(2008), médaillé du jubilé de la reine Élisabeth, de l'Ordre de la Pléiade, décoré des Forces canadiennes, et quoi encore. Il a de quoi se gonfler le torse, le monsieur. Son parcours nous indique à tout le moins qu'il est bien perçu par les autorités fédérales. Chose certaine, quelqu'un qui parle aussi fort et avec autant d'assurance le fait généralement parce qu'il se sent fortement appuyé, et ce en haut lieu. Sa déclaration, corrigée par la suite, à l'effet qu'il choisirait des ministres, ne pouvait en ce sens n'être qu'un simple lapsus. On lui avait manifestement offert beaucoup et il y a fort à parier que ce n'est pas François Legault seul qui est arrivé à le convaincre de se joindre à la CAQ.
Il serait intéressant qu'on en apprenne davantage sur ce personnage et les raisons pour lesquelles il s'est joint à la CAQ, d'ici la fin de la campagne.
Salutations.
Archives de Vigile Répondre
9 août 2012Je crois que la riche élite capitaliste de la finance et des affaires sait déjà qui elle veut mettre au gouvernement.
C'est peut-être la CAQ maintenant ou le PQ. Je sais que ce n'est pas ON, QS ou le parti vert en tout cas.
J'ai un ami qui milite pour QS qui, lorsqu'il parle à des militants de l'un des trois partis de l'establishment et qu'il aborde le sujet du bien commun, ces militants souvent le ramènent à lui-même en lui demandant par exemple: "As-tu slacké un peu sur l'alcool?" (Cet ami est un bon vivant).
Mais je me dis que c'est étrange cette tendance qu'ont les militants des partis de l'establishment à toujours inviter leurs interlocuteurs à réfléchir sur eux-mêmes, surtout lorsque le sujet vire au bien commun.
Ça doit être pour ça que les gens de la droite pro-capitaliste parlent toujours de "responsabilité personnelle"; c'est pour ne pas avoir à s'occuper du bien commun et ne pas avoir à travailler à l'avènement d'une société juste dans laquelle tous peuvent accéder à une vie décente et heureuse.
Archives de Vigile Répondre
9 août 2012L'arrestation d'Accurso ce matin, qui met en cause des fonctionnaires de Revenu-Canada, ne met-il pas en lien la nomination de ces mêmes personnes, à l'époque du gouvernement de Jean Chrétien, avec les gens provenant du PLC et qui opèrent maintenant au sein de la CAQ?
Je crois que, dans les prochains jours, des liens se feront entre cette mafia et le financement du parti de Légeault-Sirois-Barrette et Duchesneau...
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
9 août 2012Et Duchesneau, quand sortirons-nous ses dossiers "maire de Montréal" et surtout "Aéroport De Montréal"... on se souvient que sa mission de sécurité y avait fini en queue de poisson...
Archives de Vigile Répondre
9 août 2012Concernant le camouflage que La Presse a réservé à cette "nouvelle qui éclipse toute les autres" (sauf chez Gesca de tout évidence) j'aimerais rappeler une chose dont j'ai l'intime conviction: le rôle du pupitreur dans un journal comme La Presse est aussi sinon plus important que la page éditoriale.
Qui engage le pupitreur de La Presse ? Quelqu'un a-t-il la réponse ?
Archives de Vigile Répondre
9 août 2012Une histoire en rappelle une autre. Cela ne ressemble-t-il pas à l'approche feutrée (opaque plutôt) de la nomination des juges où on ne peut rien prouver, mais dont on sait combien c'est vrai. La stratégie est la même: nier, contre-attaquer, jurer sur ses grands dieux, mais surtout ne rien dire de la situation en question.
Comme pour le scandale des commandites: à la rigueur on ne prend que les petits poissons. Ali-Babar n'a jamais été inquiété. Ni ses gros sbires qui s'en sont mis plein les poches en plus de torpiller la naissance du pays. Les lois sont pour les naïfs.
Archives de Vigile Répondre
9 août 2012Monsieur Le Hir,
Vous écrivez :
«... et s’il ne lui reste aujourd’hui plus une once de crédibilité, c’est que tous les Québécois ont pu l’y voir en pleine action se dépêtrer dans ses propres témoignages contradictoires ou en réponse aux témoignages qui contredisaient le sien. »
Malheureusement, les Québécois n'y verront rien car ILS NE VEULENT PAS VOIR L’ÉVIDENCE! La corruption endémique s'est infiltrée dans la conscience de tout le monde. Formatés, exacerbés, les Québécois nient la réalité car elle terrifie, et on les comprendrait à moins. Quant à la CAQ, Duchesneau et autres hypertrophies de l'idiot de Dostoievski, on ne peut que rire – au sens où l’entend Georges Bataille – en écoutant les discours nauséeux de fonds d’égouts.
Comme propagande de communication, La Presse illustre bien la sottise des parvenus dans laquelle tomberont toujours les faibles d’esprit.
Très instructif, votre article, comme toujours…
Archives de Vigile Répondre
9 août 2012Sauf que le Parti Québécois n'est pas blanc comme neige non plus. Vous pensez bien que le SCRS, qui ont des antennes partout, ont déjà relayé les dossiers requis à qui de droit. Je le répète, cette campagne est orchestrée de main de maître par les fédéralistes depuis un bon moment.
Après les élections, les vrais choses devront être dites. Ces élections sont déjà illégitimes de par les grotesques manipulations dont le peuple québécois fait ENCORE les frais. J'espère que vous ne dormez encore tout à fait.