Un oui haut et fort à un Québec laïque et pluraliste

Laïcité — débat québécois


Simone Landry - Tout d'abord, une anecdote. À plus de 90 ans, une femme de mon proche entourage, en perte de mémoire depuis deux ou trois ans, se brise une hanche, comme c'est si souvent le cas. Elle se remet autant que faire se peut, dans un hôpital de la Montérégie. Dans sa chambre, au-dessus du grand cadran égrenant les secondes, les minutes, les heures qui n'en finissent plus de s'écouler, un crucifix, pas très grand, mais assez pour accrocher l'œil fatigué qui ne voulait que regarder l'heure.
La femme dont je parle a grandi et élevé sa famille dans la région de Lanaudière, jusqu'au milieu des années 1950. Petit à petit, sans en faire tout un plat, elle a cessé de fréquenter l'église — non sans avoir dit en son temps au curé, qui la soupçonnait «d'empêcher la famille», qu'ils étaient deux dans la chambre à coucher et n'avaient pas besoin d'une troisième personne.
Nous visitons cette femme devenue légèrement aphasique. Elle pointe le crucifix et demande qui l'a placé là. Elle croit avoir vu un homme entrer dans la chambre, du côté de la fenêtre, pour installer au mur ce crucifix, juste au-dessus de l'horloge. Ce crucifix la dérange, elle qui a pourtant été élevée dans la religion catholique. Elle, qui se voit perdre toutes ses facultés et qui ne cesse de répéter qu'elle voudrait mourir, est contrainte de voir devant elle ce crucifix, heure après heure, jour après jour.
Dans un autre hôpital, dans une chambre de soins palliatifs où est décédée il y a peu une autre femme, très proche, beaucoup plus jeune, ses enfants, au moment où elle a intégré cette chambre, ont enlevé eux-mêmes le crucifix fixé au mur. Cette femme, au fil des ans, s'était ouverte à d'autres voix spirituelles, que ce crucifix ne pouvait symboliser.
[La Déclaration des intellectuels pour la laïcit->26291]é, dans un texte d'une intelligence et d'une clarté lumineuses, présente une synthèse d'une grande cohérence, fondant la nécessité pour l'État québécois d'affirmer sans ambages sa laïcité, laquelle, aux yeux des auteurs de ce manifeste, «fait partie du paysage historique québécois», ses acquis récents caractérisant par ailleurs le Québec moderne. C'est dans cet esprit que la laïcité «ouverte» prêchée par le rapport Bouchard-Taylor est ici décrite comme étant «en pratique une négation de la laïcité de l'État puisqu'elle permet toute forme d'accommodement des institutions publiques avec une religion ou une autre».
Ainsi, le port du foulard islamique pour une enseignante dans une école publique déroge de toute évidence à ce principe de neutralité religieuse qui doit caractériser les institutions publiques. Tout comme le port de la kippa par un professeur d'université. Le crucifix de l'Assemblée nationale et des salles de conseils municipaux doit aussi disparaître dans un État vraiment laïque. Et le crucifix qui surplombe les horloges de toutes les chambres des malades de l'hôpital où repose, en espérant la mort, la vieille dame dont je parle plus haut, troublant la paix de l'âme à laquelle elle a droit, doit aussi s'en aller...
Je n'ai évoqué ici que la question des signes religieux dans les institutions publiques, et plus particulièrement du crucifix des catholiques. L'établissement d'une véritable laïcisation de l'État québécois va certes beaucoup plus loin. Mais si j'ai choisi de m'intéresser plus spécifiquement à la question du crucifix dans les chambres d'hôpital, c'est que j'ai pu constater jusqu'à quel point, pour des Québécois nés en cette terre, élevés dans la religion catholique qu'ils ont ensuite choisi de quitter, la présence de ce symbole, alors qu'ils sont en état de très grande vulnérabilité, peut être troublant et même irritant.
Et pour bien marquer, comme le font les signataires de la Déclaration des intellectuels pour la laïcité, qu'opter pour la laïcité de l'État québécois n'est pas une posture raciste ou xénophobe. Je tiens donc à affirmer ici haut et fort mon appui sans réserve à la déclaration de ces intellectuels éclairés, dont j'estime faire partie.
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Simone Landry - Professeure associée à l'Université du Québec à Montréal


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