Un exercice linguistique réussi

Livres - revues - 2010



Une fois de plus, la chicane linguistique est pognée. «Oh, pardon! La querelle a de nouveau éclaté...»
Cette fois, c'est la parution de Colocs en stock, version québécoise de Coke en stock, une aventure de Tintin «traduite» et adaptée par Yves Laberge, qui suscite la polémique.
À cette occasion, on observe un curieux retournement de situation. Plusieurs linguistes s'inquiètent du fait que l'album est publié dans la collection Langues régionales, ce qui semblerait rabaisser le québécois, qui n'est, à leurs yeux, ni une langue étrangère ni un dialecte, mais une «variante de français», au même titre que le français de France.

Pour apprécier Colocs en stock, il faut relire Coke en stock. Le défi qui se présentait au traducteur-adaptateur était de taille. Il fallait respecter la logique de l'histoire, conserver les traits de caractère des personnages, rendre le comique des situations, trouver une adéquation entre les dessins d'Hergé et le texte québécois, le tout dans un français québécois parlé qui ne soit ni vulgaire, ni artificiel, ni folklorique.
Même si l'on peut chipoter sur quelques termes ou expressions, l'ensemble est réussi. L'objectif premier de la bd, qui est de faire rire, est parfaitement atteint. On ne rit pas du français des Québécois. On rit (de bon coeur) à l'astuce, aux trouvailles du traducteur-adaptateur, qui a bien compris que la pragmatique du québécois parlé est très différente de celle du français parlé. Tous les moyens linguistiques employés sont connus des Québécois et renvoient à des images familières. Parfois, la version d'Yves Laberge est même plus drôle que celle d'Hergé...
Nous avons une langue vernaculaire le québécois qui nous est propre. Cette variété de langue est composée, sur une base française, de dialectalismes, d'archaïsmes et d'anglicismes. Elle représente le legs du passé particulier des Québécois. Du fait de ses origines, elle fait l'objet de jugements contradictoires, oscillant entre hyperstigmatisation et survalorisation. Nous avons aussi une langue véhiculaire, le français international, que nous partageons avec les francophones du monde entier.
À chacune de ces deux variétés de langue sont assignées des fonctions différentes. Le québécois est la langue des situations familières; le français international, celle des situations dans lesquelles une langue soignée est requise. Comme le québécois nous est propre, il joue le rôle de langue identitaire. C'est pourquoi il est si souvent utilisé dans les domaines de la littérature, de la chanson et de l'humour.
C'est pourquoi aussi nous pouvons maintenant lire un Tintin dans deux versions. Avec, dans chaque cas, un regard différent.
Lionel Meney, linguiste et lexicographe, Québec

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Lionel Meney13 articles

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Linguiste et lexicographe, Lionel Meney a été professeur titulaire à
l’Université Laval (Québec). Il est l’auteur du « Dictionnaire
québécois-français : pour mieux se comprendre entre francophones » (Guérin, Montréal, 1999) et de « Main basse sur la langue : idéologie et interventionnisme linguistique au Québec » (Liber, Montréal, 2010).





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