Éthique et culture religieuse

Un cours qui viole la liberté de conscience des hassidim

ECR - Éthique et culture religieuse



Le Devoir faisait état récemment d'une nouvelle ronde de négociations entre les autorités du ministère de l'Éducation et un certain nombre d'écoles confessionnelles privées qui se rattachent au courant hassidique, entre autres au sujet du nouveau cours d'éthique et culture religieuse.
Il serait sans doute utile dans ce contexte de réfléchir sur les enjeux pédagogiques et théologiques qui affectent la vie des minorités religieuses, notamment dans le cas des communautés d'allégeance hassidique qui sont présentes dans la métropole. Une école juive orthodoxe se définit comme une institution où les enfants, les parents, les administrateurs et la plupart des enseignants adhèrent formellement à une seule et même croyance religieuse, le judaïsme.
Au sein de ce type d'institution, un ensemble de valeurs et de préceptes rythment le comportement des personnes et dictent l'approche à suivre en vue des apprentissages. Dans le cas des hassidim, une grande attention est portée à l'observation des préceptes judaïques dans les moindres détails, qu'il s'agisse du calendrier scolaire, de l'alimentation, de l'habillement ou de la division des sexes. Ce principe s'étend bien sûr aux manuels scolaires, aux notions enseignées en dehors de la sphère religieuse et à plus forte raison au rapport avec l'extérieur.
Raisons historiques
Mis à part les motivations strictement théologiques déjà citées, certaines raisons historiques expliquent la volonté que manifestent les Juifs hassidiques de se garder en retrait du mouvement général de la société, dont les sévices qu'ont vécus leurs communautés en Europe durant l'Holocauste.
Les adeptes de ce courant religieux cherchent aussi à se tenir à l'écart des milieux dans lesquels leurs valeurs sont ouvertement contredites et où leur sensibilité risque d'être mise à rude épreuve. En agissant ainsi, les hassidim ne sont pas motivés par un isolationnisme malveillant ou par un mépris des lois du pays où ils jouissent des mêmes libertés que les autres citoyens, mais par un désir profond de transmettre leur tradition religieuse aux jeunes générations et de mettre en pratique les préceptes hérités de la Torah.
Quelques ajustements
Les Juifs hassidiques sont prêts à consentir à un certain nombre d'ajustements dans leurs écoles en ce qui a trait aux horaires, aux matières séculières enseignées et aux compétences des maîtres. Ils se plient également à une série de règles imposées par l'État pour assurer la sécurité et la salubrité des édifices où se rendent les enfants.
En soi, ces contraintes universelles n'entament en rien la piété et la probité religieuse des écoles hassidiques. Dans le cas du ministère de l'Éducation, elles sont accompagnées d'un versement qui couvre 60 % de la subvention accordée pour un élève dans une école publique ordinaire. Ce montant est attribué à l'ensemble des écoles juives, quel que soit leur régime religieux; il est aussi offert à d'autres écoles privées confessionnelles.
Une telle mesure d'appui financier de la part de l'État québécois est assortie de l'obligation d'enseigner un certain nombre d'heures de français par semaine, exigence à laquelle se conforme la grande majorité des écoles hassidiques. La difficulté principale ne tient pas ici à un refus de reconnaître les exigences officielles, mais au fait que les enfants qui fréquentent ces institutions suivent déjà un programme judaïque très exigeant par le nombre d'heures que l'on y consacre.
Liberté de conscience
Pour l'essentiel, les problèmes souvent techniques dont on faisait état récemment peuvent être résolus par voie de négociation et ils le seront sans doute. Il en va tout autrement de l'obligation de donner un cours d'éthique et de culture religieuse dont les prémisses et les objectifs pédagogiques violent la liberté de conscience des Juifs de confession hassidique.
À n'en pas douter, cette réaction est difficile à comprendre dans un contexte occidental où il est généralement admis, depuis le Siècle des lumières, que toutes les traditions religieuses se valent et qu'un individu éclairé peut se renseigner à leur sujet sans subir de préjudice particulier. Il reste que les hassidim rejettent cette perspective rationaliste, car ils craignent qu'elle n'équivaille à un déni de leur droit à une vie religieuse en conformité avec leur interprétation du judaïsme. Compte tenu de leurs valeurs, il serait fort étonnant que les membres de ces communautés hassidiques changent d'avis sur une question semblable.
Bataille juridique
Nous vivons dans une société où l'ensemble des lois est sujet à la Charte des droits et libertés de la personne, notamment à l'article 3 qui affirme le caractère inaliéEn ce qui concerne les écoles hassidiques et les autres maisons d'enseignement animées par des valeurs religieuses précises, l'État ne devrait-il pas reconnaître la volonté des croyants de se soustraire à une approche pédagogique qui heurte leurs croyances profondes?
Comme lorsqu'il s'agit de litiges mineurs, le ministère de l'Éducation pourrait certes imposer sa volonté dans ce cas en s'appuyant sur une interprétation stricte et littérale de ses responsabilités. Mais en agissant ainsi, l'État risque de déclencher une bataille juridique dont il pourrait fort vraisemblablement sortir perdant. Il aurait aussi à porter l'odieux d'envoyer ses agents dicter aux enfants et à leurs parents des opinions qui leur répugnent en tant que membres d'une communauté de foi.
Mission de l'État
Qui plus est, il y a fort à parier qu'à l'instar des jeunes filles voilées, une stratégie d'affrontement faite d'ordres péremptoires ne ferait que marginaliser davantage des collectivités faisant déjà l'objet de préjugés et trouvant difficilement à être entendues hors du cercle étroit de leurs membres. On peine à imaginer une manière aussi peu pédagogique d'inculquer aux Québécois une approche respectueuse de la diversité, quelles que soient l'origine, la couleur ou les croyances des citoyens concernés.
Dans cette situation, il ne fait aucun doute qu'il y a urgence pour l'État de prendre contact avec les communautés concernées afin de négocier des ententes de bon aloi et de mesurer le chemin qu'il reste à parcourir à la lumière des droits fondamentaux auxquels les Québécois tiennent tant. De plus, il serait sans doute utile de rappeler ouvertement les raisons qui motivent notre tolérance au pluralisme religieux, en particulier dans le domaine scolaire. Car l'affaire qui nous préoccupe comporte des enjeux qui vont au-delà des querelles administratives habituelles, et qui relèvent de la mission éducative de l'État au sens le plus noble.
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Pierre Anctil, Professeur titulaire au département d'histoire de l'Université d'Ottawa


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