Saint-Jérôme — La nouvelle a résonné comme un coup de tonnerre. Après s’y être refusé pendant des mois, l’homme d’affaires Pierre Karl Péladeau a sauté dans l’arène politique dimanche, causant la surprise à gauche et à droite.
Le magnat des médias — dont la fortune est évaluée à vue d’oeil à un milliard de dollars — briguera les suffrages sous la bannière du Parti québécois notamment afin de « léguer [à ses trois enfants] un pays dont ils seront fiers ».« Mon adhésion au Parti québécois est une adhésion à mes valeurs les plus profondes et les plus intimes, c’est-à-dire faire du Québec un pays ! », a déclaré le candidat vedette, poing levé, à des dizaines de militants entassés dans la Vieille-Gare de Saint-Jérôme.
La chef du PQ, Pauline Marois, a réussi à convaincre l’ex grand patron de Québecor de se joindre à l’équipe de candidats péquistes au terme d’une campagne de séduction de « quelques mois » durant laquelle elle a même « parlé à certains de ses amis pour l’influencer ».
M. Péladeau lui a annoncé sa décision 48 heures avant le coup d’envoi de la campagne électorale, c’est-à-dire le lundi 3 mars. « Ce n’est pas tous les jours qu’on voit le dirigeant d’une grande entreprise choisir de s’investir dans le service public en mettant son talent, son expérience, son énergie au service de ses concitoyens », a souligné Mme Marois à l’occasion d’une conférence de presse fort courue.
Saluée ou dénoncée, l’entrée en scène de « PKP » suscite des remous au sein de la classe politique et économique. M. Péladeau s’y attendait. Il a mis de l’ordre dans ses affaires avant de « signer » sa carte de membre du PQ dimanche matin à bord de l’autocar de campagne de la chef péquiste. Il a tourné le dos à quelque 25 années consacrées à Québecor — une entreprise fondée par son père, Pierre Péladeau — en remettant sa démission aux conseils d’administration du Groupe TVA (président), de Québecor Média (président) et de Québecor (vice-président). Il a également renoncé à son poste de président du conseil d’administration d’Hydro-Québec.
Pierre Karl Péladeau confiera « tous ses avoirs économiques » à une fiducie sans droit de regard afin de se conformer au Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale du Québec. Il se refuse toutefois de céder ses actions dans Québecor.
S’il se départait de ses actions dans Québecor, M. Péladeau empocherait la coquette somme de 1 milliard de dollars, dont une prime de contrôle de 300 millions.
Voyant poindre à l’horizon un « problème d’indépendance et de conflit d’intérêts », le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a appelé M. Péladeau à vendre ses actions. « Si Pierre Karl Péladeau veut faire de la politique, il ne peut avoir un contrôle sur les médias qui contrôlent une bonne partie de l’information au Québec », a-t-il affirmé, suggérant au nouvel homme politique de s’inspirer de Michael Sabia, qui a cédé ses options de BCE quand il est arrivé à la tête de la Caisse de dépôt et placement.
Demande « irréaliste » et « surnaturelle »
La proposition de la CAQ apparaît « irréaliste » et « surnaturelle » aux yeux du directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations publiques et privées (IGOPP), Michel Nadeau. « Vous pouvez toujours liquider des petits portefeuilles — 10 000 actions de BCE par exemple — en 30 secondes sur Internet, mais pas des centaines de millions de dollars dans une entreprise où le titre est moins liquide », a-t-il indiqué, avant de préciser que le « seul acheteur possible » aurait été la Caisse de dépôt et placement.
La décision de M. Péladeau s’inscrit dans une « longue tradition », fait remarquer M. Nadeau. L’ancien ministre fédéral des Finances Paul Martin avait cédé le contrôle de Canada Steamship Lines à une fiducie avant de faire le saut en politique active, a-t-il rappelé.
En confiant ses avoirs à une fiducie, « l’actionnaire [Pierre Karl Péladeau] n’aura pas de rôle. Ce sont les conseils d’administration, où désormais M. Péladeau est absent, qui prendront toutes les grandes décisions pour l’entreprise », explique-t-il.
Selon le d. g. de l’IGOPP, « une presse vigilante va relever les anomalies ». « Évidemment, il y aura toujours des gens qui vont dire : “Je vais être gentil avec lui dans l’espoir qu’il me donne un 50 000 $ pour mon musée ou un 100 000 $ pour ma fondation lorsqu’il redeviendra à la tête de Québecor.”Mais ça, c’est dans la tête des gens », fait valoir M. Nadeau.
Député, ministre, M. Péladeau restera le plus important actionnaire de l’empire médiatique Québecor. Mais cela n’aura aucun impact sur la couverture médiatique faite par les journalistes de TVA, de LCN, du Journal de Montréal, du Journal de Québec ou de Sun News Network, a-t-il soutenu. Vous connaissez la politique chez Québecor : la direction n’intervient pas dans le contenu éditorial. »
De son côté, Pauline Marois s’est défendue d’avoir déjà plié sous l’influence de M. Péladeau, en retirant de la plateforme électorale l’engagement de réviser la loi anti-briseurs de grève afin de gagner la faveur de M. Péladeau.
L’homme d’affaires controversé tirera à coup sûr le PQ à droite, a déploré dimanche la coporte-parole de Québec solidaire Françoise David, appelant l’électorat péquiste progressiste à trouver refuge au sein de sa formation politique. Reprenant une citation de Bernard Landry, Pierre Karl Péladeau a dit vouloir amener le Québec « ni à gauche ni à droite, [mais] en avant ».
D’ailleurs, M. Péladeau a cherché à se distancier de son image de chef d’entreprise intraitable — voire de « champion toutes catégories au Québec des lockouts » comme le décrivait Stéphane Bergeron —, dont celui au Journal de Montréal. « Ç’a été dur. Évidemment, ce n’est pas quelque chose que je souhaitais », a-t-il dit dimanche.
Cependant, à l’Assemblée nationale, M. Péladeau n’aura pas le même ton. « L’entreprise privée est redevable aux actionnaires. L’État est redevable aux citoyens et à la collectivité. [...] Je ne crois pas que l’État doit être dirigé comme une entreprise. »
Grande coalition
Le PQ a frappé un grand coup en réussissant à convaincre le magnat de la presse de faire le saut dans l’arène politique. « Le Canadien de Montréal a son PK [prononcer à l’anglaise], le Parti québécois a son PK », a lancé le conseiller municipal à Saint-Jérôme Mario Fauteux.
Avec l’arrivée de M. Péladeau, le PQ s’impose de nouveau comme une « grande coalition » de souverainistes. « Les astres s’alignent », s’est réjoui le syndicaliste et progressiste Marc Laviolette, jugeant plus probable l’élection d’un gouvernement péquiste majoritaire le 7 avril prochain et une nouvelle consultation sur l’avenir du Québec. L’ancien président de la CSN a salué la candidature de M. Péladeau comme celles de tous les souverainistes « au centre, à gauche, à droite » qui se rallient au PQ. « L’important, c’est de s’unir. C’est seulement avec une majorité de députés souverainistes qu’on va être capables de poser la question aux Québécois : veut-on un pays ou pas ? »
Le PQ bouclera la boucle de son équipe économique avec la désignation lundi du président de Manufacturiers et exportateurs du Québec, Simon Prévost, dans la circonscription de Montarville.
Un candidat milliardaire au PQ
L’entrée en scène de Pierre Karl Péladeau fait des vagues à gauche comme à droite
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