Au lendemain de l’élection du 7 avril, le premier ministre élu, Philippe Couillard, soulignait à propos de l’avenir du Parti québécois et de la souveraineté qu’« une idée ne meurt jamais ». À charge maintenant pour le Parti québécois de décider s’il veut toujours porter cette idée, puis, le cas échéant, de définir comment il la fera progresser.
Les militants péquistes auront ces prochains mois une réflexion à mener que l’on pourrait à juste titre qualifier d’existentielle. Cette élection fut, en dépit de leur volonté, un référendum sur le référendum dont ils sont sortis démolis, encore plus que lors des référendums de 1980 et de 1995. Personne n’avait le coeur lundi soir de dire « à la prochaine fois », comme l’avait fait René Lévesque le soir du 20 mai 1980. Le prochain rendez-vous, plus personne ne sait quand il sera, ni si jamais il y en a un autre.
Si on additionne les votes recueillis par le Parti libéral et la Coalition avenir Québec, ce sont 63 % des électeurs qui ont dit non à un troisième référendum, ce qui pourrait laisser croire qu’ils ont aussi dit non à la souveraineté. Il y a là un raccourci à ne pas prendre, ce qu’a bien compris le premier ministre élu Philippe Couillard. La souveraineté du Québec est ancrée dans son histoire, mais les perspectives ont changé depuis que l’appui que les Québécois lui ont accordé a culminé en 1995 pour arriver à 20 000 voix près d’une victoire du Oui.
Il serait utile que, dans la réflexion qu’ils feront, les militants souverainistes remontent la ligne du temps de leur mouvement. Le Québec et le Canada d’aujourd’hui sont différents de ce qu’ils étaient en 1968 à la naissance du Parti québécois. Celui-ci, au fil de ses trois passages au pouvoir, a contribué à changer les choses sur le plan économique, social et culturel. Pensons seulement à la loi 101. Le Québec dispose d’institutions solides comme la Caisse de dépôt et placement pour appuyer son développement économique. La société a aussi changé sur le plan démographique avec l’immigration. Elle est devenue multiculturelle. Le phénomène de la mondialisation est aussi venu transformer les rapports économiques du Québec avec le reste du monde, tandis que la mondialisation culturelle portée par la révolution technologique faisait disparaître toutes les frontières et transformait les identités et les valeurs devenues plus individuelles que collectives.
Tous ces changements pèsent sur l’appréciation qu’ont les Québécois du projet d’indépendance. À certains, il apparaît moins nécessaire, à d’autres moins urgent. Il y a certains militantspourtant convaincus, comme l’ancienne ministre Louise Beaudoin, qui se découragent, se demandant s’il ne faut pas jeter l’éponge.
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La question est brutale, mais c’est sans doute la première question à poser. Le Parti québécois doit se demander si la souveraineté du Québec est toujours pertinente, de la même manière que l’avait fait le Labour Party britannique de Tony Blair en 1994 en abandonnant le précepte de la nationalisation des moyens de production et de distribution des biens, qui était l’équivalent pour ce parti de ce qu’est au Parti québécois la souveraineté. Le seul à avoir posé une telle question dans l’histoire du Parti québécois est René Lévesque, qui mit entre parenthèses en 1984 la souveraineté, faisant le pari du « beau risque » que représentait la proposition du premier ministre Brian Mulroney de réintégrer le Québec dans « l’honneur et l’enthousiasme » dans la Constitution canadienne. On sait ce qu’il en advint. Il n’y eut ni honneur ni enthousiasme. Sauf que cette fois-ci, il n’y a personne qui tend la main au Québec. Il n’y a aucune sortie honorable en vue si le Parti québécois abandonnait la souveraineté. Pour plusieurs, ce serait abdiquer.
Nous ne suggérons pas ici que la réponse du Parti québécois doive être oui ou non. Nous disons plutôt qu’il ne peut faire l’économie d’un tel exercice qui est préalable à celui qui portera sur les stratégies. Trop souvent, ce parti s’est contenté au lendemain d’échecs électoraux ou référendaires de débattre de stratégies portant la plupart du temps sur la démarche référendaire et l’engagement à tenir ou non un référendum dans le prochain mandat. Le débat se soldait le plus souvent par une formule du type « lorsque les conditions gagnantes seront réunies ».
La réponse à la question de la pertinence de la souveraineté, si elle est négative, conduira le Parti québécois à se transformer radicalement. Survivrait-il à l’abandon de son article premier ? Ce n’est pas parce que le Labour Party a réussi ce passage qu’il le réussirait. Aux yeux des Québécois, ce parti se définit d’abord par son projet souverainiste. De nombreux militants le quitteraient pour Option nationale et Québec solidaire. Ce nouveau Parti québécois devrait par ailleurs se définir par rapport à laCoalition avenir Québec qui serait son principal concurrent et qui a déjà lancé son opération séduction des souverainistes mous. Pour plusieurs années, le grand gagnant serait le Parti libéral.
Si la réponse à la question de la pertinence est positive, un deuxième champ de réflexion s’ouvrira pour redéfinir le projet de souveraineté afin de l’adapter aux réalités d’aujourd’hui. Cet exercice appartiendra d’abord à ceux qui, ces prochainesannées et décennies, porteront ce projet, c’est-à-dire auxAlexandre Cloutier, Véronique Hivon, Jean-François Lisée, Sylvain Gaudreault et autres nouveaux leaders qui ont commencé à s’affirmer au sein du gouvernement Marois. Ils sont de la même génération que ces électeurs qu’il faut convaincre que la souveraineté est un projet d’avenir. Le Parti québécois de demain, ce sont eux. La bonne nouvelle est qu’un passage générationnel essentiel à sa survie est en voie de se faire au sein du parti. Les réalités qui sont celles de la nouvelle génération, comme leurs valeurs, sont différentes de celles de la génération des fondateurs du parti, qui doit prendre acte, à la lumière des résultats du 7 avril, de ce changement.
Dans cette réflexion, il faudra prendre conscience aussi d’un changement d’horizon. Le grand soir s’est éloigné, d’abord parce que bien sûr le Parti libéral est au pouvoir pour au moins quatre ans, puis parce que même dans la perspective d’un retour au pouvoir du Parti québécois lors de la prochaine élection, il faudra beaucoup de circonstances favorables pour tenir un nouveau référendum rapidement. La première marche à monter, comme disait déjà Jacques Parizeau, consiste à revenir au gouvernement, condition préalable à la tenue du référendum. Toute la question consistera à trouver la bonne stratégie pour monter cette marche. Déjà, le débat s’amorce à ce propos, certains demandant que le Parti québécois s’en tienne désormais à faire la promotion de la souveraineté, laissant de côté la stratégie du bon gouvernement. Ce débat a déjà été fait plusieurs fois. Encore là, il faut revenir à Jacques Parizeau, qui, dans laperspective de pouvoir monter la deuxième marche, faisaitcampagne autant sur la souveraineté que sur le bon gouvernement, sachant que les électeurs n’ont pas comme seule préoccupation la souveraineté.
ÉLECTIONS 2014
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