C'est presque devenu un effet de mode: tout le monde réclame une commission d'enquête sur les allégations de corruption dans le monde municipal. Mais serait-ce vraiment la solution la plus efficace?
Certes, de tels déballages feraient le bonheur des médias et des cabinets d'avocats. Mais l'expérience en a démontré les limites.
Quel fut le legs durable de la commission Cliche sur la violence dans l'industrie de la construction, à part d'avoir servi de tremplin politique à Brian Mulroney, Lucien Bouchard et Guy Chevrette? Qui peut prétendre que le mal a été éradiqué?
La commission Gomery fut le feuilleton de l'année, avec ses bons et ses vilains, et d'effroyables dommages collatéraux quand on pense aux réputations qui ont été démolies sans raison. Résultat de ce gros spectacle qui a coûté plus de 75 millions aux contribuables: quelques poursuites judiciaires, que la GRC aurait pu mener d'elle-même, et un rapport qui restera éternellement sur les tablettes parce que ses recommandations étaient marquées par l'angélisme et la méconnaissance des réalités gouvernementales.
Autre mégaproduction, la commission Bouchard-Taylor. Après des mois de psychodrame, elle a accouché d'un rapport intelligent, mais ses recommandations sont tombées dans l'oubli. Un an plus tard, on était revenu à la case départ: un sondage indiquait que l'opinion publique n'avait pas bougé d'un pouce depuis 2007. C'est comme si cette commission n'avait jamais existé!
Une commission d'enquête sur la corruption dans le monde municipal? Il y aurait beaucoup de bruit pour pas grand-chose, beaucoup de boue lancée dans toutes les directions, beaucoup de règlements de comptes politiques, et, dans le meilleur des cas, des recommandations sensées... mais que les gouvernements auraient pu mettre en oeuvre d'eux-mêmes.
Ce serait une opération extrêmement coûteuse, dont le mandat serait gigantesque puisqu'on ne pourrait décemment limiter l'enquête à Montréal, les mêmes magouilles se produisant dans d'autres villes. Et ne faudrait-il pas logiquement élargir le mandat au financement des partis, à la collusion entre entrepreneurs, aux travaux publics provinciaux?
Comme à la commission Gomery, on verrait défiler un tas de témoins qui auraient perdu la mémoire. On y remâcherait des scandales déjà connus (les compteurs d'eau, prise deux). La vedette en serait Benoît Labonté, dont le premier souci, aujourd'hui, est de faire couler avec lui le maximum de gens, sur le thème de «Je l'ai fait mais tout le monde le faisait». Ses allégations, comme nombre de celles qui ont été soulevées à la commission Gomery, détruiraient des réputations sans nécessairement débusquer des coupables.
Car le vice principal des commissions d'enquête, c'est que les lois de la preuve sont relâchées, que la présomption d'innocence n'existe pas, et qu'on peut impunément y raconter n'importe quoi sur n'importe qui. Le juge jouit également d'une plus grande latitude que dans un tribunal régulier, d'où le risque qu'il outrepasse les bornes - ce dont le juge Gomery ne s'est pas privé.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a rien à faire. Mais pourquoi ne pas utiliser des méthodes mieux ciblées? C'est la police qui est le mieux placée pour débusquer les éléments criminels dans l'industrie de la construction, et ses enquêtes ont d'ailleurs commencé à porter fruit. Pour assainir les municipalités, il suffit de modifier le processus d'attribution des contrats, en s'inspirant de ce qui se fait ailleurs - il y a des villes où les choses fonctionnent mieux; ce n'est tout de même pas la mer à boire. Quant au financement des partis politiques, c'est une question qui ne justifie aucunement une commission d'enquête. Il suffirait d'une loi plus réaliste pour régler le problème.
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