Mardi 13 novembre 2018, funérailles de Bernard Landry. Assise au premier jubé de la basilique Notre-Dame de Montréal, je contemple la beauté et l’immensité de cette institution pour la première fois de ma vie adulte. En observant les quelques bancs demeurés vides près de moi et tous ceux du deuxième jubé fermé au public, je confie cette pensée à mon amie « c’est fou de penser qu’à une époque, tous ces bancs pouvaient être remplis ! »…
Peu de temps après, dans un hommage rendu à son grand ami, Lucien Bouchard offrait une forme de « réponse » à cette pensée qui m’avait habitée un peu plus tôt. En évoquant le dernier repas partagé avec Bernard Landry, il a rappelé que, lors de cette soirée, ils ont commémoré avec émotion un grand moment de notre histoire collective : le célèbre discours prononcé par Henri Bourassa au sein même de cette basilique lors du Congrès eucharistique de 1910, devant une foule si nombreuse que des citoyens avaient dû se rassembler sur le parvis de la basilique, faute de pouvoir trouver place à l’intérieur. Ce discours dans lequel Bourassa s’est farouchement opposé aux volontés de Mgr Bourne, archevêque de Westminster, de faire de l’anglais la seule langue de l’Église au Canada. Ce discours dans lequel Bourassa affirmait : « Que l’on se garde, oui, que l’on se garde avec soin d’éteindre ce foyer intense de lumière, qui éclaire tout un continent depuis trois siècles…/Mais, dira-t-on, vous n’êtes qu’une poignée, vous êtes fatalement destinés à disparaître ; pourquoi vous obstiner dans la lutte ? […] Nous ne sommes qu’une poignée ; mais nous comptons pour ce que nous sommes, et nous avons le droit de vivre… »
Il me semble que ces mots prononcés par Bourassa ne peuvent que résonner fortement au lendemain d’un autre jour sombre dans l’histoire collective de la grande aventure du français en Amérique. Quelques jours plus tard, à quelques heures de route de cette basilique dans laquelle les funérailles d’État de Bernard Landry nous rappelaient notre devoir de mémoire, notre devoir de lutter collectivement, plus de 600 000 Franco-Ontariens ont appris au détour d’une phrase d’un énoncé budgétaire in english du gouvernement de Doug Ford qu’ils perdaient le Commissariat aux services en français déjà en place et l’Université de l’Ontario français, qui devait voir le jour sous peu, après des décennies de lutte.
C’est dispendieux, les services en français. Les francophones ont juste à se forcer pour parler anglais, comme tout le monde. Et en plus, il faut bien financer la promesse d’offrir de la bière à 1 $, n’est-ce pas ? !…
Un peu partout on parle d’une « gifle », d’un « recul », d’un autre combat que les Franco-Ontariens devront mener, comme ils l’avaient fait pour sauver l’hôpital Montfort en 1997, lorsque le gouvernement Harris avait annoncé la fermeture du seul hôpital francophone de la province.
Le 22 mars 1997, j’avais 13 ans. J’étais au grand rassemblement au Centre Civic d’Ottawa avec ma mère, ma soeur et je découvrais avec émotion que je faisais partie d’un peuple dont l’histoire avait été remplie de dures batailles pour conserver le droit (non le privilège ; le droit) de vivre en français.
Le 13 novembre 2018, c’était avec une partie de ce même peuple que j’étais rassemblée en cette basilique où la célébration de la vie d’un patriote a fait ressurgir le souvenir de luttes passées. À la différence près que ceux qui se nomment Québécois depuis les années soixante ont le privilège de se sentir majoritaires sur un territoire, en oubliant trop souvent qu’ils sont minoritaires sur tout un continent, tandis que ceux qui choisissent de continuer à parler français partout ailleurs au Canada n’ont pas ce « luxe » de l’oublier.
Le mépris envers le peuple français d’Amérique a revêtu plusieurs formes, noms et visages depuis des siècles. Mais peut-être faudrait-il rappeler que c’est aussi une part de chacun de nous qui parlons et vivons en français qui se trouve attaquée dans des moments comme ceux-ci, que l’offensive vienne d’Ottawa, de Queen’s Park ou de Fredericton. Aussi, j’espère que cette fois, les Québécois sauront se montrer solidaires de ce combat, comme nous avons su l’être dans un passé pourtant pas si lointain.
En cette époque où plusieurs Québécois souverainistes ou nationalistes cherchent des solutions magiques pour se sortir de cette léthargie dans laquelle le mouvement semble s’enliser ; en cette époque où le Parti québécois et le Bloc québécois croient devoir se réinventer pour rendre « leur option » plus attrayante, il me semble que ces événements de l’actualité récente rappellent que l’histoire parle d’elle-même. Mais encore faut-il être à l’écoute.