Le nouveau ministre du Commerce extérieur, Jean-François Lisée, a voulu se démarquer du précédent gouvernement quant à l’Accord économique et commercial global (AÉCG) entre le Canada et l’Union européenne. Le vendredi 5 octobre, il a organisé une rencontre qui lui a permis d’assembler une quarantaine d’organisations de la société civile. Il a aussi réuni autour de lui le négociateur en chef du Québec, Pierre-Marc Johnson et le ministre des Finances, Nicolas Marceau.
Les représentants des organisations présentes ont salué à diverses reprises un pareil événement. Après le secret impénétrable qui avait entouré les négociations sous l’égide du Parti libéral, on appréciait la franchise de son successeur, sa volonté d’entamer un dialogue au sujet d’un accord qui aura d’importantes conséquences sur la façon de gérer notre économie.
Plusieurs sont cependant sortis de la rencontre avec un goût amer. Plutôt que de se montrer à l’écoute des gens dans la salle, le ministre n’a-t-il pas monté de toute pièce une opération de relations publiques pour annoncer l’appui sans réserve de son parti au libre-échange avec l’Europe, alors que celui-ci s’était montré sceptique dans l’opposition?
Il suffit de lire les titres des médias pour constater que l’opération a été réussie. Dans Le Devoir du lendemain, par exemple, on apprenait que «Le PQ se range dans le camp des défenseurs du libre-échange».
Les journalistes présents dans la salle pouvaient seulement écouter les discours officiels et complaisants de Pierre-Marc Johnson (et ceux moins élaborés du ministre). Ils devaient sortir lorsque de nombreux représentants de la société civile faisaient part de leurs objections et de leurs inquiétudes. D’où, chez certains groupes, l’impression d’avoir été manipulés : leur présence devenait en sorte une caution à un point de vue qu’ils ne partageaient pas.
La protection des investissements
Le négociateur a répété une fois de plus l’importance de conclure rapidement l’AÉCG (qu’il nomme toujours de son nom anglais «le CETA», comme le fait aussi Jean-François Lisée). Puisque nos exportations aux États-Unis diminuent, il faut chercher de nouveaux marchés. Pourtant, nous sommes bel et bien liés par un accord de libre-échange avec ce pays, mais celui-ci ne donne plus les résultats attendus.
Pourquoi dans ce cas un accord avec l’Europe serait-il tellement avantageux? Le négociateur n’a donné aucune explication convaincante, sinon qu’il a cherché à faire saliver avec un éventuel marché de 500 000 millions de personnes ouvert à toutes nos exportations.
À ceux qui avaient des réserves devant l’effet miraculeux de l’AÉCG, tant Johnson que Lisée ont répété qu’il ne fallait pas revenir à l’autarcie. Argument fallacieux par excellence : personne ne parle de se replier sur soi-même. Il s’agit seulement d’envisager le commerce international sous un autre principe que celui de la concurrence à tout prix.
Et cela d’autant plus que les relations commerciales entre le Canada et l’Europe sont déjà excellentes et en progression. Ce qui a d’ailleurs été confirmé dans une étude conjointe, commandée par le Canada et l’Europe avant les négociations, intitulée Évaluation des coûts et avantages d’un partenariat économique plus étroit entre l’Union européenne et le Canada.
Johnson a aussi soutenu que cet accord permettrait d’attirer les investisseurs européens. Mais il ne nous a pas expliqué comment. La disposition investisseurs/États, qui favoriserait ces investissements, a cependant soulevé un vif débat dans la salle.
Rappelons que cette disposition est un calque du chapitre 11 de l’ALÉNA et qu’elle permet à des compagnies de poursuivre des gouvernements par l’intermédiaire de tribunaux d’experts au fonctionnement non transparent.
Tant Johnson que Lisée ont voulu démontrer que les Québécois n’avaient rien à craindre de ces tribunaux : le premier parce que le Québec avait été victime de seulement deux poursuites dans le cadre de l’ALÉNA; le second parce que selon lui, une modification, dans un «ALÉNA plus», aurait considérablement réduit la portée de cette disposition.
L’«ALÉNA plus» n’a cependant pas empêché la compagnie AbitibiBowater d’obtenir 130 millions $ de dédommagement payé à même nos taxes, après que la compagnie ait poursuivi le gouvernement canadien à partir du paradis fiscal du Delaware.
Pierre-Marc Johnson a dit qu’il fallait introduire cette disposition dans l’AÉCG parce qu’elle était la norme. Pourtant, devant des poursuites qui sont en croissance dans le monde, plusieurs pays ont décidé de réagir : l’Australie, la Corée du Sud et l’Afrique du Sud émettent de fortes réserves devant une telle atteinte à l’autonomie des États. Venant d’un parti souverainiste, le soutien à une pareille disposition est plutôt contradictoire.
Marchés publics, services publics, culture
L’ouverture des marchés publics aux multinationales européennes a soulevé une vive inquiétude. Cette mesure aura entre autres comme effet d’empêcher les gouvernements de se servir des marchés publics comme levier économique et outil de développement local.
Elle pourrait mettre les coopératives en concurrence avec de grandes multinationales et empêcher certaines mesures de protection de l’environnement. Le seuil de 300 000 $ pour ouvrir les appels d’offre à la concurrence internationale semble très bas, d’autant plus qu’il ne sera pas indexé.
Pierre-Marc Johnson a voulu se montrer rassurant en affirmant que des secteurs vitaux comme la santé, l'éducation, la sécurité sociale, les transports publics, la garde d'enfants et les affaires autochtones, allaient être exclus de l’accord.
Il était grandement temps que l’on fasse la lumière à ce sujet. Mais on aurait aimé avoir une liste plus précise et plus complète. Il a aussi ajouté que les municipalités «ne seraient pas forcées» de privatiser la distribution d’eau.
On peut cependant se demander ce que valent ces protections si on ouvre les marchés publics à la concurrence européenne. Une municipalité qui se trouve en situation financière difficile, pourrait donc, à la suite d’un appel d’offre, faire affaire à une multinationale européenne et se trouver liée par un contrat à long terme.
L’exemption à l’éducation concerne-t-elle aussi le secteur privé, ce qui permettrait à des entreprises européennes d’offrir leurs services? Dans quelle mesure les Européens auront-ils accès au secteur de la santé privatisé? Il en faudra beaucoup plus que la brève rencontre de vendredi dernier pour faire la lumière sur tant d’ambiguïtés.
Des intervenants se sont inquiétés de l’inclusion de la culture dans les négociations, alors que l’UE et le Canada ont approuvé le principe de l’exemption culturelle en ratifiant la Convention pour la protection et la promotion de la diversité des expression culturelle.
Johnson a justifié cet écart par la pression des Européens contre laquelle les négociateurs canadiens seraient incapables de se défendre. De plus, parce que certains secteurs échappent à une définition unanimement reconnue de la culture, comme le design et les agences de presse, il devient difficile de mettre sous réserve la culture.
Étrange raisonnement : ne faudrait-il pas tout d’abord se conformer à la convention, accorder l’exemption culturelle, puis traiter par la suite les cas litigieux?
Jean-François Lisée a promis que cette rencontre aura des suites : il y aura pour les organisations intéressées des séances d’information téléphoniques avec le négociateur et un bulletin des négociations.
Mais une question reste brûlante : le ministre cherche-t-il simplement à renseigner la population sur les avancées imperturbables de l’accord? Ou sera-t-il vraiment à l’écoute des inquiétudes légitimes et des revendications de la société civile québécoise?
Le libre-échange s’est le plus souvent imposé dans un mépris profond de la démocratie. Le Parti québécois aura-t-il le courage de renverser la tendance? La rencontre du 5 octobre dernier le laisse difficilement croire.
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