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Retrait du crucifix : Legault a pourtant trahi son engagement électoral


De la même façon qu’il pouvait remercier les libéraux de lui avoir laissé de plantureux surplus, le gouvernement Legault profite maintenant de la lassitude créée par 12 ans de débat sur la laïcité. D’une législature à l’autre, plusieurs en étaient arrivés à croire que le Québec y était embourbé à jamais.


Le blocage au niveau politique n’a cependant pas empêché les esprits d’évoluer. En décidant unanimement de retirer le crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale, c’est comme si les députés avaient soudainement ressenti la nécessité de rattraper leur retard sur la société civile.


En janvier 2007, André Boisclair avait soulevé toute une controverse quand il en avait fait la proposition. Le jour même de la publication du rapport Bouchard-Taylor, le 22 mai 2008, les députés avaient voté à l’unanimité pour qu’il reste là ou le gouvernement Duplessis l’avait placé en 1936. Le déplacer aurait été un crime de lèse-patrimoine.



Durant la dernière campagne électorale, François Legault assurait qu’il était « là pour rester ». Au lendemain de l’élection, le futur ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Simon Jolin-Barrette, renchérissait : « La position historique de la CAQ est de maintenir le crucifix à cet endroit-là. Il s’agit d’un objet patrimonial. »


En proposant qu’il soit « mis en valeur » ailleurs dans le parlement et en incluant dans son projet de loi sur la laïcité une clause protégeant les droits acquis à laquelle une majorité de Québécois et sans doute de députés caquistes étaient opposés, le gouvernement Legault a démontré une capacité d’adaptation et un sens de la mesure que plusieurs ne soupçonnaient pas.




 

Tourner la page sur ce chapitre ne mettra évidemment pas un terme au débat plus général de la place de la religion dans la société, dont on discute partout dans le monde, ni aux interrogations sur les meilleures façons d’aménager le vivre-ensemble.


D’ailleurs, même si la disposition de dérogation met la loi à l’abri des contestations judiciaires pour au moins cinq ans, le English Montreal School Board a déjà averti qu’il n’entend pas forcer son personnel à respecter la loi et Me Julius Grey est parfaitement le genre d’homme à alerter l’ONU. Les prochaines semaines seront sans doute éprouvantes, mais il est permis d’espérer que la société québécoise pourra finalement mettre derrière elle un dossier devenu toxique. Comme dans le cas de la loi 101, il serait très étonnant qu’un futur gouvernement ose revenir en arrière.


Bien entendu, les partis d’opposition ont droit à un baroud d’honneur. En toute justice, il faut reconnaître au PLQ le mérite de la constance. Sa détermination à défendre le libre choix ne s’est jamais démentie, même si certains de ses députés auraient préféré qu’il se rallie aux recommandations du rapport Bouchard-Taylor.


Sa porte-parole en matière de laïcité, Hélène David, était cependant consciente que l’attitude moralisatrice de son parti au cours des dernières années, tout particulièrement celle de son ancien chef, constamment drapé dans sa vertu multiculturaliste, a contribué à l’éloigner de la majorité francophone.


« Les gens qui sont favorables au projet ne sont pas des racistes. Il faut faire très attention aux mots qu’on va employer », a-t-elle déclaré d’entrée de jeu. Plutôt que de jeter l’anathème sur le gouvernement Legault, elle a simplement dit qu’« il voit l’inclusion, le vivre-ensemble d’une façon différente ». On ne peut pas le nier. Que le PLQ cesse de sous-entendre que les Québécois sont une bande d’intolérants, voire de racistes, constituerait déjà un progrès.




 

Le porte-parole de QS, Andrès Fontecilla, partisan de la solution Bouchard-Taylor, parlait comme un homme dont le parti s’apprête à durcir sa position, comme les militants solidaires pourraient bien le décider au conseil général de la fin de semaine.


« C’est un projet de loi qui va ranimer le débat, et pour longtemps encore. L’attitude de la CAQ va nous amener évidemment à des affrontements stériles », a-t-il déclaré. Pas plus que sa collègue du PLQ, il n’a cependant contesté le recours à la disposition de dérogation.


S’il y a un parti qui a pâti du débat sur la laïcité depuis 12 ans, c’est bien le PQ. Au moment où il tente une refondation, passer à autre chose ne peut que lui être bénéfique. Son chef parlementaire, Pascal Bérubé, a fait de louables efforts pour trouver des lacunes dans le projet de loi et le PQ sera sans doute très actif lors de son étude en commission parlementaire, mais il est écrit dans le ciel qu’il finira par l’appuyer.


Même s’il ne va pas aussi loin que le PQ l’aurait souhaité, le projet de loi 21 n’en demeure pas moins un pas décisif dans la voie de la laïcité de l’État, dont le PQ a toujours soutenu qu’elle devait s’incarner dans ses agents.


« Le PQ n’est pas à la remorque de la CAQ », a assuré M. Bérubé. On devrait plutôt dire qu’il sautera sur toutes les occasions d’encourager le gouvernement Legault à affirmer la différence québécoise, qu’il s’agisse de réclamer de nouveaux pouvoirs ou encore d’utiliser la disposition dérogatoire, sachant très bien que cela ne peut qu’indisposer Ottawa et susciter l’hostilité du Canada anglais. Dans l’état actuel des choses, le PQ ne peut guère aspirer à mieux qu’au rôle de mouche du coche.









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