Droite et Gauche sont mortes — c’est le principal enseignement de l’élection d’Emmanuel Macron.
Soyons honnêtes : la distinction entre ces deux gestionnaires du libéralisme européen n’était plus claire depuis longtemps déjà — disons 1983 pour résumer. Mais ces derniers temps, les jumeaux vaguement dissemblables avaient glissé vers l’homozygotie.
Il faut de temps en temps un événement, même insignifiant, pour faire admettre une vérité depuis longtemps acquise, mais dont on n’osait s’avouer les conséquences. La dernière séquence électorale, engagée par les primaires et conclue par des législatives caricaturales, a révélé, au sens photographique du terme, la compatibilité profonde de gens qui feignaient de s’affronter pour mieux se partager les charges et le gâteau — « l’arsenic et les nègres », comme disait Hugo. « En marche », en réunissant les appétits des deux camps, a levé l’ambiguïté.
Que les primaires de la droite aient été perturbées de l’intérieur par tel ou tel adversaire de François Fillon — dont les « affaires » ont brutalement disparu de la ligne d’horizon ; que celles de la gauche aient été truquées de façon à ce que soit désigné le seul candidat susceptible d’empêcher Mélenchon d’accéder au second tour ; qu’Emmanuel Macron ait été ou non le plan B d’un François Hollande à bout de souffle — tout cela a finalement assez peu d’importance. Que les médias se soient unanimement ralliés à Napoléon IV (voir Hegel, puis Marx : après la tragédie, la farce ; après la farce…) est aussi un épiphénomène — vous ne pensiez tout de même pas qu’ils allaient embrasser son adversaire… Que les banquiers de Bilderberg, les penseurs de l’Institut Montaigne ou les dîneurs du Siècle y aient tous mis du leur, rien de plus logique : il y avait en face une menace réelle, non pas celle du Front national, qui n’a jamais été crédible, mais celle du souverainisme.
Du peuple souverain.
Le Système a eu très peur en 1968, et a géré au mieux cette angoisse, en éliminant le concept de prolétariat d’abord, celui de peuple ensuite. Même Mélenchon ne dit plus que « les gens »…
Mais il n’est pas encore parvenu à effacer la Nation.
Peut-être y parviendra-t-il. L’atomisation des programmes d’Histoire opérée par Vallaud-Belkacem allait dans ce sens ; les belles déclarations sur le « récit national », tant qu’elles ne sont pas suivies d’effet, en resteront aux intentions — parce que restaurer l’histoire nationale risquerait de restaurer la nation, et d’effacer son atomisation en « communautés », à laquelle on prétend nous faire consentir.
Faites l’addition des voix qui se sont portées sur des candidats souverainistes — de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, en passant par Nicolas Dupont-Aignan ou François Asselineau, sans oublier une petite part des électeurs de Fillon. Cela frise les 50%. Combien d’entre eux ont choisi l’abstention aux Législatives ?
50% qui sont représentés aujourd’hui à la Chambre par une petite quarantaine d’élus. On applaudit très fort la démocratie.
Peu importe. Les dés ont roulé, les circonstances étaient ce qu’elles étaient, le souverainisme a fait si peur qu’il a fallu inventer un homme providentiel comme la France les aime pour faire face à la menace.
Mais n’est pas De Gaulle qui veut. Même avec l’appui des médias.
Et demain — en 2022 ? On prend les mêmes et on recommence ?
Marine Le Pen s’est définitivement disqualifiée lors du débat contre Emmanuel Macron — qui visiblement n’en croyait pas ses yeux. Non par son incompétence en matière de finances et d’économie — on élit un président, pas un chef comptable. Mais parce qu’en refusant tout conseil avant le débat, elle a fait preuve d’hubris — la fameuse démesure par laquelle les dieux rendent fous ceux qu’ils veulent perdre. Le FN va sombrer dans des querelles de personnes, Collard plaidera pour Marion Maréchal, Marine Le Pen fera de la résistance, le Vieux nuira tant qu’il pourra, par vocation, tout cela est dérisoire, et Philippot se repliera sur les Patriotes, le club qu’il vient de créer.
Nicolas Dupont-Aignan est mort également — seuls ses concitoyens d’Yerres lui ont permis d’échapper à la défaite que lui avaient programmée tant de belles âmes qui s’étaient pincé le nez en apprenant qu’il voterait MLP au second tour. Mélenchon tonitruera à l’Assemblée, mais il est déjà acculé aux confins, « cornérisé » par Macron comme Merkel a cornerisé Die Linke. Au mieux, il fera un maire convenable à Marseille, qui en a bien besoin — mais on ne prend pas la France en conquérant la Canebière.
Et Mélenchon n’est pas son électorat. Qu’on le veuille ou non, il y a bien une gauche souverainiste en passe de rester orpheline — une Gauche qui se reconnaîtrait aujourd’hui dans le discours de Chevènement en 2002 : il est terrible en politique d’avoir raison trop tôt. Tout comme une large part de la Droite regrette chaque jour Philippe Seguin.
Il faut dès à présent penser au coup suivant, sous peine d’être acculé à prendre les mêmes — et à recommencer. Utilisons les recettes de Macron : les Français ne parient plus sur les chevaux de retour, les habitués des dorures, les conseilleurs qui ne sont jamais les payeurs ; ils ont également émis le vœu assez net de changer de génération — la jeunesse n’est pas une garantie en soi, elle peut elle aussi être un naufrage, mais elle a au moins le mérite de ne pas être compromise avec les grabataires, et il y dans la génération des années 1970 des gens de valeur. Enfin, il faut chercher dans la « société civile » (une curieuse expression quasi pléonastique, quand on y pense) quelqu’un / quelqu’une qui ait quelques idées, l’art de les exprimer, une image et une constante : la défense de la France, de sa langue, de sa culture, de son terroir — et de ses habitants, humbles et héritiers, citadins et périphériques, bobos et oubliés.
Jean-Paul Brighelli
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