Après avoir été quasiment rasé de la carte électorale en octobre dernier, le Parti Québécois, sans surprise, cherche à revenir dans le jeu politique en remettant de l’avant le projet d’indépendance. Du moins, c’est ce qu’affirme sa direction, qui vient de rendre publique une forme de manifeste, censé témoigner d’un retour du PQ à sa raison d’être. En d’autres temps, un texte semblable aurait suscité de grandes passions, ou à tout le moins, de vives discussions. Pour le dire avec les mots d’hier, la discussion autour de «l’article un» a longtemps été au cœur de la culture politique souverainiste. Il semble que ce ne sera pas le cas cette fois. C’est le retour du souverainisme bon chic bon genre. Tout dans ce texte n’est pas mauvais, évidemment: on y rappelle notamment que des souverainistes qui ne cessent de cacher la souveraineté ne servent à rien. Ce n’est pas rien. Mais tout est fade et désincarné. On y cherche l’élan vital sans le trouver.
Les péquistes disent vouloir remettre l’indépendance au cœur du débat politique, mais ils en profitent aussi pour dire implicitement qu’ils se tiendront éloignés des enjeux «divisifs» - on l’aura compris, et d’ailleurs, certains l’ont dit explicitement, on parle ici évidemment de la question de la laïcité. Certes, la loi 21 vient de clore le dossier pour un temps, mais pour un temps seulement. Faut-il faire remarquer aux péquistes que c’est pourtant à travers la question identitaire que le nationalisme s’est recomposé politiquement depuis plus d’une décennie et qu’il a retrouvé une capacité d’action, dans un contexte où la possibilité d’une indépendance à court terme semblait bouchée? La laïcité divise bien moins qu’elle ne rassemble les Québécois francophones au-delà des clivages politiques traditionnels, et leur permet de redécouvrir la contradiction fondamentale entre leurs aspirations collectives et le régime canadien. Qu’on le veuille ou non, la politique est conflictuelle, et c’est en confrontant le régime canadien que le peuple québécois en sortira ou du moins, renouera avec l’idée d’en sortir.
L’idée d’indépendance ne saurait s’affranchir totalement du contexte historique dans lequel elle se traduit au projet politique. Dans les années 1960 et 1970, elle semblait indissociable d’une forme de décolonisation québécoise qui s’inscrivait dans une tendance mondiale à l’émancipation des peuples dominés. Elle était aussi indissociable, dans les circonstances, de la construction de l’État québécois, qui était vu comme un vecteur d’affirmation collective incontournable. C’est ce qui explique que le souverainisme moderne s’est longtemps cru fondamentalement lié à la social-démocratie. Dans les années 1990, le projet souverainiste s’est reformulé dans le contexte de la crise constitutionnelle canadienne, engendrée par l’incapacité du Canada à répondre aux revendications autonomistes des Québécois, qui espéraient après le coup de force de 1982 se faire reconnaître au moins comme société distincte. Au début des années 2000, les souverainistes ont cherché, sans trop de succès politique, à inscrire leur projet dans le cadre de la mondialisation, pour contredire ceux qui y voyaient l’occasion d’en finir une fois pour toutes avec les nations.
Aujourd’hui, il semble difficile d’extraire le projet souverainiste de la crise identitaire qui frappe l’ensemble des sociétés occidentales. Les peuples occidentaux rejettent globalement le multiculturalisme et cherchent à réaffirmer leur identité collective. Ils expriment aussi des réserves de plus en plus vives devant la mondialisation et les grandes tendances qui y sont associées. Ils expriment aussi un vrai malaise devant la dépossession démocratique entrainée par le démantèlement symbolique de la souveraineté populaire et la neutralisation institutionnelle des mécanismes qui lui permettaient de s’exprimer. Faut-il vraiment préciser que l’idéologie diversitaire et postnationale qui pousse partout à la révolte s’incarne dans sa forme la plus radicale au Canada? Par ailleurs, ce dernier se montre aujourd’hui plus hostile que jamais à la différence québécoise. La logique du multiculturalisme pousse le Canada à voir dans le simple rappel de notre existence nationale une forme de suprémacisme ethnique. On ne tolère tout simplement plus la prétention des Québécois à être autre chose qu’une communauté parmi d’autres dans le Canada pluriel.
Si les souverainistes se tiennent éloignés de ce contexte, ils proposeront une version déréalisée de leur projet. En fait, ce qui manque au manifeste péquiste, c’est une lecture forte du contexte historique qui est le nôtre et un rappel du caractère existentiel du combat national. Chose certaine, la critique du régime canadien, pour peu qu’elle soit correctement menée, relève moins de la chicane que de la remise en question d’un cadre politique qui nous entrave existentiellement. Autre chose: le PQ a promis d’en finir avec son ton revanchard. On se demande bien de quoi il parle. Bien franchement, les péquistes devraient surtout s’inquiéter de leur ton mielleux. Collectivement, ils ont moins l’air d’une bande d’enragés que d’une collection d’impuissants. Les souverainistes ne font plus peur: ils font pitié. Ils ne devraient pas s’en réjouir. On sent pourtant chez eux un désir de respectabilité médiatique qui les paralyse. Ils oublient un peu rapidement que c’est en bravant l’empire du politiquement correct que la CAQ est parvenue à récupérer l’enjeu identitaire et à détourner à son avantage le sentiment nationaliste des Québécois. Les souverainistes devraient en tirer certaines leçons. Ils devraient se positionner clairement sur des enjeux comme la langue, la laïcité, l'immigration, le multiculturalisme ou le gouvernement des juges.
Prenons un peu de hauteur. La CAQ canalise pour l’instant les aspirations nationalistes des Québécois. Mais il y a encore de la place pour un parti indépendantiste au Québec, car l’idée de souveraineté ne saurait être confisquée par Québec solidaire. Et le PQ, malgré sa situation difficile, conserve une base militante remarquable, qui porte l’idée d’indépendance malgré nos temps maussades. Il y aussi au PQ d’excellents éléments, le premier étant assurément son chef intérimaire, Pascal Bérubé, que plusieurs souhaiteraient voir occuper durablement son poste. En d’autres mots, il y a encore quelque chose à faire avec ce parti. À tout le moins, il ne devrait pas être interdit de chercher à le réanimer une dernière fois. Une course à la chefferie viendra en 2020. On peut espérer à ce moment, on aura oublié le nouveau manifeste péquiste et qu’un véritable débat s’engagera quant à l’avenir du projet indépendantiste, entre des candidats incarnant ses différents avenirs possibles. C’est à la qualité des candidats à la chefferie que le PQ saura attirer que nous saurons si ce parti a encore de l’avenir.