Retour vers le futur

Crise du capitalisme - novembre décembre 2011


Éric Desrosiers - L'événement le plus important sur la scène économique cette année a probablement été la crise de la dette souveraine dans la zone euro. Vu de loin, ce roman-feuilleton peut apparaître, tout à la fois, tragique, comique et d'un ennui mortel. Ses enjeux n'en sont pas moins cruciaux, non seulement parce qu'ils pourraient précipiter une rechute de l'économie mondiale, mais parce que ce sont les mêmes auxquels nous devrons tous nous confronter dans l'avenir.
On ne compte plus les fois où l'on a parlé cette année des nouveaux sacrifices qui allaient être exigés des Grecs ou des Portugais, du dernier plan concocté par l'improbable couple Merkel-Sarkozy, des nouvelles décotes de pays européens par les agences de notation et de la tenue de la prochaine réunion de la dernière chance des dirigeants de cette bien mal nommée Union européenne. Certains auront été émus par la peur et la colère de ces peuples condamnés par les marchés financiers pour des dettes largement héritées d'une crise causée par ces mêmes marchés financiers. D'autres y ont vu, au contraire, les conséquences de leur folle irresponsabilité collective et de l'inévitable échec d'un projet européen qui a voulu aller trop vite, trop loin.
L'histoire s'est souvent enfoncée (égarée) dans les dédales des institutions européennes, mais aussi dans les plus obscurs recoins de la petite politique partisane d'un pays ou l'autre. On a beaucoup critiqué le manque de hauteur des dirigeants européens dans la gestion de cette crise qu'ils qualifiaient pourtant eux-mêmes de très grave. Longtemps considérée comme catastrophiste, l'hypothèse d'une sortie de la zone euro des pays les plus amochés, et même d'un éclatement pur et simple de l'union monétaire, n'est désormais plus écartée.
L'Europe n'en est pas à sa première crise existentielle et pourrait bien réussir à en sortir renforcée comme les autres fois. Un échec, même partiel, pourrait toutefois avoir des conséquences considérables, non seulement en Europe, mais pour la planète entière. Malgré toutes les blagues qu'on aime bien faire sur son compte, l'Union européenne forme tout de même la première économie du monde, avec un produit intérieur brut de plus de 16 000 milliards $US et 500 millions d'habitants. Son effondrement provoquerait une onde de choc qui ferait rapidement le tour du monde, surtout en cette époque de croissance anémique aux États-Unis et de menace d'atterrissage brutal de l'économie chinoise.
Peut-être plus important encore, cet échec serait celui de l'un des projets les plus ambitieux de l'histoire récente. On peut dire ce que l'on veut sur les mérites de cet assemblage souvent bancal d'économies de tailles et de natures différentes, il faut bien admettre que ses zones d'union monétaire et de libre circulation de la main-d'oeuvre, ses politiques communes, notamment en matière commerciale et environnementale, ou encore ses programmes d'aide au développement régional structurel font paraître bien timides tous les autres projets d'intégration économique et politique, y compris celui entre le Canada et les États-Unis.
Cela ne veut pas dire que la voie empruntée par les Européens soit la seule, ni même la bonne. Mais plusieurs des objectifs qui les animent, comme des problèmes qui les accablent, se retrouvent partout ailleurs.
Enjeux présents et à venir
On peut, par exemple, se moquer autant qu'on veut de l'incapacité de la Grèce et des autres membres de soi-disant «Clubs Med» européens de procéder aux réformes structurelles nécessaires pour rendre leurs économies plus compétitives, mais ce problème est un enjeu central dans presque tous les pays développés qui sont confrontés à la montée de la concurrence des puissances émergentes, y compris le Canada qui se fait reprocher depuis des années son manque de productivité chronique.
Il est vrai aussi que l'Union européenne se retrouve plus d'une fois paralysée par la difficulté de ses pays membres de convenir de la marche commune à suivre. Ce problème est toutefois encore plus grand au sein du G20, de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou des négociations sur les changements climatiques. On devra pourtant trouver le moyen de surmonter cette difficulté, de plus en plus d'enjeux économiques, politiques et sociaux dépassant les frontières nationales.
Cette mondialisation des problèmes et des solutions complique singulièrement les choses quand vient le temps d'intégrer les valeurs démocratiques. Cette année, ce sont les Grecs et les Espagnols qui sont descendus dans la rue pour dénoncer les politiques imposées par l'Europe à leurs gouvernements. Mais demain, ce seront peut-être des automobilistes américains ou des agriculteurs indiens qui reprocheront à leurs élus d'avoir capitulé sous la pression des autres pays.
Ce qui fera de nous tous, un jour ou l'autre, un peu des Européens.


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