Je n’ai pas la prétention d’être l’historien qu’il faudrait pour établir tous ces faits avérés. J’y vais avec mes souvenirs de «militant engagé» depuis déjà plusieurs années. Cette réflexion pourra être comparée à ce qui s’est accumulé de l’histoire orale de la classe ouvrière au Québec.
Durant les années cinquante, il y a eu au Québec deux grèves majeures dans des mines exploitées pour des investisseurs étrangers. Celle de Murdochville, moins connue et dont le nom lui-même est celui du patron de l’époque, et celle de l’Amiante qui a laissé des traces que l’on sous-estime dans les évocations de la Révolution dite tranquille ces années-ci. Comme si le fameux modèle québécois était né de la cohabitation « tranquille » des salariés ou des ouvriers avec le pouvoir d’un Jean Lesage «progressiste» et « courageux » qui les aurait compris.
La grève de l’amiante a opposé les ouvriers de Thetford à la police de Duplessis. Il reste des images dont j’ai un souvenir très vif du geste d’un lancement de pierre par un ouvrier en direction d’un policier armé de ce type de mitraillette que l’on voit encore dans les films de l’affrontement entre la pègre et les forces de l’ordre de l’époque de la prohibition. Cette grève a démontré à la population que le régime de Duplessis avait des faiblesses : celle du mépris n’en était pas la moindre. Celle de l’arrogance et de la soumission au patronat a fait déborder le vase.
Cette grève a divisé le Québec. Les grévistes avaient l’appui de la population. En sont les preuves éloquentes ces camions de nourriture et de matériel qui arrivaient à Thetford par convois. La puissance même de l’Église a été ébranlée : un certain Mgr Charbonneau a pris fait et cause pour les ouvriers. La légende populaire veut que Duplessis ait lui-même demandé au Vatican de le débarrasser de cet ecclésiastique encombrant. Une pièce de théâtre, où le grand comédien québécois Jean Duceppe joue Duplessis, met en scène une confrontation verbale du Chef avec Mgr Charbonneau.
Mais l’histoire occultée ne se limite pas aux chicanes du haut clergé avec Duplessis. J’ai eu la chance de tomber sur un exemplaire d’un tiré à part de la revue Cité Libre de l’époque. On y retrouve les contributions d’intellectuels de la période et leurs préoccupations politiques.
Les ouvriers de Thetford affrontaient une compagnie étrangère dont la direction était composée d’anglophones. Ils rageaient avec raison contre leurs conditions de travail et les salaires de misère qu’on leur offrait. Pour ne pas parler de ce dont on fera la preuve plus tard : les ouvriers étaient ni plus ni moins qu’envoyés à une mort atroce empoisonnés par la poussière d’amiante.
Il est fréquent d’entendre aujourd’hui qu’il existerait de «bons salaires» avec de « bonnes jobs » alors que l’inflation gruge depuis des années tous les salaires. La précarité des emplois salariés s’étend comme de la gangrène. Le pouvoir d’achat, qui sert à vendre les illusoires «baisses de taxes», s’effrite et l’écart entre riches et pauvres augmente alors qu’on appelle encore aux concessions et à la patience envers le régime capitaliste dont l’appauvrissement est la marque de commerce pour la population salariée. Et on nous parle de «relance», de «prospérité promise» mais jamais concédée sinon aux riches constructeurs de gratte-ciels. C’est sans doute ce dont on parle maintenant, comme d’une légende urbaine, que « les syndicats ont été utiles, mais qu’ils ne le seraient plus maintenant ».
La droite se gargarise de ce genre de discours pour nier la pertinence des revendications salariales actuelles dans une économie anémique plombée par un coût de la vie cher qui limite la consommation. Et leur fait écho les tenants de la « simplicité volontaire » qui n’ont pas de considération pour cette «simplicité involontaire» imposée aux salariés du marchand (le privé) ou du non marchand (le public).
Le plus intéressant dans l’histoire du Québec des années 1950, ce sont les personnages politiques et syndicaux de ces années-là qui se sont frottés à la situation tout en s’y donnant une «formation» ou un apprentissage politique inédit sur la dure réalité d’un affrontement de classe dont on se préoccupe bien peu de tirer encore aujourd’hui les leçons.
En réalité, les René Lévesque, Jean Marchand, Pelletier, Trudeau et … Jean-Gérin Lajoie (que l’on ignore souvent dans l’équation et qui sera pendant longtemps le patient président nationaliste des Métallos et grand ami de René Lévesque) ont continué de se passionner pour la politique, mais cet apprentissage a laissé des traces profondes de ce qu’allait devenir le Québec et même … le Canada.
René Lévesque a fini par prendre la voie sociale démocrate du « préjugé favorable aux travailleurs ». Ce qui s’est traduit, malgré le mépris historique que certains manifestent pour lui, y inclue à gauche, par d’importantes conquêtes ouvrières. Durant la Crise d’Octobre, Jean Marchand a trouvé le moyen d’inventer les « 3,000 guérilleros qui s’apprêtaient à déclencher une insurrection » pour justifier la répression à Montréal et l’occupation du Québec par l’armée canadienne ! Trudeau a mené l’offensive contre le mouvement national et imposé une loi sur les prix et les salaires qui a mené à un débrayage massif au Canada en 1976.
À mon avis la Révolution tranquille trouve sa source dans ce qu’ont appris concrètement ces « solidaires » des ouvriers de Thetford.
Ils ne pouvaient littéralement plus penser la politique de la même manière : les gestes contestataires des ouvriers ne les autorisaient plus à mettre de l’avant des politiques qui auraient passé outre le nationalisme, les droits et libertés, la conception d’un État intervenant dans le sens de la sociale démocratie ou pour user de la répression nécessaire à l’ordre établi, …
En fait qui oublie l’irruption des ouvriers dans la conjoncture politique de l’époque se fait le complice du peu d’audace qui se manifeste dans les futures foires d’empoigne des salariés avec ce régime de démocratie libérale, qui se présente toujours comme «le rouage de notre exploitation». En plus on ignore complètement les conséquences de leurs luttes pour l’évolution du Québec vers une plus grande maturité politique des salariés.
Mettre les Libéraux dehors, ou tout au moins en fragiliser le pouvoir, fait partie de ce que les salariés sont capables de faire pour en obtenir des concessions à leur avantage. Pour ça, il faut leur en offrir la possibilité autour d’une stratégie plus audacieuse comme celle de la grève générale. Sans leurs moyens de défier les Libéraux par la grève, les reculs annoncés seront appliqués. Les Libéraux continueront le saccage qu’annonce l’austérité puisqu’ils en ont le mandat du patronat qui les a installés au pouvoir avec les institutions vouées à sa défense comme classe : journaux, télévision, chroniqueurs zélés et tout ce qui conforte la société dominante dans l’opinion que le pouvoir des salariés est contrindiqué pour les progrès de société. C’est pourtant le chemin historique qu’ont suivi nos prédécesseurs.
Si l’histoire est garante d’apprentissages politiques pour les salariés, anciens ou nouveaux, c’est le moment plus que jamais pour les syndicats de mettre de l’avant la manière dont on prépare un avenir plus radieux pour les classes populaires : leur permettre de devenir les acteurs engagés et politisés de leur destin au moyen de la grève générale.
« Si on combat, on peut perdre, mais si on ne se bat pas, on est sûr de perdre » (Brecht)
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