Redire - la révolution

Il nous faut repenser courageusement la revendication d'une citoyenneté

Chronique d'Élie Presseault



« L'unité nationale n'est que dans la lutte, dans la fierté, dans la victoire et, pour nous, qui avons choisi la lutte, la fierté, la victoire, refaire en combattant l'unité nationale est le premier de nos buts. »

Charles De Gaulle, 18 juin 1942
Dernièrement, nous avons assisté à une mappemonde de textes convergeant vers une unité à travailler. Cette préoccupation du Québec étant dans son devenir collectif, chaque personne prend part à une révolution. Cette révolution opère d'abord dans chacune de nos consciences qui veulent bien – ou même inconsciemment – se prêter à l'exercice. Ceci fait suite à certaines préoccupations évoquées tout au long de l'histoire post-Révolution tranquille.
D'ores et déjà, nous pouvons faire face à une tentation d'être éblouis. Toutes proportions bien gardées, nous avons plusieurs valeureux indépendantistes qui s'illustrent par les temps qui courent. Persiste ce réflexe autonomiste. Nous pouvons fort réfléchir, il n'en reste pas moins que nous redisons les termes mêmes de ce que nous tendons à révolutionner – ou à tort. Revenons sur les traces de cette quête immuable.
Refaire l'unité nous inculque un devoir d'humilité et d'abnégation qui frise l'effacement de nos personnes au profit de la cause. Toute politique suppose une part de luttes et de renoncement à ce qui préexistait – du moins ce que nous tenions pour acquis. Martin Bisaillon a écrit un essai en 2004 concernant René Lévesque. Imprégné par la pensée de Pierre Bourgault et un texte fort mémorable aux lendemains d'un certain référendum, je dois reconnaître une certaine part d'effort de la part de l'auteur dans cette tentative de déconstruction de l'héritage reçu. Tout de même, en toutes choses, il est important de circonstancier et de bien réarticuler ce qui sous-tend une certaine démarche d'appropriation d'une cause.
Revendiquer la juste part d'une réflexion
Écrire la révolution suppose une certaine part qui « transcende » les réflexions en cours. Il est parfois tentant de contredire de facto toute affirmation qui se voudrait révolutionnaire. Au nom de l'indépendance, nous nous écrions en chœur. Pour aussi peu que nous puissions prétendre connaître l'avenir par nature et dans le commun des mortels imprévisible, il nous faut observer cette faillibilité de nos existences communes.
Sans vraiment se risquer, il est facile de dire que nous ne sommes point en accord avec la posture de base de Gil Courtemanche qui parle de La Seconde Révolution tranquille. Tout simplement, sur le coup, nous pouvons ignorer la nature même des bouleversements qui s'opèrent en nous. Toute réflexion étant répercutée, nous nous l'approprions à nouveau de nos apports et d'éventuelles réfutations s'il y a lieu.
Sept ans de pouvoir… réfléchi ?
Or, dans le cas qui nous concerne, nous parlons d'éventualité de révolution politique. Même en ce qui concerne le gouvernement Charest, il y a eu affirmation de vouloir révolutionner le Québec dans cette formule aux accents de diglossie : « Réingénierie de l'État québécois ». Quand nous connaissons les projets et l'état des travaux en cours, nous ne pouvons qu'être confirmés dans les appréhensions que nous avions initialement. Il serait plus juste d'évoquer une sourde résistance face aux ambitions du gouvernement libéral de couler les fondations du modèle canadien au Québec.
Selon l'ouvrage écrit par Gil Courtemanche, il est question de démocratiser la démocratie. Quand nous avons été amenés à lire le journaliste du Devoir de temps à autre, nous connaissons ses sympathies de gauche. En constatant les dérives du gouvernement Harper, la concentration croissante du pouvoir entre les mains de certains individus et la démagogie antisyndicale rampante, nous pouvons nous rendre à certains motifs énoncés de son analyse des enjeux. D'ailleurs, il est important de considérer les réalités et les nécessités de certaines garanties syndicales, même dans un contexte où les traités de libre-échange induisent certains impératifs de concurrence qui protègent les avoirs des bien nantis et consacrent la sacralisation du profit maximal sans égard au sort des populations en général.
La fierté au combat
Être fier, cela peut se conjuguer au pluriel. Nous pouvons parfois choisir de nous réfugier dans le cynisme. Il n'en reste pas moins qu'il nous faut constater certaines fins de non-recevoir. La loi 101 nous a permis d'évoluer comme peuple. Nous avons pris conscience de certaines divergences fondamentales. Eugénie Brouillet nous a fait l'honneur de faire l'analyse des enjeux dans La négation de la nation. Dans cet ouvrage essentiel à la prise de conscience de l'insignifiance de la loi 101 dans un contexte de sujétion à l'impératif fédéral, l'avocate dispute chaudement son point de vue en considérant les thèses de Michel Seymour. Dernièrement, nous avons pu voir ce dernier prendre position dans le dossier du manifeste pluraliste. Certains en ont profité pour émettre le principe de caution selon lequel un réformisme serait bien insuffisant dans le contexte présent.
Jalons d'une révolution québécoise
Au cours de la Révolution tranquille, la révolution fut concrétisée à la conjonction de certaines morts. Maurice Duplessis ayant expiré dans l'existence parlementaire, le gouvernement Lesage put faire son œuvre au terme de l'existence utile de Paul Sauvé. L'équipe du tonnerre put implanter plusieurs réformes retardées qui lancèrent le Québec en plein XXe siècle pour de bon. Conjuguant ces efforts de réforme parlementaire, les écrivains québécois fondèrent les prémisses d'une littérature circonscrite dans le cadre national québécois et parfois même en partageant une certaine sympathie indépendantiste. Des regroupements de citoyens parachevèrent certains efforts en vue d'améliorer les conditions de vie de leurs semblables dans un contexte de laïcisation des services publics.
Pour clore un certain chapitre, une certaine divergence de vues fondamentale est disputée. Quelle est la place de l'indépendance québécoise dans un contexte de Révolution tranquille ? Séance tenante, il est tentant de dire que le paradigme de cette dernière révolution évoluait dans un contexte où les préoccupations en cours considéraient encore le lien fédéral. Pierre Bourgault a vilipendé René Lévesque comme étant resté emprisonné dans le paradigme de la Révolution tranquille.
L'existence politique du français
Faire l'indépendance de statut du Québec, c'est redire la pérennité du fait français en Amérique. Tant et aussi longtemps que l'ambiguïté et les méandres de l'illusionnisme bilingue canadien opèrent, nous reconfirmons l'aliénation d'être de la citoyenneté québécoise. Institutionnellement, le Québec doit préserver le français et donner des assises à son statut en fondant sa légitimité sur l'adhésion à un projet de société qui confirme cette distinction. Nous ne pouvons nous permettre de laisser un État rival asseoir une certaine soif de domination à notre égard. Quel que soit le gouvernement en titre, le Québec est là pour rester.
Citer le général De Gaulle et l'action salvatrice qu'il eut à l'égard de notre contrée, c'est rendre compte de l'incommensurabilité d'un certain paradigme dans un contexte de Révolution tranquille. Nous voudrions terminer un cycle politique avec l'indépendance du Québec qui parachèverait à toutes fins utiles l'œuvre de la Révolution tranquille. Ce serait toutefois se méprendre, dans une certaine mesure, des efforts à accomplir. Indépendamment de la question de l'indépendance politique du Québec, une révolution politique n'induit pas nécessairement de façon exclusive la question de cette dernière.
Dans l'expectative de cette révolution présagée, les années 1960 et 1970 nous ont permis de voir une certaine internationalisation des enjeux et les potentialités révolutionnaires de ces dernières. La mondialisation induit toute une série de données et consacre un état de répression des libertés démocratiques. Que nous soyons ou non d'accord avec Jacques B. Gélinas qui dénonce le virage à droite des élites politiques québécoises, les dernières péripéties de notre vie politique nous permettent de voir cette même répression à l'œuvre à plus grande échelle.
L'extension de la francophonie et son action émancipatrice
Le Québec étant le second État de langue française en importance, il est important de repenser la francophonie et de penser à la révolutionner dans le bon sens du terme. Prendre parti pour la Francophonie, c'est déclarer son parti pris pour la diversité linguistique. Dans un contexte de migration internationale, les sociétés sont de plus en plus perméables à certaines influences extérieures. Les forces économiques n'y sont pas étrangères. Renforcer la francophonie et la diversité linguistique, c'est enrichir la communauté internationale dans ses potentialités et ses promesses.
Outre la démocratisation de la démocratie, il est important de prêter attention à une certaine notion politique de différence. Dans la déségrégation des années 1950 et 1960, Martin Luther King et Muhammad Ali, entre autres acteurs de la condition noire, n'hésitèrent pas à combiner lutte noire, action civique et opposition à la guerre du Viêtnam. Aujourd'hui, il nous faut repenser les termes de l'indépendance, d'une révolution toujours à faire et de l'extension d'une certaine citoyenneté planétaire.
Les misères actuelles de notre vie démocratique nous permettent de considérer certaines nouvelles perspectives. Il nous faut repenser courageusement la revendication d'une citoyenneté. Pour ma part, comme Sourd Québécois, je tente depuis quelques années de repenser l'action indépendantiste et sourde dans son ensemble. Puisse l'actuelle reprise de la lutte en faveur du fait français nous permettre de se rencontrer entre plusieurs communautés prenant part à l'avenir du Québec.
Auteur : Elie Presseault


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