Furieux qu’Ottawa eût demandé à la Ville de Montréal de suspendre le déversement de huit milliards de litres d’eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent, le maire Denis Coderre a accusé le gouvernement conservateur de profiter de la campagne électorale pour faire de la politique sur le dos des Montréalais. Le maire a donné trois jours à Environnement Canada pour venir discuter du dossier à Montréal.
À moins de deux semaines de l’opération controversée et en pleine campagne électorale, la ministre fédérale de l’Environnement, Leona Aglukkaq, fait savoir mardi qu’Environnement Canada souhaitait recueillir davantage d’informations concernant les impacts environnementaux du projet. En conférence de presse, le lieutenant québécois de Stephen Harper, Denis Lebel, a lu une déclaration de la ministre Aglukkaq dans laquelle celle-ci précise que l’article 36.3 de la Loi sur les pêches interdit le déversement de substances nocives dans les eaux où vivent les poissons. « On demande de prendre une pause, de prendre le temps réanalyser [la situation] et de voir s’il y a d’autres solutions possibles », a expliqué M. Lebel.
« C’est rare qu’un ministre intervienne en pleine campagne électorale sur un sujet. Aujourd’hui, c’est un sujet très sensible. Dans l’intérêt des Canadiens et des Québécois, nous demandons à ce qu’on prenne le temps de regarder où nous en sommes », a dit Denis Lebel.
Les « Pierrafeu »
La réaction du maire Coderre n’a pas tardé. « Si le gouvernement canadien, qui est vraiment très crédible en matière de science, qui pense que les Pierrafeu, c’est un documentaire, qui essaie de nous faire la leçon et qui veut gagner des petits points politiques parce que là, ils sont à la croisée de leurs chemins, eh bien moi, je n’embarque pas là-dedans », a lancé le maire Coderre, outré de la valse-hésitation du gouvernement fédéral.
Denis Coderre soutient qu’Environnement Canada a le dossier en main depuis septembre 2014 et que la semaine dernière, le ministère fédéral semblait satisfait des réponses obtenues auprès de la Ville. Le maire a réitéré que toutes les options avaient été évaluées pendant des mois, mais qu’aucune autre solution ne pouvait être envisagée : « Le gouvernement conservateur met en péril nos usines d’épuration d’eau parce que plus on attend, plus il peut y avoir des bris. »
Rappelons qu’en raison du chantier de l’autoroute Bonaventure, Montréal doit construire une nouvelle chute à neige et assécher l’intercepteur sud-est, une conduite d’un diamètre de 4,6 m qui recueille les eaux d’égout du tiers de l’île de Montréal pour les acheminer vers l’usine d’épuration Jean-R. Marcotte. L’opération fera en sorte que pendant au moins sept jours, les eaux usées non traitées seront rejetées dans le fleuve à 24 endroits le long de la rive sud de Montréal. Pendant l’opération, qui doit se dérouler du 18 au 25 octobre, Montréal en profitera pour procéder à des travaux d’entretien jugés indispensables.
Ultimatum
Le communiqué de presse de la ministre Aglukkaq n’a aucune valeur juridique et ne constitue pas un refus d’Environnement Canada d’autoriser l’opération, a martelé le maire Coderre en rappelant que le temps commençait à presser. « J’en appelle au sens des responsabilités d’Environnement Canada. J’en appelle aux fonctionnaires, a-t-il dit. Je vous donne trois jours. Venez-vous-en à Montréal. J’ai de la place en masse. On fait du bon café. On va s’asseoir ensemble et on ne sort pas de là tant que vous nous donniez vos réponses. »
Au passage, le maire a écorché le chef de NPD, Thomas Mulcair, qui avait affirmé qu’un gouvernement néodémocrate ne permettrait pas un tel déversement d’eaux usées dans le fleuve. En agissant ainsi, M. Mulcair souhaite qu’on ne parle plus du niqab, a lancé M. Coderre.
Démission demandée
Le dossier a aussi fait des vagues à Québec. Le ministre québécois de l’Environnement, David Heurtel, qui avait autorisé le déversement, a pressé le gouvernement fédéral d’agir rapidement. « Nous, on a fait nos devoirs pendant plusieurs mois avec l’administration Coderre. On a donné des conditions et j’espère juste que le gouvernement fédéral va tenir compte de ces conditions qui sont basées sur la science pour minimiser les impacts sur l’environnement et la faune », a-t-il expliqué aux journalistes.
Le critique du Parti québécois (PQ) en matière d’environnement, Mathieu Traversy, a reproché au ministre Heurtel sa gestion du dossier. « On a un ministre qui est irresponsable et qui vient de se faire donner une gifle par Environnement Canada, a-t-il dit. C’est un ministre qui se cache derrière des documents qu’il ne veut pas rendre publics et qui manque de transparence. »
Tant la Coalition avenir Québec (CAQ) que le PQ ont demandé la démission du ministre Heurtel. Le premier ministre Philippe Couillard s’est toutefois porté à la défense de son ministre, soutenant que le rejet d’eaux d’égout dans le fleuve était « la moins pire des solutions » et qu’il avait « totalement » confiance en son ministre.
À Ottawa, les partis fédéraux n’étaient pas en reste. Le Bloc québécois a reproché à Denis Lebel de jouer au « héros en éteignant un feu que le gouvernement fédéral a lui-même allumé », accusant le gouvernement Harper d’avoir trop peu investi dans les infrastructures. Le parti dirigé par Gilles Duceppe croit que Denis Lebel et Thomas Mulcair devraient être aussi sévères à l’égard de Toronto, qui déverse des quantités importantes d’eaux usées dans le lac Ontario.
Le chef libéral Justin Trudeau s’est gardé de critiquer Denis Coderre, qui a, selon lui, « un choix impossible à faire ». La situation actuelle expose « à quel point c’est important qu’on ait un gouvernement fédéral qui serait un meilleur partenaire pour nos municipalités », a-t-il dit.
La controverse n’a cessé de prendre de l’ampleur au cours des derniers jours. La pétition pour dénoncer cette opération a dépassé le cap des 76 000 signatures mardi.
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