À défaut d'enquêtes et de renvois spectaculaires, l'année 2010 aura donné lieu à une prolifération d'engagements «éthiques». Aussi l'impression prévaut-elle, particulièrement au Québec, qu'un enduit moral recouvre une corruption qui exigerait plutôt un désinfectant radical. Même à Ottawa, apprend-on, une commissaire à l'intégrité, mandarin de carrière, classait les affaires suspectes au lieu de les tirer au clair. Sans doute faudra-t-il trouver d'autres moyens d'agir, comme le suggère, du reste, l'actualité récente.
Ainsi, aux États-Unis, il n'y a pas eu que des fraudes colossales et des Commissions de surveillance endormies. Le Congrès a institué une agence spéciale, la Securities Investor Protection Corporation, chargée de récupérer des profits illégitimes touchés aux dépens d'investisseurs floués. Menacé de poursuite, un philanthrope — lié à Bernard Madoff — est décédé avant d'avoir remboursé son «trop-perçu», mais ses héritiers ont remis 7,2 milliards de dollars. À ce jour, près de 10 milliards ont été ainsi récupérés.
Ailleurs en Europe, notamment en Grande-Bretagne, des investisseurs institutionnels, échaudés sans doute par la dernière crise, ont exigé des entreprises qu'elles soient plus transparentes et soumettent même la rémunération de leurs dirigeants au vote des actionnaires. Ce n'était là qu'identifier à demi le mal de la gouvernance. Ces investisseurs seront désormais tenus, eux aussi, de suivre de près «leurs» entreprises, au lieu de fuir au premier signe de difficulté.
Au Canada, une Coalition sur la gouvernance vient d'emboîter le pas à ce mouvement. Mais les pratiques qu'elle entend proposer à ses membres seront «volontaires». On y fait confiance à de simples «lignes directrices», confirme son président, David Denison, aussi patron du Régime de pension du Canada. Après le cafouillage à la Caisse de dépôt, peut-on croire, il faudra bien plus qu'une amélioration de l'«évaluation du risque» pour rendre éthiques les placements des Québécois.
Les entreprises elles-mêmes sont encore loin de jouer pleinement le jeu de la transparence. Ainsi, les «circulaires» pour actionnaires chez
72 d'entre elles ont fait l'objet d'un examen par l'Administration qui regroupe les commissions provinciales des valeurs mobilières. On y a découvert qu'un bon nombre ne respectent pas scrupuleusement leurs obligations légales actuelles. Or, au Québec, comme le signalait La Presse, l'Autorité des marchés financiers, déjà peu crédible, fait dans le marketing avec des institutions qu'elle est censée surveiller. Ce n'est guère là qu'un leadership éclairé va se manifester.
Parmi les entreprises à l'éthique sélective, certaines banques, notamment en Europe, ont finalement mis un terme à leur connivence historique avec les fraudeurs du fisc étranger. Mais il leur reste à restituer les milliards qu'elles ont celés — et cachent encore — au nom de pillards de l'ex-bloc de l'Est et surtout du tiers monde. À cet égard, la décision récemment rendue par la justice en France contre les Bongo, Nguesso et Obiang marque un développement bienvenu et prometteur.
On l'aura noté: cette démarche n'est pas le fait d'institutions monétaires internationales ou de gouvernements, Canada compris, dont l'aide publique aux États ou au développement socio-économique ont longtemps été détournés par les kleptomanes en place. On la doit à des organisations non gouvernementales (ONG). Des pays démocratiques ont entrepris, il est vrai, de sanctionner les «diamants de la guerre» en Afrique. Toutefois, nombre d'entreprises s'y procurent aussi ces minerais qui font le succès de l'industrie technologique occidentale mais financent des atrocités sur ce continent.
Les populations du tiers monde sont encore victimes de pratiques minières, commerciales ou financières d'entreprises étrangères. Mais les gens des pays industriels ne sont pas à l'abri de certains de leurs méfaits. C'est le cas au Canada. Ainsi des pharmaceutiques qui ont joui d'avantages importants, notamment dans la région de Montréal, y ont sabré dans la recherche et les emplois. Et leurs produits pèsent toujours lourdement sur les coûts de la santé.
En santé encore, des menus commerciaux souvent aux antipodes de saines pratiques alimentaires sont imposés au public par des chaînes en quête effrénée de profits. Fabricants et marchands répondent, disent-ils, aux demandes des consommateurs. Mais outre que certains produits n'informent pas le consommateur des ingrédients qu'ils renferment, des tests montrent que les affichettes d'usage sont souvent trompeuses. Il a fallu une demande d'accès à l'information de Postmedia News auprès d'Ottawa pour apprendre que sel, gras, sucre et calories dépassent souvent les seuils inscrits.
Dans l'exploitation des consommateurs, les gouvernements ne sont pas en reste. Certes, ils ont combattu le tabagisme avec un certain succès. Mais ils tirent toujours des revenus substantiels des jeux de hasard et d'argent et des ventes d'alcool, autres produits dangereux pour la santé physique ou mentale. Heureusement, au Québec, chercheurs et praticiens en santé publique ont entrepris, non seulement d'en mesurer les conséquences, mais aussi de démystifier la «responsabilité» purement individuelle qu'on prétend attacher aux «comportements à risque».
Bref, l'année 2010 aura montré que les abus continuent dans maintes industries privées comme dans plus d'un organisme public, et que les pratiques qui ont engendré crises et désastres sociaux n'ont guère été corrigées. Les codes d'éthique à la mode n'y changeront pas grand-chose, à moins qu'ils ne soient impératifs et, surtout, que des équipes de choc à la justice, en milieu professionnel et dans les médias n'en assurent le respect. On aura sans doute l'occasion d'en voir davantage la nécessité dès 2011.
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
L'éthique à la mode
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