Au sein d'un État souverain, toute culture minoritaire, fût-elle majoritaire sur un territoire, demeure une culture. Seuls des individus ayant la qualité d'électeurs font des choix politiques. Pour eux, au Québec, il y en a deux: s'intégrer au Canada ou extraire ce pays du Québec. En démocratie, cela se passe ainsi. Les choix sont politiques. Aucunement culturels. Les choix culturels sont le propre des institutions politiques au sein desquelles ils sont objets de débats, de lois et de règles pour les appliquer.
Avec l'intégration, il se passe que les promoteurs de la culture ont tendance à se transformer en protecteurs des cultures comme font nombre d'anthropologues culturels. À ce titre, ils vilipendent les déviations de l'État souverain et décrient la faiblesse des moyens au soutien de leur culture d'allégeance. Objectivement, ils se lamentent et quémandent. Avec l'extraction, un nouvel État émerge. S'il y a présence de cultures diverses, minoritaires ou majoritaires, leurs membres agiront de la même façon avec le nouveau pouvoir.
Dans ces deux cas, les concepts «culture minoritaire» et «culture majoritaire» sont subordonnés à celui d'État souverain et indépendant. Comme l'est le référent «membre» d'une culture à celui de «citoyen» de l'État existant. Cet État existant ou nouveau, pour être membre reconnu et le demeurer, devra traiter les membres des cultures présentes sur leur territoire dans le respect des droits selon les règles internationales en cours. Et, bien sûr, selon les orientations définies au sein de leurs institutions politiques.
L'intégration
L'intégration est le lot des membres des cultures minorisées. Il y en a plus de trois mille dans l'un ou l'autre des 192 États souverains. Selon leurs ressources, leurs valeurs sociales et culturelles et leurs atouts politiques, ils peuvent, en s'associant ou autrement, faire infléchir certaines politiques de l'État souverain en fonction des intérêts qu'ils font valoir. Pour eux cependant, l'extraction est très rarement envisagée et, lorsqu'elle l'est, sert de levier pour faire valoir leurs attentes.
L'extraction est par contre un atout de plus dont disposent les membres des cultures minoritaires-majoritaires. En s'associant politiquement avec d'autres, ces derniers peuvent viser deux objectifs: un statut autre à négocier (renforcement socioculturel, quasi-pays voire pays) ou la création d'un pays, la négociation portant uniquement sur la sécession. Parce que ces objectifs sont politiques, les choses ne sont pas simples. En témoigne ce qui a cours au Québec.
Viser à négocier un statut autre incite à lier tout projet de souveraineté à des éléments culturels (identitaires) ou sociaux (rapports entre citoyens). À cette fin, les promoteurs doivent maintenir l'horizon ouvert, car une mésentente est susceptible de propulser la souveraineté, une entente, le renforcement des assises culturelles ou des rapports sociaux. L'approche péquiste, par dossier, et celle de Québec solidaire, par projet, privilégient une démarche de ce type. Viser uniquement à créer un pays évite ces détours. Le discours porte sur le pourquoi de l'extraction, la notion de peuple et la façon dont se déroulera la vie politique. Comme les motifs des citoyens varient, l'important est qu'ils convergent, ce qui fait de l'implication des citoyens, donc du «peuple», une priorité.
Démarches d'extraction
Avec l'extraction, définir le peuple sur une base identitaire embrouille tout. S'impose plutôt une approche axée sur l'égalité des citoyens comme acteurs politiques. S'imposent aussi de baliser les contours du pays et d'annoncer solennellement qu'il aura une culture institutionnelle respectueuse des droits des membres des minorités. Puis, en complément, des précisions sur le maintien des pratiques en cours en insistant sur le fait que tout changement sera le fruit de débats et de choix au sein du nouvel État.
Dans l'histoire du Québec, les démarches d'extraction furent toutes postérieures à des alliances citoyennes ou autres. En 1763, ce fut entre Amérindiens des Grands Lacs et ressortissants français pour chasser les Britanniques de la Nouvelle-France sous l'égide de Pontiac. En 1775-1776, même objectif à la suite d'une alliance entre ressortissants français et Patriots américains. En 1837-1838, ce fut un projet concocté entre Canadiens, Acadiens, Irlandais catholiques et quelques autres.
En 1995, l'approche diffère. Si l'extraction est recherchée et l'alliance surtout entre groupes sociaux, la démarche quitte le terrain des lamentations pour celui de l'affirmation. Toutefois, le pays n'est pas un objectif en soi, car le gouvernement du Québec est mandaté de trancher après négociation. Personne ne peut dire ce qui se serait produit, les députés n'étant pas mandatés par le peuple pour créer un nouvel État.
Lamentations
Sous la gouverne britannique, les démarches d'intégration par lamentations débutent vers 1763. L'aboutissement est l'Acte de Québec en 1774, puis l'Acte constitutionnel de 1791 à la suite de négociations avec des loyalistes. Après l'Acte d'Union forcée de 1840, elles se réactivent. En 1848, un gouvernement partiellement responsable apparaît et, en 1867, le Dominion of Canada est institué. En 1931, ce Dominion quitte le statut de colonie et, lors de la Seconde Guerre mondiale, accroît ses pouvoirs. S'ensuivent des lamentations. Elles aboutissent aux arrangements précédant la Révolution tranquille. En 1982, le Canada rapatrie sa constitution et l'amende. Après le référendum de 1995, son gouvernement remet les pendules à l'heure et se fait arbitre de tout référendum. Depuis, les lamentations ont refait surface.
Le bilan est simple. Les démarches par lamentations se reproduisent au gré de l'histoire, et il revient à l'État souverain de revoir son action politique et sa gouvernance. Le virage identitaire et l'approche péquiste par dossiers, fût-elle affirmative, s'y englueront. Idem pour QS avec ses projets sectoriels. Ce sont des approches typiques à la suite d'un choc majeur (conquête, défaite des patriotes et imposition de l'Union, remise des pendules à l'heure). Leur incidence est uniquement d'entretenir un pays imaginaire.
Quant aux démarches d'extraction, jusqu'à maintenant, leurs faiblesses découlent de la teneur des liens tissés par associations et d'un projet de pays trop vaguement défini. Elles peuvent être corrigées en activant un projet de pays. L'enclenchement d'une lutte en vue d'une élection décisionnelle (50 % + 1 des votes et des députés) a cette qualité de mobiliser le peuple québécois sur l'essentiel.
Sur la base des antécédents signalés, reprendre les lamentations alors que le mouvement indépendantiste reçoit un soutien plus large qu'en 1994 présage un triste avenir pour le peuple québécois, car à l'avantage des spécialistes de la lamentation, comme en 1880. Les constructeurs de pays décrocheront, et le mouvement battra de l'aile.
Quel avenir pour le peuple québécois?
Chronique de Claude Bariteau
Claude Bariteau49 articles
Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans L...
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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.
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