Réforme du Sénat

Québec a raison, dit un ex-sénateur conservateur

Ottawa ne peut pas agir de manière unilatérale, admet Bert Brown

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Harper frappe un mur... que la Cour suprême se fera un devoir d'abattre devant lui

Bert Brown, premier sénateur élu à avoir accédé au Sénat et ardent promoteur de la réforme de la Chambre haute de Stephen Harper, reconnaît lui-même qu’Ottawa n’a pas le droit de procéder à sa réforme sans l’aval des provinces. Et à cet avis politique surprenant s’ajoutent maintenant ceux de quatre experts constitutionnels qui donnent raison à Québec : le Parlement fédéral ne peut procéder unilatéralement, disent-ils.
Bert Brown avait été élu « sénateur en attente » lors des élections sénatoriales albertaines symboliques de 1998 et 2004. Stephen Harper l’a nommé au Sénat à la première occasion, en 2007. Âgé de 75 ans, M. Brown a pris sa retraite obligatoire le mois dernier. Pendant son mandat, il a défendu sans relâche les sept projets de loi qu’a déposés successivement le gouvernement pour réformer de manière unilatérale le Sénat. Et ce, même s’il pense que ce n’est pas constitutionnel de le faire !
« Ça prend une modification constitutionnelle approuvée par sept provinces représentant au moins 50 % de la population, ce qui signifie qu’il faut au moins que l’Ontario ou le Québec soit d’accord », a-t-il soutenu lors d’une récente entrevue téléphonique avec Le Devoir. M. Brown, qui préside actuellement le Comité canadien pour un Sénat triple-E (élu, efficace, égal), estime que Stephen Harper a bien fait de référer son plus récent projet de loi à la Cour suprême. Même s’il croit qu’il va perdre !
Alors, pourquoi avoir soutenu les sept projets de loi ? « Ça nous permettait d’aller voir chaque province et de les convaincre d’instaurer leurs élections, explique M. Brown. C’était une offre, pas une commande. C’était une première étape. On voulait montrer que c’était légitime. »
Le gouvernement conservateur tente depuis 2006 de modifier le Sénat de deux manières : en limitant la durée du mandat des sénateurs à neuf ans et en instaurant des « élections » sénatoriales par lesquelles un bassin de candidats potentiels serait constitué. Le premier ministre conserverait sa prérogative de nommer ces candidats, ou pas. Ce sont les provinces qui seraient responsables de choisir le mode électoral et de le gérer. Cette réforme était bloquée par l’opposition en situation minoritaire. Au lieu d’utiliser sa majorité pour la faire adopter, Stephen Harper a plutôt renvoyé sa réforme à la Cour suprême pour savoir s’il pouvait procéder.
Entre-temps, le Québec s’est aussi adressé aux tribunaux - la Cour d’appel du Québec -, estimant que la réforme conservatrice ne peut être mise en oeuvre sans l’approbation d’au moins sept provinces représentant 50 % de la population canadienne (exactement comme le dit Bert Brown). Pour appuyer ses prétentions, Québec a déposé les avis de quatre experts constitutionnels qui lui donnent raison.
Des quatre avis consultés par Le Devoir, trois concluent que la réforme conservatrice est à ce point profonde qu’elle influe sur « les pouvoirs du Sénat », ce qui équivaut à une réforme constitutionnelle comme le prévoit l’article 42 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il faut donc avoir recours à la formule d’amendement nécessitant l’accord de sept provinces représentant 50 % de la population. Le quatrième avis ne s’aventure pas jusque-là, mais conclut lui aussi que les changements proposés par le gouvernement conservateur altéreront la balance des pouvoirs des deux chambres parlementaires.
Les quatre experts consultés sont tous des anglophones enseignant à l’extérieur de la province. Andrew Heard enseigne les sciences politiques à l’Université Simon Fraser. Il détient une maîtrise de la London School of Economics et un doctorat de l’Université de Toronto. Il a enseigné en Afrique du Sud. Il a écrit sur les conventions constitutionnelles canadiennes. Dans son avis, il écrit que le projet de loi C-7 d’Ottawa est une tentative de contourner les règles sur les modifications constitutionnelles qui devraient s’appliquer.
« C-7 n’est pas seulement un complément à la méthode actuelle de sélection des sénateurs, elle est plutôt un changement transformateur dont l’objectif et les effets sont fondamentaux et altèrent non seulement la sélection des sénateurs, mais le Sénat lui-même. Il s’agit d’impacts fondamentaux qui, à mon avis, sont exactement le type de réformes constitutionnelles qui sont supposées être soustraites d’une loi unilatérale du Parlement », écrit M. Heard.
Donald Desserud enseigne quant à lui les sciences politiques à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard. Il est spécialisé dans le constitutionnalisme. Il estime que si le Canada n’avait le choix qu’entre deux avenues, soit l’action unilatérale du Parlement fédéral ou l’unanimité des dix provinces, alors il serait peut-être enclin à privilégier l’action unilatérale, l’unanimité étant trop difficile à atteindre en ces matières. « Toutefois, la Loi constitutionnelle de 1982 offre une troisième voie », conclut-il. Celle de l’appui de sept provinces. Tenter de « contourner » cette formule d’amendement « revient à saper l’intégrité fédérale de la Constitution ».
David Smith est un professeur de sciences politiques à l’Université de Saskatchewan spécialisé dans la gouvernance constitutionnelle. Il conclut lui aussi à l’impossibilité de procéder de manière unilatérale comme désire le faire Stephen Harper parce que les changements apportés sont trop « fondamentaux ». M. Smith fait valoir qu’une fois élu, le Sénat se sentira aussi légitime que la Chambre des communes et donc autorisé à bloquer les projets de loi qu’il n’aime pas. Dans l’éventualité où le parti au pouvoir à la Chambre des communes ne sera pas le même que celui au Sénat, des différends importants pourraient survenir. En l’absence d’un mécanisme de règlement de ces différends, C-7 est dangereux, argue-t-il.
Enfin, Bruce Hicks occupe la chaire de recherche Bell sur la démocratie parlementaire canadienne de l’Université Carleton. Il conclut lui aussi que les changements proposés, avec l’absence d’un mécanisme de règlement des différends entre les deux chambres, sont fondamentaux et altéreront la balance du pouvoir. Il ne va pas jusqu’à conclure que cela exige le recours à la formule d’amendement constitutionnel 7/50.
Ottawa s’est adressé en février à la Cour suprême pour savoir s’il peut modifier le Sénat comme il l’entend, voire l’abolir purement et simplement.


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