Quant à l’avenir, on verra

Chronique de Me Christian Néron


François Legault promet de mettre un terme aux débats stériles qui s’éternisent et divisent la société québécoise. Plus précisément, il prétend que, en taisant l’idée de souveraineté, les conflits politiques et constitutionnels vont s’apaiser et que la population du Québec, désormais unie et solidaire sous l’égide de l’autonomie provinciale, va progresser plus sûrement vers l’atteinte de son bonheur par l’accroissement de la richesse individuelle et collective. Ce genre de discours n’a rien de nouveau.
Il y a près de 150 ans, des hommes politiques du Bas-Canada avaient, eux aussi, essayé de vendre l’idée que la population atteindrait la prospérité et la richesse si seulement elle pouvait mettre un terme aux éternelles chicanes politiques de l’Union en se donnant une constitution au sein de laquelle le respect du principe d’autonomie provinciale rétablirait la paix politique et ouvrirait la voie à une ère de prospérité sans précédent.
Tout au cours de l’automne 1864, les ténors du projet de confédération se mettent à claironner les vertus et la nécessité d’une «autonomie provinciale» fondée sur un ensemble de compétences souveraines et intangibles. Parmi les plus enthousiastes et les plus bruyants, il y a La Minerve, organe officiel du parti de George-Étienne Cartier.
Dès le 13 août 1864, peu avant la tenue de la Conférence de Charlottetown, on peut lire :

« C’est pour le Bas-Canada seul que nous demandons une confédération afin de mettre à l’abri notre existence nationale comme race française et catholique. C’est seulement pour conserver cette nationalité à laquelle nous tenons autant qu’à la vie, que nous demandons une confédération. C’est notre droit, et personne ne veut aujourd’hui nous le nier. […] Dans la confédération, notre nationalité, contre laquelle s’acharnent tant d’ambitieux et de fanatiques, trouvera un refuge assuré, sans cependant recourir à un isolement qui lui serait fatal ».

Toujours dans La Minerve, le 17 septembre suivant :
« La presse française [du Bas-Canada] veut placer avant tout dans la constitution fédérale des garanties pour l’autonomie particulière de sa nationalité. Elle appuie tout le système sur ces garanties mêmes; elles viennent au premier rang et, sans elles, jamais l’établissement d’une confédération n’obtiendra son appui. »

Puis, le 15 octobre, au lendemain de la première journée de la Conférence de Québec, toujours dans La Minerve :
« Il y a deux principes sur lesquels règne un accord parfait : la nécessité de l’union de toutes les provinces, puis la nécessité de donner à chacune toutes les garanties désirables pour le maintien et la conservation de leurs intérêts particuliers et pour leur autonomie séparée. […] Mais pour nous, l’application du principe de la décentralisation devient d’une absolue nécessité. Quelles que soient les garanties qu’on lui offre, le Bas-Canada ne consentira jamais à laisser régler ses intérêts particuliers par les habitants des autres provinces. […] Tout projet de loi qui, directement ou indirectement, mettrait en danger notre autonomie politique, serait rejeté à l’unanimité par nos compatriotes. […] Nous exigeons avant tout une liberté et une juridiction parfaite des provinces pour la direction de leurs affaires internes. Les Canadiens-français donnent toutes leurs sympathies à un système de décentralisation complète justement parce qu’ils redoutent le gouvernement fédéral ».

Comme il est étonnant d’entendre les plus ardents promoteurs du projet de confédération avouer candidement «redouter» le gouvernement fédéral, et ce, près de trois ans avant sa formation !
Pendant tout l’automne 1864, de nombreux journaux du Bas-Canada tiennent des discours semblables. Certains prennent la peine de préciser que la confédération sera tout au plus une étape, un tremplin vers un avenir politique meilleur puisque toute société saine et prospère aspire naturellement à intégrer la grande famille des nations.
Pour le moment, le Bas-Canada est encore trop jeune pour assumer sa pleine souveraineté mais, à l’intérieur de la confédération, il pourra progresser, s’enrichir, se préparer pour aller assurément à la rencontre de son destin national.
Ainsi, dans le Journal de Québec, qui claironne bruyamment depuis des mois en faveur du projet de confédération, on peut lire, le 17 décembre 1864, sous la plume de son éditeur, Joseph Cauchon: « Mais nous ne pouvons pas rester toujours dans l’état colonial ! Oui, nous voulons être un jour, nation, et c’est là notre destinée nécessaire et le but de nos aspirations. »
Cet optimisme en faveur d’une accalmie du climat politique, de la croissance économique, de l’enrichissement individuel et collectif, de la préparation en vue d’une rencontre nécessaire avec son destin résonne encore dans le discours de François Legault.
Mais ce qui, chez lui, agace, c’est ce petit retard de près de 150 ans sur la programmation originale d’une autonomie provinciale, provisoire, et essentielle à la protection de cette « nationalité contre laquelle s’acharnent tant d’ambitieux et de fanatique ».
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Christian Néron
L’auteur est avocat, membre du Barreau du Québec, diplômé en Histoire et en Psycho-pédagogie, auteur de plusieurs articles et essais sur l’histoire des institutions.


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