Le grand patron de l'Autorité des marchés financiers (AMF) est bien conscient de la frustration grandissante des investisseurs qui n'ont pas accès à des opérations de financement d'entreprises canadiennes parce que celles-ci décident de ne pas traduire leur prospectus. Mais il soutient du même souffle que la solution appartient au gouvernement.
Le président de l'AMF croit que la traduction d'un résumé seulement du prospectus est certainement une option envisageable, mais que la décision n'appartient pas à l'organisme.
« Ça prend une volonté de faire face au problème », a dit Louis Morisset, hier, en marge d'un événement organisé au centre-ville de la métropole par le Cercle canadien de Montréal.
« Le problème est réel. On applique la loi telle qu'elle existe aujourd'hui. On ne peut que constater la réalité. »
Un reportage publié dans La Presse+ hier faisait état du mécontentement d'investisseurs qui se plaignent de rater des occasions de placement en raison du nombre d'entreprises canadiennes, notamment dans le secteur du cannabis, qui ont choisi d'exclure le Québec cet hiver en ne traduisant pas les documents réglementaires lors d'opérations de financement.
Ces émissions ne sont pas autorisées au Québec parce que la loi exige que les documents financiers soient offerts en français.
Les coûts de traduction sont notamment évoqués pour justifier la décision d'exclure le Québec, mais c'est surtout « le retard que ça cause dans une transaction de financement qui est la raison plus importante de ne pas traduire », affirme Pierre-Yves Terrisse, vice-président aux ventes institutionnelles chez Echelon Partenaires en Gestion de Patrimoine.
Certains experts ont émis des opinions dans le passé, mais il n'y a jamais eu de consultations générales officielles où tous les participants, dont des investisseurs brimés, pourraient s'exprimer.
« Ça pourrait être intéressant de voir ce qui sortirait d'un tel processus », lance Louis Morisset. Le président de l'AMF croit que la traduction d'un résumé seulement du prospectus est certainement une option envisageable, « mais c'est une décision qui ne nous appartient pas ».
UNE « VOLONTÉ GOUVERNEMENTALE »
Louis Morisset estime qu'il est difficile pour l'AMF de jouer un rôle proactif, « à moins qu'il y ait une volonté gouvernementale qu'on s'y intéresse ».
Dans le reportage présenté hier par La Presse+, le gouvernement avait simplement indiqué qu'il n'a pas présenté de modifications législatives à la Loi sur les valeurs mobilières, dont l'article 40.1 prévoit que les documents doivent être établis en français ou en français et en anglais.
Le député péquiste et ex-ministre des Finances, Nicolas Marceau, souligne que le problème s'est posé lorsqu'il était dans le gouvernement de Pauline Marois, il y a cinq ans.
« Nous sommes une société française, mais il y a aussi l'enjeu de la protection des consommateurs. C'est tout à fait raisonnable de s'assurer que les gens puissent lire la documentation en français. Ce n'est pas une exigence trop importante. C'est une exigence normale pour que les épargnants fassent des choix éclairés. » - Nicolas Marceau
« Les gens doivent savoir dans quoi ils investissent. Puisque 80 % des Québécois sont francophones et qu'on ne peut pas supposer qu'ils maîtrisent tous l'anglais, on n'a pas le choix. Il n'y a pas de compromis facile dans ce cas-là. Ce n'est pas un luxe de protéger les épargnants. C'est une obligation. »
Résumer en français les prospectus ne garantit pas suffisamment la protection des consommateurs, selon lui. « Les petites clauses sont importantes. Il faut pouvoir les lire. »
Pierre-Yves Terrisse pense qu'une partie du problème se réglera d'elle-même dans les prochains mois.
« Lorsque le cannabis sera officiellement légalisé quelque part entre juillet et septembre, c'est clair et net que les banques vont entrer dans le secteur », dit le vice-président aux ventes institutionnelles chez Echelon Partenaires en Gestion de Patrimoine.
Présentement, rappelle-t-il, les financements sont surtout effectués par l'entremise de courtiers indépendants.
« Ça va élargir le champ d'implication et faire en sorte que beaucoup plus de prospectus risquent d'être déposés au Québec », ajoute-t-il.