Le plan d'Air Canada pour acheter Transat se bute à un gros obstacle : le principal actionnaire de Transat - qui est aussi le plus important actionnaire d'Air Canada - s'oppose catégoriquement à la proposition préliminaire d'Air Canada pour le voyagiste montréalais.
« Transat vaut beaucoup plus que ça. Ce n'est pas intéressant », lance Peter Letko au sujet du prix de 13 $ par action - ou environ 520 millions au total - évoqué il y a deux semaines.
Peter Letko et son partenaire Daniel Brosseau dirigent Letko Brosseau, une firme montréalaise de gestion d'actifs qui détient une participation d'environ 20 % dans Transat et de quelque 10 % dans Air Canada. Actuellement, ces deux participations valent respectivement 80 millions et 1,1 milliard de dollars.
Dans une entrevue avec La Presse, les deux gestionnaires lancent un message à peine voilé aux autres actionnaires institutionnels de Transat, notamment la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui détient une participation de 6 %, et le Fonds FTQ, qui compte près de 12 % des actions.
« Je doute que ces gens aient l'habitude de vendre des actifs à un prix inférieur à leur valeur et qu'un actionnaire sérieux et intelligent puisse dire oui au prix évoqué », soutient Peter Letko, sans toutefois vouloir préciser quel serait un prix plus raisonnable.
Le 16 mai, Transat a convenu d'une période d'exclusivité de négociations de 30 jours pour son acquisition par Air Canada, sur la base d'un prix de 13 $ par action. Or, Transat a aussi souligné qu'une entente définitive sera assujettie au soutien de « certains de ses actionnaires importants ». Une majorité des deux tiers des actionnaires est requise. Avec une participation combinée de 38 %, Letko Brosseau, la Caisse de dépôt et le Fonds FTQ auraient ensemble une minorité de blocage.
La Caisse de dépôt n'a pas souhaité faire de commentaires, alors qu'au Fonds FTQ, le porte-parole a simplement indiqué que l'organisation continuait d'analyser le dossier.
Réparer le trou dans le toit
Ce n'est pas le moment de vendre l'entreprise, selon Peter Letko et Daniel Brosseau. « Quand il y a un trou dans le toit de la maison, tu dois le réparer avant de mettre ta résidence sur le marché », dit Peter Letko. « C'est ce que les dirigeants doivent faire pour obtenir un prix raisonnable. »
Le trou dans le toit ici, ce sont les problèmes de rentabilité auxquels Transat fait face depuis plusieurs années.
Selon Daniel Brosseau, le toit est réparable, même si Air Canada argumentera probablement que ce n'est pas le cas et que l'édifice va s'écrouler.
« Ça ne prend pas une grosse augmentation des revenus pour changer de beaucoup le niveau de rentabilité de la compagnie. On parle d'une hausse de 3 % du prix des billets, l'équivalent d'environ 30 $ par billet. C'est vraiment très peu. Mais ça fait toute la différence au monde. » - Daniel Brosseau, coprésident de Letko Brosseau
L'exécution est très importante, souligne Daniel Brosseau, parce que les prix varient selon l'offre et la demande du moment. « Lorsqu'un avion décolle, les billets ont été vendus sur une période d'un an. Pendant cette année-là, les prix ont fluctué. Il faut effectuer une gestion serrée des prix. »
Les deux partenaires indiquent que c'est un problème qu'avait Air Canada il y a 10 ans au moment où Letko Brosseau est devenu actionnaire.
« La gestion des prix est complexe, et c'est ce qui pose problème. »
Air Canada et WestJet gèrent mieux cette situation, selon Peter Letko.
« Nous avons remarqué d'importants écarts en comparant les prix de Transat avec ceux d'Air Canada et de WestJet, dont nous sommes aussi actionnaires. À certains moments, dit-il, pendant que leurs prix pouvaient augmenter de 4 %, ils pouvaient baisser chez Transat. Les autres réagissaient à ce qui se passait dans le marché avec le prix du carburant et les devises. »
Peter Letko affirme avoir discuté de la question avec les dirigeants de Transat. « Nous sommes de nouveau allés les visiter à l'automne pour mieux comprendre comment ils travaillent. Nous avions fait la même chose chez Air Canada il y a 10 ans. Des outils plus efficaces, comme des logiciels, ont été ajoutés chez Air Canada pour améliorer cet aspect des opérations. »
Les activités de Transat
Si Peter Letko se dit déçu des réponses obtenues auprès de Transat quant à la gestion du prix des billets, il croit que le PDG Jean-Marc Eustache est conscient qu'il y a un problème et que l'entreprise tente de le corriger.
À 13 $ par action, Peter Letko et son partenaire Daniel Brosseau calculent qu'Air Canada n'accorde aucune valeur aux activités de Transat, seulement à ses liquidités. En d'autres mots, une transaction à 13 $ par action donnerait accès aux abondantes liquidités de l'entreprise sans payer pour les activités.
« Si Transat ne valait vraiment rien, Air Canada ne devrait pas y être intéressée. Donc si Air Canada est intéressée, c'est en raison de ses activités. Ils devraient donc payer un prix qui reflète cette valeur », estime Daniel Brosseau.
« Pour Air Canada, c'est évidemment merveilleux », ajoute Peter Letko. « Les dirigeants voient une opportunité. C'est une occasion de croissance facile : avions, pilotes, etc. »
En tant qu'investisseur dans les deux entreprises, Letko Brosseau estime avoir plus à perdre avec une vente au rabais de Transat qu'à gagner avec une acquisition à bon prix pour Air Canada.
Chez Transat, Christophe Hennebelle, vice-président aux ressources humaines et affaires publiques, a offert un bref commentaire : « Il ne nous appartient pas de commenter l'opinion de Letko Brosseau. »
Letko Brosseau en bref
Associés fondateurs
Peter Letko et Daniel Brosseau
Année de fondation
1987
Activités
Gestion d'actifs
Siège social
Montréal
Bureaux
Montréal, Toronto, Calgary
Actif sous gestion
27 milliards
Quelques positions importantes
Air Canada (1,1 milliard) Suncor (550 millions) Banque Scotia (545 millions) Banque de Montréal (530 millions) Manuvie (510 millions) Telus (420 millions) Teck Resources (360 millions) WestJet (240 millions)