Voici quelque chose comme une première réaction à la proposition de «Charte des valeurs soi-disant québécoises» dont on parle tant depuis quelques jours...
1. Sur le document et son nom : mauvais choix de nom tant qu'à moi, les valeurs qu'ont nous dit «québécoises» sont celles de la démocratie, de la justice universelle, etc. Je ne vois rien de proprement québécois là-dedans. Les éléments qui sont de niveau «charte» seraient plus à leur place dans notre Charte des droits et libertés, où devrait se trouver la protection de nos droits linguistiques d'ailleurs. Les éléments qui s'appuient sur les dispositions de la charte devraient être dans des lois et des règlements ordinaires à mon humble avis. Mieux encore serait une constitution écrite pour chapeauter le tout, mais une chose à la fois.
2. Sur le fameux crucifix : je pense qu'il faut admettre qu'il n'est pas à sa place dans l'Assemblée nationale en plein cœur du lieu où sont adoptées les lois, surtout quand on connaît la petite histoire de comment il a atterrit là sous Duplessis. Je pense qu'il faut admettre aussi que c'est un point surtout symbolique qui n'engage pas de véritables questions de droits et libertés comme d'autres points et qui prouve que les symboles ont leur importance. Que si vraiment on trouve «extrême» qu'il soit complètement retiré de l'Assemblée nationale, qu'on le déplace dans un lieu parmi les édifices de l'Assemblée nationale qui ne sert pas aux fonctions parlementaires officielles.
3. Sur le port de signes religieux «ostentatoires» : c'est très clairement un point difficile, indépendamment du contexte québécois et de la teneur du débat jusqu'à aujourd'hui, pollué par des affrontements ultra partisans et souvent hystériques qui trahissent les phobies identitaires de tous les intervenants dans tous les camps. Débat faussé aussi par le fait qu'il y a un tiers parti intéressé (l'État canadien et tous les promoteurs de l'identité et des «valeurs» soi-disant canadiennes) et une situation de subordination politique qui rend illusoire toute volonté d'unir et de rassembler tous les Québécois dans une même identité politique et nationale à court terme. Point difficile, car le juste milieu de l'un n'est pas le juste milieu de l'autre. Si c'est même possible de légiférer intelligemment, de façon plus ou moins définitive, sur la question dans le plus grand respect des droits établis (j'ai de sérieux doutes !), peut-être la meilleure avenue est-elle celle qui repose sur l'extension du «devoir de réserve» des fonctionnaires qui existe déjà dans la loi. Le diable sera dans les détails comme disent les Anglais... Il faudra attendre le texte du gouvernement, le mettre aux côtés des autres propositions dans un tableau analytique.
D'emblée je ne vois pas l'utilité de faire en sorte que des fonctionnaires de l'État qui n’interagissent pas avec le public (et donc qui «représentent» l'État mais devant personne) soit tenus, par devoir de réserve, de ne pas afficher des symboles x ou y, politiques ou religieux. Ça n'a aucun sens. Également, toute interaction avec le public sans qualificatif me semblerait trop vaste : nous parlons de la livraison de services par l'État en lien avec les droits des citoyens de recevoir ces services sans discrimination par un État laïque. Si ce n'est pas de ça dont on parle, je ne suis pas certain d'être d'accord.
4. Sur la démarche : je tiens d'une source pas mal sûre (que je ne peux nommer) que certaines personnes dans le Parti québécois souhaitent que le Québec s'affirme comme vraiment laïque, par opposition au Canada (qui suivant cette idée le serait moins), afin qu'il y ait affrontement de «légitimité» entre le Québec et le Canada, et que de cet affrontement découle des gains pour l'appartenance québécoise et le mouvement indépendantiste. J'ignore si ces personnes sont dans l'entourage immédiat du cabinet ou dans le cabinet. J'ignore dans quelle mesure on tient compte de cela dans la démarche actuellement en cours.
Mais bon sang, je peine à exprimer à quel point je trouve délirant qu'on puisse penser qu'il s'agit d'une bonne stratégie de provoquer un affrontement sur une question comme celle-là. C'est tout ce qu'on a trouvé de mieux au Parti québécois pour passer la barre de 50 % + 1 d'appui à l'indépendance ?!?
5. Qualité du débat : grande déception, mais peu de surprise. J'aurais aimé voir les signataires du Manifeste pour un Québec pluraliste et les signataires du Manifeste pour un Québec laïque et pluraliste travailler ensemble dans un effort commun de pédagogie dont la population a besoin. J'ai vu encore une fois ce que je déplore chaque jour, c'est-à-dire l'affectivité et l'ego des individus qui défendent leurs thèses, leurs préférences politiques, au détriment de la démocratie qui exige des citoyens qu'ils s'unissent dans la recherche de la vérité et du juste dans le champ politique.
Un important débat sur la laïcité au Québec est en préparation depuis des années et pourtant, la page de Wikipédia sur la «Laïcité au Québec» redirige vers la page du «Mouvement laïque québécois» depuis 2007 !! Alors qu'elle pourrait être un utile point de départ dans le recherche d'information par le plus grand nombre, comme l'est la page (imparfaite, mais perfectible) «Laïcité en France» :
La comparaison internationale est absolument essentielle pour éclairer la discussion sur ce genre de questions. Et pourtant voyez moi la pauvreté de l'information disponible aux masses dans le cinquième site le plus visité au monde.
Je veux bien que des gens passionnés par un enjeu politique s'investissent, militent, consacrent beaucoup de leur temps à faire de la propagande pour diffuser leurs opinions, mais au détriment total de l'effort collectif de faire connaître massivement les faits qui doivent servir à la compréhension des problèmes et à la prise de position par les citoyens qui sont occupés à autre chose (peut-être un autre enjeu politique qui les passionne plus ?)
Le rapport Bouchard-Taylor a pourtant montré de façon très claire à quel point les médias ont donné à beaucoup de nos concitoyens une fausse perception de la réalité actuelle concernant les véritables cas d’accommodement raisonnable.
Est-ce l'analphabétisme informatique des intellectuels québécois qui explique qu'ils ne se servent pas du véhicule de diffusion massive qu'est Wikipédia ? Quoi qu'il en soit des causes, le phénomène est déplorable.
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