Ils ont beau ne pas bien comprendre le français, les Canadiens anglais n'ont pas manqué de décoder la stratégie du Parti québécois (PQ) derrière sa proposition de Charte des valeurs québécoises.
La une du Globe and Mail du 11 septembre 2013 titrait : « Quebec draws its line. Charter of Quebec Values sets its vision of a secular state on a collision course with the rights of minorities, and with the federal constitution ». Le même jour, CBC News reprenait la même idée générale sous forme de question : « Charter of Quebec values on collision course with Constitution? Parti Québécois government wants to entrench religious neutrality ».
Car c'est bien de cela dont il s'agit : entrer en collision avec une constitution fédérale fondamentalement illégitime, faire voir au public le conflit qui existe entre la liberté constitutionnelle du Québec et la constitution canadienne que le Québec n'a jamais signée.
Mais est-ce une bonne idée ? Est-ce une bonne stratégie ?
Pour les patriotes qui n'en peuvent plus de la stagnation du Québec dans le dossier constitutionnel, le simple fait de bouger peut sembler une bonne idée, même une excellente nouvelle. Cependant, est-il une bonne stratégie de bouger sur le front qui oppose la laïcité d'inspiration française à la laïcité anglo-saxonne, les «valeurs» de la modernité occidentale aux «valeurs» de religions millénaires, les droits des femmes à l'intégrisme religieux, et même, comme l'a justement montré le constitutionnaliste Henri Brun dans sa lettre au Devoir du 16 septembre, la liberté religieuse à elle-même ?
Il saute aux yeux que la stratégie adoptée par le PQ souffre d'une faiblesse qui n'est pas négligeable : l'unité du peuple sur la question. En effet, les gens qui suivent la politique québécoise en dehors des cercles de la plus pure partisanerie péquiste savent depuis au moins la Commission Bouchard-Taylor qu'au Québec, les indépendantistes, la gauche et les féministes sont divisés sur l'enjeu des accommodements raisonnables et celui du modèle de laïcité qu'il faut adopter.
Vous me permettrez de douter de la clairvoyance des stratèges qui ont entraîné le Québec dans cette histoire si vraiment on a délibérément conseillé au cabinet de se lancer au front sur ce qui est peut-être la plus difficile question politique à surgir dans notre espace politique depuis des lustres, tout en sachant très bien à quel point les meilleurs éléments du patriotisme québécois sont divisés sur la question.
Cela dit, tout n'est peut-être pas perdu.
Il y a certainement moyen de poursuivre l'objectif de faire progresser le Québec sur le plan constitutionnel, sur le plan de l'affirmation de son identité politique, avec une autre stratégie, que je trouve personnellement bien meilleure et surtout plus susceptible de mettre en opposition d'un côté un peuple fortement uni et de l'autre l'ordre constitutionnel illégitime et liberticide que nous subissons depuis trop longtemps.
Au lieu d'affronter le régime canadien sur une question qui divise jusqu'aux péquistes et bloquistes entre eux, pourquoi le PQ ne réanime-t-il pas son projet de citoyenneté et de constitution du Québec (projets de loi 195 et 196 d'octobre 2007) ?
Il lui suffirait d'abord de mettre en veilleuse non pas la Charte des valeurs québécoises, mais les aspects de la Charte qui font l'objet d'une sérieuse controverse : l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires pour tous les fonctionnaires de l'État québécois et le crucifix en plein cœur de l'Assemblée nationale. L'interdiction du port de signes religieux ostentatoires pour seulement certains types de fonctionnaires et le déplacement du crucifix dans un lieu de l'Hôtel du Parlement autre que la salle de l'Assemblée nationale où sont adoptées les lois constitueraient aux yeux de beaucoup un compromis honorable. La Charte devrait par ailleurs reprendre son nom initial de «Charte de la laïcité». Appelons cela un repli stratégique qui permettrait de mieux attaquer sur un autre front.
Une fois la Charte de la laïcité adoptée, le gouvernement aurait le beau jeu de ramener son projet de citoyenneté et de constitution du Québec dans l'Assemblée nationale, avec les modifications suivantes :
-* retrait de l'article sur le devoir de connaissance du français par les élus, qui est sujet au même type de controverse que l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires pour tous les fonctionnaires et cela sans faire progresser la cause du français d'un poil
-* ajout d'un article pour l'abolition du poste de lieutenant-gouverneur et l'élection d'un président du Québec au suffrage universel
Un affrontement Québec-Canada sur l'adoption d'une constitution qui serait un premier pas vers la matérialisation de la deuxième République québécoise serait à mon avis beaucoup plus rassembleur des forces indépendantistes et progressistes et de ce fait beaucoup plus susceptible de contribuer au renforcement de l'appartenance de tous à la communauté politique québécoise. Car dans cet enjeu qui ne manquerait pas de mettre en conflit la liberté constitutionnelle du Québec avec la constitution canadienne au même titre que l'actuelle proposition d'une Charte des valeurs québécoises, il n'y aurait pas affrontement entre frères et sœurs devenus ennemis, mais affrontement entre le peuple comme source de l'autorité politique et le système monarchique canadien qui en est la négation.
Pour ce qui est de l'importante question du modèle de laïcité que le Québec devra choisir dans une perspective à long terme, il m’apparaît évident que le nouvel espace politique constitué des citoyens de la République québécoise, fédérée dans le Canada ou encore mieux indépendante, serait beaucoup plus propice pour en discuter sérieusement et sereinement que le terrain miné sur lequel le gouvernement minoritaire de Pauline Marois a été entraîné.
Pour refaire l'unité des indépendantistes
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2 commentaires
Pierre Schneider Répondre
19 septembre 2013Il y aurait des souverainistes trudeauistes ? Où logent-ils donc ?
Jean-Claude Pomerleau Répondre
19 septembre 2013La dynamique de la rupture
"L'État devient ce qu'il fait" (G Bergeron)
La stratégie d'unir les forces avec un pacte entre les partis souverainistes est un cul-de-sac depuis le début (Voir : l'enfumage de Québec solidaire). La seule manière de refaire la cohésion de nos forces est celle d'adhérer à une proposition de politique d'État.
C'est l'État, vecteur du projet souverainiste, qui est l'enjeu, non pas un pays fantasmé.
La proposition de Charte des valeurs est un gambit politique majeur ; en fait une composante de la Constitution de l'État du Québec à venir, sur les bases de la Loi 99, adopté en l'an 2000. Nous sommes depuis 400 ans dans l'édification d'un État, sur les assises duquel reposent nous garanties d'exister comme nation française en Amérique.
The Globe and Mail, a compris la game, le rapport de force se cristallise, un conflit de légitimité à prévoir : Charte c. Charte.
C'est exactement la conclusion d'une série de textes sur ce thème que j'ai publié depuis 2008 :
....
Le Plan Larose devient le Plan Marois
http://www.vigile.net/Pauline-l-important-c-est-Larose
....
"Ce rapport de force établi sur un point précis (ex : Charte canadienne vs Charte du Québec) ne pourrait que procurer un avantage stratégique déterminant à la cause de la souveraineté. C’est cette perspective qui fait paniquer les idéologues fédéralistes."
http://www.vigile.net/Entre-le-nous-et-le-mou
(note : nous y sommes)
...
La burka canadienne
Le multiculturalisme.., la doctrine juridico-politique que les tribunaux canadiens sont OBLIGÉS d’imposer.
(...) "..., l’article 27 de la Charte canadienne stipule que les jugements rendus doivent « concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens »."
http://www.vigile.net/La-burka-canadienne
...
Le difficile changement de paradigme
Pendant que le Canada se définit sans nous, le Plan Marois propose de redéfinir résolument le Québec sans lui.
http://www.vigile.net/Le-difficile-changement-de
.....
Mon dernier texte :
Charte des valeurs québécoises
Le crucifix : le passage du témoin
La question existentielle
http://www.vigile.net/Le-crucifix-le-passage-du-temoin
.....
Conclusion :
Depuis 2007, la stratégie d'accession à la souveraineté a changé. Il s'agit d'un ajustement suite au constat que l'État canadien a clairement fait savoir qu'il n'allait pas reconnaitre un OUI gagnant (sous des prétextes arbitraires). Et que le Québec n'était pas dans un rapport de force favorable pour rendre effective sa décision sur son territoire (principe d'effectivité). D'où le plan de gouvernance souverainiste pour bâtir le rapport de force favorable.
Tant que ce plan demeurait du domaine des intentions, il prêtait flanc au scepticisme. Maintenant que le gouvernement passe à l'acte, il devient plus lisible. Même pour The Globe and Mail, mais pas tout à fait pour les souverainistes trudeauistes.
JCPomerleau