Dans les débats portant sur le rôle et le poids de l'État dans l'économie, on entend fréquemment certains intellectuels et politiciens québécois vanter le modèle suédois d'organisation économique et sociale, caractérisé par des niveaux élevés de taxation et de dépenses publiques. On oublie de préciser que la Suède a connu de graves problèmes de finances publiques et de chômage au début des années 1990 et qu'elle s'est remise sur la voie de la prospérité en procédant à de judicieuses et courageuses réformes fondées sur la libéralisation de son économie.
Contrairement à la situation qui prévaut souvent au Québec, le gouvernement et les différents intervenants en Suède ont su faire preuve de pragmatisme et n'ont pas eu peur de remettre en question certains dogmes qui paralysaient l'économie du pays, dont le caractère sacré de l'État-providence et du secteur public.
L'ascension et le déclin de l'État-providence
Il faut savoir que si la Suède a pu sortir de la misère et devenir riche en premier lieu, c'est qu'à partir de la moitié du XIXe siècle, elle a diminué les taxes et retiré les obstacles au commerce international, ce qui a lui a permis de connaître la plus forte croissance économique au monde entre 1870 et 1950. Cependant, la situation a commencé à se détériorer à la fin des années 1960 lorsque l'État suédois s'est mis à se démarquer des autres pays développés avec ses politiques d'intervention dans l'économie et dans le marché du travail.
La multiplication des programmes gouvernementaux et de la réglementation a étouffé la création d'emplois et de nouvelles entreprises. Parmi les 50 plus grandes entreprises actives en Suède, aucune n'a vu le jour entre 1970 et 2000. Le nombre d'emplois total a crû de seulement 8 % en Suède ces 30 dernières années, comparativement à 48 % au Québec. En fait, il ne s'est créé aucun emploi net dans le secteur privé depuis le milieu du siècle dernier, même si la population de Suédois en âge de travailler s'est accrue d'environ un million de personnes durant cette période.
La dépendance envers l'État s'est aussi accélérée à un rythme alarmant: la proportion de Suédois tirant leur revenu des recettes fiscales (en travaillant pour le compte du gouvernement ou en recevant des transferts publics) a continuellement progressé entre 1970 et 1995, passant de 28 % à 65 %. Au début des années 1990, la Suède se trouvait dans une impasse qui n'est pas sans rappeler la situation québécoise et canadienne de l'époque, en pire. Une grave crise économique a eu comme conséquences de faire chuter la production de 5 %, de hausser le chômage de 8 points de pourcentage et d'augmenter la dette de 46 % à 81 % du PIB en quelques années. Du 4e rang des pays les plus riches au monde en 1970, la Suède a progressivement dégringolé jusqu'au 16e rang en 1995.
La libéralisation pour sortir de la crise
La récession et la crise des finances publiques aidant, les dirigeants politiques n'ont eu aucun mal à convaincre le reste de la population quant à l'urgence de réformer l'État-providence, dont les limites étaient devenues clairement apparentes. Avec l'aval des parties prenantes, ils ont alors décidé de donner une plus grande place aux mécanismes de marché.
À titre d'exemple, plusieurs secteurs et services publics ont été ouverts à la concurrence, notamment la santé et l'éducation. On a procédé à la déréglementation de plusieurs monopoles publics et d'autres industries sclérosées: les secteurs du transport aérien et ferroviaire, du taxi, de l'électricité, des télécommunications, des services postaux, de même que la vente au détail et la vente d'alcool ont tous été libéralisés à différents degrés. Cela a permis d'abaisser considérablement les coûts de ces services.
Dans le marché du travail, les principales réformes ont touché la législation en matière d'emplois temporaires, qui a été grandement assouplie. La rémunération des employés de l'État s'effectue maintenant selon la performance et non plus uniquement selon le principe d'ancienneté. Les emplois à vie pour les employés du secteur public n'existent plus en Suède. Même si le taux de syndicalisation se maintient toujours à près de 80 %, les négociations salariales ont été grandement décentralisées au niveau local. Seulement 7 % des travailleurs couverts par une convention collective ont maintenant des conditions de travail négociées centralement.
Au chapitre de la fiscalité, la décision récente d'abolir l'impôt sur la fortune est la dernière d'une série de réformes entamées dans les années 1990 et visant à réduire le fardeau fiscal des Suédois. Par ailleurs, la fiscalité des entreprises et du capital qu'elles investissent est parmi les plus faibles au monde, ce qui contribue à les rendre plus concurrentielles sur le marché international.
Les résultats de ces réformes ont été au rendez-vous: les finances publiques se portent bien, l'inflation est maîtrisée, la croissance de l'économie et de la productivité est supérieure à la moyenne (entre 1994 et 2005, la productivité dans le secteur privé a crû de 3,3 % par année, soit une fois et demie plus rapidement que dans la moyenne des pays de l'OCDE). L'environnement économique de la Suède n'est évidemment pas parfait, mais le Québec gagnerait grandement à étudier les raisons véritables du succès du modèle suédois.
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Yanick Labrie, Chercheur associé à l'Institut économique de Montréal et chargé de cours à l'Institut d'économie appliquée de HEC Montréal
Pourquoi le modèle suédois fonctionne
Le «modèle québécois»
Yanick Labrie3 articles
Chercheur associé à l'Institut économique de Montréal et chargé de cours à l'Institut d'économie appliquée de HEC Montréal
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