Emploi - Des chiffres trompeurs

Le «modèle québécois»



Le Québec va bien, même très bien si l'on en croit les dernières données sur l'emploi publiées vendredi dernier par Statistique Canada. Réjouissons-nous... mais pas trop, quand même! puisque l'une des raisons qui expliquent ces résultats est la faible croissance démographique.
En septembre, le Québec s'est classé au 5e rang des provinces canadiennes avec un taux de chômage de 7,7 %, soit légèrement mieux que l'ensemble du pays (8 %) et beaucoup mieux que l'Ontario (8,8 %) qui peine à sortir de la récession. Toujours en septembre, il s'est créé 15 000 emplois au Québec alors que l'Ontario en a perdu 23 000.
Sur une année, le Québec arrive ainsi bon deuxième au pays avec 122 000 nouveaux emplois (+3,2 %), et il n'est devancé que par Terre-Neuve-et-Labrador (+5,3 %). C'est dire que non seulement la récession a été moins dure ici qu'ailleurs, mais la sortie de crise est aussi plus rapide.
Pour qui a vécu les récessions de 1982 et de 1990, celle-ci est de loin moins pénible à vivre collectivement, le niveau d'emploi nettement meilleur étant certainement la cause première de l'atmosphère moins tendue dans laquelle baigne le Québec malgré ses difficultés budgétaires et la tempête qui continue de faire rage autour. Aux États-Unis, par exemple, le taux de chômage frôle la barre des 10 % depuis plus d'un an.
Meilleur indicateur encore, le «taux d'emploi» qui calcule le pourcentage de toute la population en âge de travailler (15 ans et plus) qui occupe effectivement un poste s'est fortement redressé au Québec au fil des dernières années. Alors que l'Ontario a vu ce taux d'emploi baisser de 63,2 % à la fin des années quatre-vingt-dix à 61,4 % le mois dernier, le Québec a suivi une trajectoire inverse pour grimper de 57,8 % à 60,5 %. Une amélioration aussi spectaculaire enregistrée malgré la plus grave récession mondiale des cinquante dernières années, voilà des munitions pour tout politicien au pouvoir! Hasard ou préméditation, on ne peut d'ailleurs pas nier que les milliards que l'on a décidé d'investir dans les infrastructures avant même que la crise n'éclate ont beaucoup contribué à amortir le choc.
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Voilà pour les fleurs. Passons à l'autocritique. D'abord un constat brutal: si le taux d'emploi s'est amélioré depuis dix ans au Québec, ce n'est pas qu'il s'est créé plus d'emplois qu'ailleurs, mais que la population augmente moins vite ici qu'ailleurs: 10 % pour le Québec comparativement à 16 % pour le reste du pays. Ainsi, même s'il ne s'est créé que 15 % d'emplois de plus ici comparativement à 17 % de plus dans le ROC, le taux d'emploi a augmenté au Québec alors qu'il restait stable ou même diminuait ailleurs. Tant mieux si plus de Québécois ont du travail! Mais à moyen terme, on admettra que ce n'est pas une bonne nouvelle.
Par ailleurs, toutes les études sur la productivité nous disent que le Québec obtient de moins bons résultats qu'ailleurs. Or, sans amélioration de la productivité, il est impossible d'envisager une bonification des salaires et du niveau de vie.
À quoi est dû ce retard? Au fait que nous travaillons moins longtemps, c'est vrai, mais les Européens aussi travaillent moins que les Nord-Américains, ce qui n'empêche pas l'Europe de présenter un tableau plus reluisant que le nôtre au chapitre de la productivité.
La raison première tient plutôt à la faiblesse des investissements effectués par les entreprises installées au Québec. Ainsi, pour chaque dollar que les sociétés américaines ont investi par employé l'an dernier, les pays de l'OCDE ont investi en moyenne 85 ¢ par employé, l'Ontario 59 ¢ et le Québec 56 ¢. C'est très peu compte tenu des nombreux incitatifs fiscaux et du niveau d'impôt des entreprises parmi les plus compétitifs.
Les PME créent des emplois, mais elles investissent peu en équipements et en recherche. Ce sont les grandes firmes qui investissent. Or, à quelques exceptions notoires près, comme Bombardier, les grandes sociétés installées au Québec sont la propriété d'intérêts étrangers qui leur confient très peu de mandats de recherche et de développement de produits. On aura beau améliorer les programmes incitatifs, tout ce qui les intéresse, c'est de payer moins d'impôt!
Au cours des prochaines années, le Québec devrait faire de l'amélioration de la productivité une de ses grandes priorités, tant au secteur public que dans les entreprises. Non pas en réduisant toujours plus les impôts, mais en revoyant sa panoplie de programmes d'aide souvent très coûteux et de l'efficacité desquels on n'a aucune idée.
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j-rsansfacon@ledevoir.ca


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