Si de nombreux indépendantistes et sociaux-démocrates croyaient à la possibilité de modifier le Parti Québécois de l’intérieur, ils doivent changer d’avis. La décision de Pauline Marois d’exclure le SPQ-Libre (à l’encontre des statuts de son propre parti, qui prévoient qu’une telle question ne pourrait être débattue qu’au congrès de 2011… mais que valent les statuts d’un parti quand tout ce qui compte est le pouvoir?) de son parti répond à cette question. Non, ce parti ne changera pas, quand bien même ses militants le souhaiteraient. Au PQ, on ne défend pas des valeurs ou des idées; on dirige le parti au gré des sondages et des objectifs politiques à court terme. Le but est toujours le même: le pouvoir pour le pouvoir, et tant pis pour les militants. C’est d’une rupture dont il est question.
À l’origine, la recette était pourtant simple: en permettant la création de clubs politiques à l’intérieur du parti, l’ancien chef Bernard Landry espérait satisfaire une aile-gauche échaudée par plusieurs années de gouvernance de droite et empêcher sa fuite vers Québec Solidaire, qui empêchait l’élection de nombreux candidats, à cause de la division du vote. Officiellement, n’importe quelle organisation de militants pouvait prétendre à ce statut, sous certaines conditions, mais toutes les demandes furent systématiquement rejetées. Si bien qu’on s’est retrouvé avec un seul club politique au parti, donnant une sorte de caution morale de la part des progressistes aux orientations du PQ. De nombreux militants du Mouvement pour une élection sur la souveraineté, par exemple, se sont ainsi fait barrer la route; les clubs politiques n’ont pas été créés pour démocratiser le parti, mais simplement pour accommoder temporairement la gauche de peur de la voir quitter pour Québec Solidaire. Simple calcul.
Or, aujourd’hui, avec la dégringolade de l’ADQ dans les sondages, la donne a changé. On ne craint plus Québec Solidaire, non pas parce que le parti ne continue pas sur sa lancée, mais simplement parce qu’il n’y a plus d’alternative majeure à Jean Charest et que le vote adéquiste devrait trouver sa place, naturellement, à droite. On fait le calcul qu’après neuf ou dix ans d’un même gouvernement, les Québécois, en 2012, auront le goût du changement, et que le pouvoir devrait tomber comme un fruit mûr, en autant qu’on n’effraie pas trop les électeurs avec des politiques social-démocrates ou indépendantistes. Résultat: on se colle sur le discours économique dominant, on se tient tranquille, et on censure les empêcheurs de tourner en rond.
« Les partis de nature révolutionnaire, lorsqu’ils ne réalisent pas rapidement ce dont pourquoi ils ont été créés, deviennent rapidement la possession de réseaux privés [...] et utilisent leur mission originelle en faire valoir de leurs buts corrompus » a écrit le politologue K. Deutsch. C’est exactement ce qui se produit actuellement avec le Parti Québécois. On enfonce de force dans la bouche des militants la régurgitation de stratégies politiques à la petite semaine n’ayant comme but que le pouvoir, ce fruit si longtemps désiré et qui viendrait couronner la carrière des nombreux apparatchiks qui se servent du parti non pas pour réaliser des objectifs politiques communs, mais simplement pour y faire carrière. Ces réseaux d’individus décidant des orientations derrière des portes closes et gérant les congrès ou les colloques comme d’habiles metteurs en scène, corrompent ce qui devrait constituer l’essence même de n’importe quel parti politique en santé: sa démocratie, c’est-à-dire la capacité des membres d’en bas de voir leurs valeurs relayées aux plus hauts échelons de la pyramide.
Ainsi, si on ne peut plus permettre à des membres de s’exprimer en s’organisant dans un club politique plus à gauche, si on désire les cacher parce qu’ils s’expriment un peu trop ou sont trop intéressés par les débats d’idées, ce n’est pas seulement d’une formidable capacité d’opposition qu’on se débarrasse. On rejette la démocratie de parti et on inverse la pyramide; les membres ne sont plus que de simples faire-valoir qu’on montre aux caméras et qui adoptent, en applaudissant bêtement, les décisions prises en haut. On tue le parti politique en tant que véhicule capable de représenter les valeurs de la population. Il devient un simple taxi payant, changeant de destination au gré des sondages et laissant tel ou tel groupe sur le coin d’un rue en fonction des objectifs du jour.
À partir du moment où le Parti Québécois devient ce parti sans âme, où les décisions ne proviennent plus véritablement de la base, il ne peut plus qu’entraîner davantage d’opportunistes, de carriéristes et autres plaies pour n’importe quelle organisation incapable d’en contrôler l’influence. Aucun groupe de militants, aucune sous-organisation, aucun club informel ne peut plus changer les choses: les chefs décident, et les militants suivent. La seule façon de participer aux décisions nécessite donc de monter au sein de la pyramide, et la seule façon de s’y hisser est de voter oui à toutes les suggestions des dirigeants en regardant le plafond et en baillant. On crée ainsi une organisation politique où l’à-plat-ventrisme et le refus des débats devient une condition sine qua non pour atteindre le pouvoir. Le but n’est plus de gouverner pour la population, mais de permettre au système vicié de maintenir son existence atrophiée.
Les changements politiques qui permettent de faire avancer les enjeux importants ne peuvent provenir d’une telle façon de faire. Depuis que les Grecs ont inventé la démocratie, notre système en entier est basé sur l’idée du débat d’idées, de la confrontation de positions opposées devant permettre de faire jaillir la vérité. Si la politique du parti a sensiblement modéré cette approche, forçant chaque clan à s’opposer parfois jusque sur la forme, le débat à l’intérieur des partis ne doit pas, ne peut pas cesser. On ne peut pas museler tout un groupe sous prétexte qu’il offre une mauvaise image au parti ou que ses idées ne sont pas partagées par la direction du parti; ce n’est pas à une minorité de parvenus de court-circuiter cet appareil démocratique.
Dans ce contexte, ce ne sont pas seulement les militants et sympathisants du SPQ-Libre qui doivent prendre acte de la décision de Marois et de ses sbires. C’est à l’ensemble des militants indépendantistes et sociaux-démocrates de réaliser que le Parti Québécois ne peut plus, ne veut plus être modifié de l’intérieur. Les grands chantiers, les grandes discussions, les grands débats, tout ceci est désormais du passé. Il ne reste plus que des ruines fumantes qu’on tente de faire passer pour un spectacle pyrotechnique.
Désormais, c’est de l’extérieur qu’il faut agir, dans d’autres partis, sous d’autres appellations, et il faut avoir le courage de cesser d’écouter les vieux refrains sur les soi-disant convictions indépendantiste et social-démocrate de ce parti, et réaliser qu’à l’interne, le seul mot important est celui-ci: POUVOIR.
Le reste, c’est un spectacle pour la télévision.
Pour ceux que ça intéresse encore.
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