Essais québécois

Pour l'éthique et la culture religieuse à l'école

"Éthique, culture religieuse, dialogue. Arguments pour un programme" de Georges Leroux

ECR - Éthique et culture religieuse

En septembre 2008, un nouveau programme d'éthique et de culture religieuse remplacera le programme d'enseignement religieux confessionnel de l'école québécoise. Faut-il s'en réjouir? Dans Éthique, culture religieuse, dialogue. Arguments pour un programme, le philosophe Georges Leroux, qui a participé à l'élaboration de ce nouveau programme, répond par un oui éclatant à cette question. Plutôt reconnu pour sa réserve et sa sagesse dans les débats publics, le collègue Leroux, cette fois-ci, ne cache pas son enthousiasme. Le pluralisme de la société québécoise (présence de diverses confessions, mais aussi de l'incroyance), selon lui, nécessitait une nouvelle approche, et le programme concocté par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport est à la hauteur des attentes.
«Il ne s'agit pas d'abord, ni même fondamentalement, écrit Leroux, d'accorder aux exigences de la culture urbaine, caractérisée par un pluralisme de fait, les structures de l'école, il s'agit plutôt de mettre en harmonie l'école avec la modernité politique: notre société demeurerait homogène sur le plan des convictions et des croyances que ce principe ne s'en appliquerait pas moins.»
La France a choisi le modèle républicain. Son système scolaire «assume une sécularité complète» et s'en remet à la culture nationale (historique, littéraire, philosophique) pour la transmission des normes visant à cimenter la République. Certains pays d'Europe du Nord ont opté pour «une approche confessionnelle d'inspiration communautarienne et offrant des enseignements religieux partout où le nombre le justifie». Le modèle américain, pour sa part, «favorise au contraire la compétition de l'offre dans la transmission des normes». Il en résulte une diversité qui ne va pas sans entraîner un danger de dispersion.
Le nouveau modèle québécois, explique Leroux, emprunte une autre direction. «Nous pensons, écrit-il, que le savoir moral et religieux doit être explicitement transmis, et non pas refoulé, et nous pensons que cette transmission doit refléter le pluralisme de la culture.» D'où ce programme unique, placé sous la seule autorité de l'État et non plus sous celle aussi de ses partenaires religieux, qui valorise, au premier chef, la connaissance de la différence et le dialogue de tous avec tous.
Pluralisme et harmonie
Dans une société pluraliste, l'harmonie ne saurait exister sans «le respect réciproque des valeurs et des croyances». Or, sans connaissance de l'autre et sans valorisation de la différence, ce respect est impossible. On pourrait, bien sûr, dans une optique simple d'éducation à la citoyenneté, privilégier l'enseignement des droits et libertés de la personne, mais ce serait négliger le fait que «le savoir moral et religieux est constitutif du langage même de notre identité et de notre expérience la plus actuelle, il est la condition fondamentale de notre compréhension de nous-mêmes autant que la condition de notre accès à l'autre».
Certains diront peut-être que ce savoir, aussi valable soit-il, n'a pas sa place à l'école. Leroux, on l'aura deviné, ne partage pas cette opinion. «L'histoire, explique-t-il dans un admirable développement, nous enseigne en effet que ce savoir est précaire, fragile et même périssable, elle nous enseigne aussi que ce savoir est indispensable dans le processus même de la formation.» Aussi, «refuser en la marginalisant la transmission de ce savoir, c'est prendre le risque, comme le montre l'exemple de la France aujourd'hui, d'aboutir à l'incompréhension de l'autre d'abord, et au déficit d'identité ensuite». La connaissance des traditions, morales et religieuses, libère parce qu'elle permet un dialogue substantiel et sain au sujet des diverses conceptions de la vie bonne.
Éthique et religions :
une interpellation réciproque
Trois compétences président au nouveau programme: réfléchir sur des questions éthiques, manifester une compréhension du phénomène religieux et pratiquer le dialogue. La première concerne «l'apprentissage de la réflexion rationnelle et critique sur le bien et sur l'action» et vise un objectif d'autonomie. La deuxième, qui doit éviter les écueils de l'endoctrinement et du relativisme, veut «donner aux jeunes la capacité de comprendre les croyances religieuses et les symboles qui structurent le rapport au monde des autres» et relève plus d'une forme de connaissance. La troisième, enfin, couronne la démarche en proposant la pratique du dialogue sur les principes et les valeurs, voie par excellence du vivre-ensemble dans une société démocratique.
Certains philosophes, qui considèrent les religions comme «des représentations sommaires ou archaïques de positions morales amenées à maturité dans l'éthique rationnelle», auraient souhaité que ces dernières soient exclues du programme. Leroux avoue préférer «penser que ces deux sphères de la culture sont placées dans un processus constant d'interpellation réciproque, et dans certains cas de réelle confrontation».
Des parents catholiques et quelques membres du clergé auraient souhaité, au contraire, le maintien de l'enseignement religieux confessionnel. Leroux, toujours délicat, n'argumente pas directement contre leur position. Il aurait pu leur rappeler, pour les consoler, que le bientôt défunt programme confessionnel avait perdu depuis longtemps son efficacité en matière de transmission de la foi. Même avec ce programme, devenu embêtant pour plusieurs, l'école ne produisait plus de petits catholiques ou protestants. Le nouveau programme, d'ailleurs, reconnaît le catholicisme comme «la tradition religieuse de référence au Québec, et en l'associant au protestantisme, au judaïsme et aux spiritualités des peuples autochtones, il en fait le patrimoine offert au premier chef à l'effort de compréhension».
Pour réussir, ce programme devra compter sur l'appui constant de l'État, des écoles, de la population et sur des enseignants bien formés. Pour l'heure, il semble plein de belles promesses que le philosophe formule avec grâce: «En proposant ce programme, l'État québécois veut s'assurer que notre école ne sera pas un espace vide sur le plan des normes et des symboles, qu'elle transmettra le langage hérité des traditions constitutives de notre société et qu'elle donnera à tous les instruments de la réflexion éthique, seule capable de développer les valeurs essentielles pour nous, c'est-à-dire les vertus de la démocratie: tolérance, respect, recherche en commun du bien commun et des principes guidant la discussion de tous avec tous. C'est la seule manière de vivre en harmonie le pluralisme croissant de notre société.» Des arguments solides pour un programme nécessaire.


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