De la notion de bien commun

Pont Champlain: utilisateur VS bénéficiaire

Tribune libre

Comme l’écrivait M. Patrick Lagacé dans son article, La Presse du 21 novembre 2011 « Au fond, ce débat sur l'utilisateur-payeur, qu'on ne fait qu'à la sauvette, comme dans le cas des ponts Champlain et Jacques-Cartier, pose une question plus globale: à quoi ça sert, une société »? Il a raison sur au moins un point, la question est plus globale.

De plus en plus, et enfin, nous parlons de biens communs ou collectifs, de leur propriété, du droit à leur usufruit, du « qui doit payer » pour leur réalisation, pour leur exploitation & leur entretien, leur durabilité, leur valeur..... Mais qu’elle la portée de ce concept de bien commun, où commence et s’arrête la liste de ce type de bien ?

Le pont Champlain est porteur de cette réflexion profonde. Mais attention, l’introduction de ce concept a des conséquences fondamentales, exigent des débats et des remises en question que, inconsciemment, soyons bon joueur, nous les remettons aux calendes grecques. Il fait peur. Lorsque la liste des biens communs s’allonge, celle des biens privés rétrécit. Les payeurs et bénéficiaires changent. La conception du droit à la propriété est directement interpellé. Et, comme les biens communs globaux (Note1) sont sans frontières, la souveraineté absolue des pays est défiée.

Le pont Champlain dans une approche responsable & courageuse nous oblige à examiner ses conséquences sous l’angle du bien commun.

Cet article a trois buts :
1) appliquer le concept de bien commun au pont Champlain;
2) susciter une discussion qui pourra être appliquée à des situations semblables de plus en plus fréquentes;
3) et suggérer une logique de financement conséquent pour le pont Champlain.

Voici, en m'appuyant sur mon article « Le bien commun, l’anse de la prochaine Révolution tranquille (Note 2) », ce que j’identifie comme bien commun :

1) Les infrastructures communes:
a) Le pont (tout comme les routes, les aéroports, gares, ports, les voies maritimes, voies aériennes, les chemins de fer, réseau internet…);
b) Les accès aux deux extrémités du pont (les rues, les boulevards, les voies rapides, les terminaux de métros, d’autobus, de train, les pistes cyclables, les trottoirs, les stationnements…);
c) La fluidité ou la congestion, la gratuité d’accès ou le péage, les accidents, la sécurité, la vitesse, la règlementation, la signalisation…;
d) L’espace entre le fleuve et le pont pour l’accès au grand bateau.

2) Le commun culturel :
a) L’architecture;
b) L’attrait touristique.
3) Les communs de quartier :
a) La sécurité;
b) La tranquillité;
c) La pollution de l’air, du bruit, du paysage;
d) Les arbres;
e) Etc.…

Je considère ces biens comme communs parce qu’ils:
1) nécessitent une collaboration et une coopération dynamique entre divers paliers gouvernementaux et leurs fonctionnaires, les commerçants, les résidents…;
2) ont un aspect global, à grande échelle qui préoccupe de plus en plus les communautés (la pollution, la sécurité, la tranquillité, l’accessibilité, la fluidité, la santé de sa communauté);
3) ont un impact qui va au-delà du quartier, de la ville, de la province & du pays. Par exemple le questionnement obligatoire sur la tarification des autres ponts et des conséquences sur le déplacement du trafic;
4) impacteront sur les générations futures;
5) ont une capacité limitée;
6) doivent être équitablement accessible;
7) sont vulnérables à empiètement, la privatisation, la commercialisation, à la sur utilisation, la sur consommation, la rareté, la dégradation;
8) Nécessitent une règlementation appropriée pour gouverner le bien.

La question qui se pose alors est, qui est le commun?
En utilisant l’approche utilisateur qui paie, on sous-entend que le commun se limite à celui qui utilise le pont. En appliquant la notion de bénéficiaire, on comprend rapidement que cette présomption est fausse.

Voyons cela.
Le bénéficiaire: Particulier-auto (conducteur et ses passagers)
qui utilise le pont, particulier-moto, vélo, passager train…
Le bénéfice retiré. Se rendre au travail, aller faire ses achats, voir des amis (e)s, loisirs… plus rapidement, en sécurité;
Plus grande possibilité d’emplois, et donc salaire, qualité…

Le bénéficiaire. Le camionneur
Le bénéfice retiré. Porter sa marchandise plus rapidement, en sécurité;

Le bénéficiaire.Les navires-transporteurs
Le bénéfice retiré.Accessibilité pour des plus gros bateaux. Le nouveau pont sera plus haut.

Le bénéficiaire. Entreprise
Le bénéfice retiré. Disponibilité de main-d’œuvre;
Réduction des frais de transport (entretien, essence…);
Accessibilité plus grande pour clients locaux, régionaux, touristiques…

Le bénéficiaire Les locataires & les propriétaires immobiliers
Le bénéfice retiré . Plus grand choix d’hébergement, meilleur loyer, meilleur prix de vente ou prix d’achat;

Le bénéficiaire La société,
Le bénéfice retiré. Sécurité, fluidité, pollution, santé physique et mentale, création d’emplois…

Le bénéficiaire. Les gouvernements (fédéral, provinciaux, municipaux)
Le bénéfice retiré.Réduction des accidents et du risque de tragédie, augmentation de la productivité, des taxes, image de marque à l'international...

et autres.

Comme le montre ces quelques exemples, certains bénéficiaires sont des utilisateurs & des non-utilisateurs. Il est fort possible que les bénéficiaires non-utilisateurs sont plus nombreux & en retirent des avantages de grandes valeurs. Conséquemment les coûts dans une conception de bénéficiaire seraient répartis sur un plus grand ensemble. Ce qui serait plus équitable et possiblement permettrait d'éviter le péage ou un montant juste.

Si nous sommes d’accord avec le concept de bien commun pour le pont Champlain et la pertinence de la notion de bénéficiaire, nous sommes donc également d’accord que le concept d’utilisateur-payeur est dépassé, inacceptable et non-justifié.

La question qui suit est combien devrait payer chaque type de bénéficiaire? Voilà une bonne question à laquelle nous devons répondre.

Prenons quelques exemples :
Les entreprises vont maintenant avoir un accès plus grand à de la main-d’œuvre, moins d’absences, moins de retard au travail, moins d’accidents, des frais de transport réduits, des employé(e)s mieux disposé(e)s…Combien devraient-elles contribuer?

Les commerçants-détaillants vont maintenant avoir accès à un plus grand nombre de clients, les hôtels à plus de touristes, quel devrait être leur contribution? Montréal sera plus fluide, plus invitante, donc une plus-value immobilière, donc plus de taxes, combien devra contribuer les propriétaires fonciers. …

Les villes de la rive sud seront également plus invitantes tant pour les entreprises, que pour les propriétaires. Ces entreprises et ces propriétaires devraient également contribuer même s'ils n'utilisent pas le pont.

Quels sont les coûts qui devraient être répartis entre les bénéficiaires? Cette question est particulièrement pertinente parce que le propriétaire actuel du pont est le gouvernement fédéral.

Il y a trois grandes catégories de coût : le coût d’acquisition, le coût d’exploitation & d’entretien et le coût de remplacement.

1) Normalement une bonne partie du coût d’acquisition du nouveau pont devrait être couvert par les provisions d’amortissement qui ont été prises pour l’ancien pont. Comme le propriétaire actuel est le gouvernement fédéral, cette provision se trouve dans ses registres. Il devrait donc être le payeur.

2) La différence entre le coût du nouveau pont & l’ancien (excluant les extras comme le train de banlieue) devrait être couverte en grande partie par la réduction des dépenses d’exploitation et d’entretien. Un nouveau pont devrait coûter moins cher à exploiter et entretenir. Comme le propriétaire actuel est le gouvernement fédéral, cette économie reviendra au gouvernement fédéral. Il devrait donc être le payeur.

3) Le coût des extras (train de banlieue, coût pour un pont plus haut…), les coûts d’exploitation & d’entretien & les provisions d’amortissement pour le remplacement du prochain pont devraient être payés par les bénéficiares. Voir les exemples plus haut.

Conclusion.

Comme nous le constations, le financement du pont Champlain soulève plusieurs questions que nous ne pouvons pas éviter, et surtout pas de façon autocratique comme le fait actuellement M. Harper.

Éviter ces questions nous rend aveugles, nous font prendre de mauvaises décisions et assurément elles nous rattraperont. Les aborder n’est pas une source de conflits, mais une ouverture vers de nouvelles solutions.

Ma recommandation est simple : mettre en place un groupe de travail composé des divers paliers gouvernementaux et ministères (fédéral, provincial, municipal, transport, finance, tourisme…), de commerçants, de résidents… ayant pour mandat de proposer, sous la notion de bien commun, un projet & un mode de financement intégré pour le pont Champlain.

Comme le disait Scott Russell Sanders (2006) « Nous avons besoin d’une histoire qui mesure la richesse non pas par la quantité de biens ou d’argent dans des mains privées, mais par l’état des biens communs » et j’ajoute que nous léguerons aux générations futures.


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3 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    7 mai 2014

    Coderre lit Vigile.net
    http://www.vigile.net/Stephen-Harper-doit-reculer-dit
    On pense qu'il se fera avoir?
    Il se compromet: Harper, marchez sur la peinture!

  • Archives de Vigile Répondre

    6 mai 2014

    Tout à fait d'accord avec vous M. Nantel. Ce sont les armateurs et les transnationales qui font transiter leurs marchandises vers les Grands Lacs qui devraient payer la construction du pont dans un pays normal. Avez-vous entendu un seul candidat péquiste soulever ce double pillage pendant la campagne? Pas de danger: on n'aime pas ça la chicane nous autres!
    Le fait que les bateaux ne s'arrêtent plus à Montréal a déjà fait perdre une incalculable vigueur économique à la ville et encore aujourd'hui, le fait que nous devons construire des ponts surélevés sur tout le St-Laurent nous coute une fortune pour le seul bénéfice de l'ouest.
    Pas un maudit député du PQ pour dénoncer ce vol et détournement de fonds. Des arguments concrets pour promouvoir l'indépendance l'actualité en apporte chaque jour. Mais il n'y a personne pour frapper la balle.

  • Jean-Jacques Nantel Répondre

    6 mai 2014

    Comment avez-vous pu ne pas mentionner le fait que ce dont les Montréalais ont besoin (et devraient payer) pour traverser le fleuve Saint-Laurent, c'est l'équivalent d'un pont bas et peu coûteux comme celui qui se trouve à cent mètres à peine à l'ouest du pont Champlain et qui s'appelle l'estacade du pont Champlain?
    Comme cette estacade a seulement deux voies de circulation et que les Montréalais ont besoin de six ou huit voies de circulation, il serait facile de calculer combien coûterait cette nouvelle estacade à huit voies si on la continuait jusqu'à la rive sud, soit deux ou trois cent millions de dollars au maximum.
    Si le nouveau pont Champlain coûtera si cher, c'est parce qu'il y a de gros bateaux à destination de l'Ontario et de l'Ouest qui passent en dessous gratuitement.
    La quasi totalité des coûts du nouveau pont Champlain devraient donc être payés par les utilisateurs de la Voie maritime et non par les automobilistes montréalais qui, eux, devraient ne payer que l'équivalent de la grosse estacade à huit voies dont j'ai parlé plus haut.
    Pourquoi toujours se laisser voler sans rien dire? Partout ailleurs dans le monde, les gens paient quand il traverse un territoire!