Que le décès du grand commis de l’État Pierre-F. Côté se soit produit le soir même de l’arrestation de Michael Applebaum est d’une grande ironie. Car au moment de quitter son poste de directeur général des élections en 1997, M. Côté avait carrément prophétisé l’actuelle catastrophe montréalaise et lavalloise. On dirait que le sort a voulu nous souligner ces 16 années que nous avons perdues, faute de l’avoir écouté.
«L'expérience que j’ai vécue avec Vision Montréal montre que ça commence par la plus grosse ville. Ça va exploser, ça va éclater, à un certain moment », avait-il déclaré au Soleil, le 7 juillet 1997. La relecture, aujourd’hui, de cette interview « testament » de Pierre-F. Côté donne des frissons. « Il y aurait matière à ouvrir plusieurs enquêtes. […] En particulier dans la région de Montréal. » Il rappelait s’être attaqué au cas de Vision Montréal, parti de Pierre Bourque à l’époque : « Juste 218 poursuites [pour contributions irrégulières]. C’était juste un avertissement », avait-il menacé. Il était « presque de notoriété publique que ça fonctionne à coups de ristournes », ajoutant cette anecdote : « Un maire rencontrant un autre maire lui a demandé : “Tu marches à quoi, toi ? À 20 % [du total des contrats octroyés] ?” » Une allusion au financement de sa caisse électorale ? Cela pourrait être aussi « pour sa caisse personnelle », avait-il lancé.
Rétrospectivement, les réactions à cette troublante sortie peuvent être qualifiées de risibles, voire suspectes. Le gouvernement Bouchard n’y donna pas vraiment suite, alors qu’une commission d’enquête aurait dû être déclenchée. Le président de l’Union des municipalités d’alors, Mario Laframboise (par la suite bloquiste et plus récemment caquiste), s’était dit insulté, soutenant que depuis « sept ans », l’UMQ « donn[ait] des cours aux élus sur les conflits d’intérêts ». En somme, Côté jetait du « discrédit sur les efforts des maires » ! Risible…
Pierre-Ferdinand Côté aura été un défricheur du Québec moderne. Entré dans la fonction publique en 1960, il contribua à l’opération de nationalisation de l’électricité aux côtés de René Lévesque, comme chef de cabinet. Désigné DGE par l’Assemblée nationale en 1978, il travailla à l’indépendance de l’institution ; il mit en place les lois sur les consultations populaires et sur le financement des partis. Au total, tout cela aura eu - malgré ce qu’on sait aujourd’hui - un effet bénéfique. Démocrate idéaliste, il n’était toutefois pas dupe : il savait que les belles règles étaient contournées. En 2006, il suggéra même au gouvernement fédéral de ne pas imiter le Québec, de permettre les dons des entreprises en les encadrant. Cela lui valut de sérieuses inimitiés. « Pierre-F. » avait son franc-parler.
D’anciens compagnons de route comme André Larocque, qui fut sous-ministre responsable de la réforme démocratique, ont certains reproches à lui faire, dont une certaine tradition de timidité du DGE. M. Côté n’hésita pourtant pas à poursuivre les organisateurs du « love in » de 1995 pour violation des lois québécoises. Convenons toutefois que les successeurs de M. Côté ont trop peu réagi à son incroyable sortie de juillet 1997.
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