Le démographe Jacques Henripin aura été un chercheur prolifique et un intellectuel public pugnace jusqu’à la fin. Il y a à peine deux ans, il donnait encore de vigoureux coups de griffe dans Ma tribu. Un portrait sans totem ni tabou, un essai sur la situation des Canadiens français du Québec. Mais tôt lundi matin, dans un hôpital de Montréal, le père de la démographie au Québec a succombé à un cancer, à l’âge de 87 ans.
Si on lui accole le titre vénérable de « père » de cette discipline, c’est qu’il fut le fondateur du Département de démographie de l’Université de Montréal en 1964. Jacques Henripin, qui était alors revenu de l’Université de Paris depuis une dizaine d’années, était encore l’un des rares représentants de la discipline au Québec.
Tirer des enseignements utiles
Après la défense de sa thèse sur la nuptialité et la fécondité dans le Canada du XVIIIe siècle, M. Henripin a rapidement mis l’histoire de côté pour privilégier les aspects sociaux contemporains de la démographie, ce qui en a fait un universitaire impliqué dans les débats de son temps. « Il était incapable de faire des travaux sans en tirer des enseignements utiles pour le débat public », relate Réjean Lachapelle, l’un de ses premiers étudiants à l’Université de Montréal et coauteur, avec lui, d’une vaste étude sur la situation démolinguistique au Canada en 1980.
Dès les années 1960, les études démographiques pilotées par M. Henripin ont éclairé plusieurs débats publics, de la commission Parent (enseignement) à la commission Laurendeau-Dunton (bilinguisme et biculturalisme), en passant par la commission Gendron (langue française). Il fut également l’un des rares hommes à siéger à la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada.
L’universitaire - dont la notoriété dans les sciences humaines lui a valu d’être l’un des rares intellectuels québécois mentionnés dans Le déclin de l’empire américain de Denys Arcand, en 1986 - s’intéressait grandement aux questions de natalité. Il a d’abord étudié le baby-boom, pour ensuite suivre de près le faible taux de fécondité au Québec, et s’en inquiéter. « Peut-être suis-je sentimental, mais qu’une espèce animale décide de ne plus se reproduire, je trouve ça inquiétant », disait-il au Devoir en 2007.
Jacques Henripin était ainsi très favorable aux politiques visant à encourager la natalité, tels les congés parentaux et les allocations familiales.
Vieillissement de la population
Le démographe était également très préoccupé par le vieillissement de la population. « Il s’inquiétait du défi que cela représente pour les pouvoirs publics, notamment sur le plan des régimes de retraite publics », indique l’une de ses premières étudiantes, Évelyne Lapierre-Adamcyk, aujourd’hui professeure émérite au Département de démographie de l’Université de Montréal.
Ses positions ont maintes fois soulevé la controverse, mais il l’accueillait volontiers. « Il adorait la polémique, assure Réjean Lachapelle. Mais il était très attaché aux faits. Et lorsqu’on lui en présentait qui le contredisaient, il pouvait rapidement changer d’idée. C’est une chose rare. »
Jacques Henripin 1926-2013 - Le père de la démographie au Québec s’éteint
Jean-Frédéric Légaré-Tremblay
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