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Les projets liés aux hydrocarbures foisonnent actuellement au Québec : construction de terminaux sur le Saint-Laurent, transport de brut par oléoduc (Énergie Est et 9B), exploration et exploitation de gisements près de Gaspé, à Anticosti et possiblement dans le golfe du Saint-Laurent (Old Harry). Dans le but de mieux les faire accepter, on allègue que ces projets pétroliers visent le raffinage domestique du brut léger, mais en réalité, c’est principalement l’exportation de brut lourd ou léger qui est visée. Ils ont tous en commun de faire peser sur le Saint-Laurent des risques comme jamais auparavant ce dernier n’en aura affronté. Pendant que Transports Canada se fait rassurant en se gargarisant de nouvelles « normes de classe mondiale », le fleuve est de plus en plus envahi par une flotte de pavillons de complaisance dont on peine à identifier les propriétaires et les gestionnaires. En cas de déversement majeur qui au juste sera responsable des dommages ?
Des navires-citernes plus nombreux et de plus gros tonnage
Le fleuve Saint-Laurent est passablement achalandé. Transports Canada enregistre 20 483 mouvements de bâtiments entrants par année, dont 9049 bâtiments internationaux ; les navires-citernes représentent le cinquième d’entre eux. Les mouvements de navires-citernes sont 16 fois plus élevés sur la côte est que sur la côte ouest du Canada. Les 39 ports du Québec chargent ou déchargent 25 millions de tonnes de pétrole brut et divers produits pétroliers. À eux seuls, les ports de Québec et de Montréal accueillent plus de 89 % de ces volumes[1].
Les projets d’Enbridge et de TransCanada ajouteront une pression supplémentaire sur le trafic maritime du Saint-Laurent avec l’ajout de navires-citernes de plus en plus gros. Une modification réglementaire amenée il y a un an par Transports Canada permet dorénavant le passage en amont du pont de Québec des navires de type Panamax, soit des coques pouvant mesurer jusqu’à 44 mètres de largeur et d’une capacité pouvant aller jusqu’à 500 000 barils (1 baril = 159 litres). Quant aux navires-citernes de type Suezmax, ils sont déjà nombreux à se rendent jusqu’à Québec (plus de 275 mètres de long et de 48 mètres de large chargeant 1 million de barils et jusqu’à 240 000 tonnes).
Dans le document de présentation de son projet Énergie Est, TransCanada annonce son intention d’utiliser des VLCC, soit des Very Large Crude Carrier, navires-citernes de plus de 330 mètres de long et d’une capacité de 320 000 tonnes, pour l’exportation du brut à partir d’un port de l’estuaire du Saint-Laurent[2]. Ces géants des mers devront naviguer au travers la flotte de cargos à multiples conteneurs et les navires-citernes de produits chimiques qui, chaque jour par dizaines, empruntent les routes du fleuve. À eux seuls, les réservoirs de carburant de ces géants contiennent presque autant d’hydrocarbure qu’un petit pétrolier.
Toutefois, outre la taille et le nombre de navires-citernes qui augmenteront encore au cours des années à venir, c’est l’identité des pavillons arborés par les bâtiments internationaux qui préoccupent. À plus de 70 %, les navires de la flotte mondiale sont en effet enregistrés sous pavillon de complaisance[3]. Phénomène encore plus alarmant, ce sont précisément ces navires qui sont majoritairement impliqués dans les accidents et incidents survenus sur le fleuve Saint-Laurent[4].
Les pavillons de complaisance
Un navire sous pavillon de complaisance est un navire portant pavillon d’un pays différent du pays de son propriétaire. Plusieurs avantages sont offerts aux propriétaires de navires qui choisissent un tel pavillon, entre autres : des droits d’enregistrement à taux réduits, des formalités simplifiées ; peu ou pas de taxes ou d’impôts sur les bénéfices, une redevance annuelle faible ; très peu ou pas de contrôle en matière de sécurité, de navigabilité ou de respect des règlements internationaux ; liberté d’employer des marins peu payés et socialement peu protégés malgré la charte internationale des gens de mer dont la première convention date de 1944 ; confidentialité sur les propriétaires (porteurs de parts).
L’usage des pavillons de complaisance ne date pas d’hier. Déjà au XIXe siècle, le Portugal et la Grande-Bretagne avaient conclu une entente pour contrer l’importation des esclaves ; ce qui toutefois n’empêchera pas les négriers portugais de poursuivre leur trafic sous pavillon brésilien. Au cours des années 1930 et 1940, en pleine prohibition américaine, des paquebots immatriculés au Panama ancrés à la limite des eaux territoriales se transformaient en distilleries clandestines.
Le principal argument invoqué par les armateurs pour justifier leur recours aux pavillons de complaisance est celui de la très vive concurrence dans ce domaine du transport maritime. Chacun tente inévitablement de s’aligner sur les coûts du compétiteur dont plusieurs sont régulièrement sous-normes en matière de sécurité et fonctionnent avec des équipages sous-payés.
La convention des Nations Unies sur le droit de la mer prescrit qu’il doit y avoir un lien « substantiel » entre le propriétaire du bateau et le pays d’immatriculation. Comme beaucoup d’autres, cette convention n’est généralement pas respectée[5].
Selon la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF), la liste 2013 des pavillons de complaisance implique les pays suivants : Antigua et Barbuda, Bahamas, Barbade, Belize, Bermudes, Bolivie, Birmanie, Cambodge, Îles Caïmans, Comores, Corée du Nord, Chypre, Guinée équatoriale, Iles Féroé, Géorgie, Honduras, Jamaïque, Liban, Libéria, Malte, Iles Marshall, Maurice, Moldavie, Mongolie, Panama, Saint-Vincent et les Grenadines, Sao Tomé et Principe, Sri Lanka, Tonga, Vanuatu. À eux seuls, les pavillons du Libéria, des Bahamas, de Chypre, de Malte et du Panama représentent 60 % de la flotte mondiale[6]. À tous ces pavillons s’ajoutent les pavillons « bis ».
Les pavillons « bis » sont instaurés par des pays « riches » désirant lutter contre la fuite des immatriculations nationales des navires de commerce. Ces pavillons offrent aux sociétés armatrices des avantages qui s’apparentent aux pavillons de complaisance, notamment les allégements fiscaux et salariaux. Somme toute, le pavillon bis permet à un pays de mettre une partie de ses navires en dehors des lois sociales et fiscales nationales. Toujours selon l’ITF, c’est le cas de la France, de l’Allemagne, des Pays bas, de l’Espagne, du Royaume-Uni et des États-Unis. En France notamment, le pavillon bis offre aux sociétés françaises des allègements permettant d’employer jusqu’à 65 % de marins étrangers hors Union européenne, lesquels seront rémunérés aux conditions de leur pays d’origine. Le capitaine et l’officier en second doivent être européens et l’État rembourse 50 % des cotisations sociales[7].
État des navires et conditions de travail
Lors de la Journée mondiale des gens de mer tenue en 2001, l’Institut d’études internationales de Montréal a mis au jour les conditions difficiles dans lesquelles les marins sont contraints d’exercer leur métier : abandon dans les ports, inexistence d’un contrat de travail, bas salaires et absence de sécurité à bord des navires.
Somme toute, les gens de mer, provenant le plus souvent des pays comme le Pakistan, les Philippines et l’Inde, expérimentent tous les jours les pires violations de leur dignité humaine. […] Travaillant le plus souvent sur des navires dits pavillons de complaisance, ceux-ci sont victimes de l’inaction, pour ne pas dire de la complicité, des autorités de l’État de pavillon, qui sont plus intéressés par les pots-de-vin fournis par les armateurs que par le respect des droits des marins, tels le droit à la syndicalisation, le droit à l’égalité ou le droit à l’assurance sociale[8].
Si la complaisance est un moyen de rentabiliser ses opérations maritimes, c’est aussi un moyen de faire circuler de véritables « épaves flottantes, utilisant les bateaux jusqu’au naufrage, ce qui finit par créer une flotte de papi-pétroliers de 20 ans de moyenne d’âge[9] ». Le Devoir rapportait en 2005 des mots de l’avocat et universitaire panaméen Miguel Antonio Bernal :
[…] le pavillon de complaisance panaméen a de beaux jours devant lui. Grâce à la corruption, si un armateur a besoin de n’importe quel certificat, si le bateau n’est pas aux normes, il trouvera toujours un consul panaméen pour lui signer un document autorisant le navire à poursuivre sa route[10].
En bref, un pavillon de complaisance c’est « un pavillon où l’État d’immatriculation n’a pas les moyens de contrôler le respect des conventions internationales, c’est le pavillon d’un libéralisme à outrance où l’armateur peut utiliser l’équipage à sa guise et le navire comme bon lui semble sans être inquiété par quelconque juridiction maritime[11] », et dont l’identité multiple permet de se défiler en cas de catastrophe.
Rappelons quelques beaux cas d’accidents impliquant des pavillons de complaisance. Le Simba, pavillon libérien, échoué en 2001 sur une plage de l’Aude (France) sans assurance de navigabilité, puis abandonné par son armateur avec les 11 marins syriens et roumains ; le Kareliya, pavillon libérien, abandonné par l’armateur avec ses 221 membres d’équipage sans salaire. Plus près de nous, le Phoenix Sun, pavillon du Panama, abandonné par son armateur à Sorel-Tracy en 2014 laissant ses 12 marins turcs sans salaire et sans moyens de subsistance, ni possibilité de rentrer chez eux. Et le Kathryn Spirit abandonné par son propriétaire mexicain depuis 2011 à Beauharnois dans la voie maritime du Saint-Laurent et qui continue de laisser échapper lentement ses 2 millions de litres d’eau huileuse.
D’autres exemples (Luigi S., le Zagara, le Victor, le Delta Pride) nous font constater qu’il est moins contraignant pour des armateurs d’abandonner leur navire et de déclarer la faillite de la société propriétaire que d’assumer ses responsabilités sociales, environnementales, légales, sanitaires ou éthiques.
En mars 2014, Valero s’est associé au Groupe Desgagnés Transport dans une nouvelle entreprise, Transport Maritime Saint-Laurent. Cette dernière a acquis deux navires-citernes de type Panamax : l’Espada Desgagnés et le Laurentia Desgagnés (précédemment baptisés Stena Poseidon et Stena Palva), destinés au transport du pétrole brut entre Montréal-Est et Lévis, à la suite d’une entente entre Valero et Enbridge dont le pipeline 9B, inversé approvisionnera le terminal de Montréal-Est[12]. Ces deux navires-citernes d’une capacité de 500 000 barils chacun ont été enregistrés sous pavillon de la Barbade.
L’enjeu de la responsabilité civile en cas de catastrophe environnementale
Avec ce système de pavillon de complaisance, combiné à d’autres éléments d’ordre juridique, comment établir les responsabilités lors d’un incident ou un accident entrainant des conséquences au plan environnemental ? Comment décortiquer les transactions entre diverses sociétés occupées à diluer les responsabilités à l’égard d’un bâtiment dont la location, le changement de nom, la modification des usages, les inspections et réparations ou maquillage, le transfert de pavillon, le recrutement du personnel et d’autres ?
Le naufrage du PRESTIGE sur la côte de Galicie (Espagne) en novembre 2002 est particulièrement éloquent à cet égard. Ce navire-citerne de 243 mètres de long a déversé 77 000 tonnes de brut lourd sur la côte atlantique de la France, de l’Espagne et du Portugal. Le propriétaire était une société basée au Libéria, le pavillon était des Bahamas, l’armateur était une société grecque, le certificat d’aptitude à la navigation avait été délivré par une société américaine après une inspection à Dubaï, l’affréteur était une société immatriculée en Suisse, Crown Ressources, filiale du groupe russe Alfa, l’équipage était roumain et philippin et les officiers grecs, la marchandise était du pétrole russe chargé en Lettonie à destination de Singapour[13].
En 2001, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) a calculé le taux d’immatriculations de complaisance par groupe de pays. Cet indicateur représente le rapport entre le tonnage total et le nombre d’immatriculations sous pavillon étranger. Ainsi, le taux d’immatriculations de complaisance du groupe États-Unis–Canada est évalué à plus de 78 %[14].
Toutes les entreprises qui font naviguer leurs bâtiments sous pavillon de complaisance n’ont pas nécessairement des navires-poubelles, toutes n’imposent pas des conditions de travail moyenâgeuses à leurs travailleurs, mais toutes sont confrontées aux mêmes impératifs de concurrence et de réduction des frais d’exploitation. La tentation est grande de prendre des raccourcis avec la sécurité des bâtiments et dans les opérations de navigation.
Selon la Fédération internationale des ouvriers du transport, en 2001, 63 % de toutes les pertes en tonnage absolu étaient reliées à seulement 13 pavillons de complaisance. Et en termes de bateaux perdus en mer, les cinq premiers pavillons en nombre sont tous des pavillons de complaisance : Panama, Chypre, St-Vincent, Cambodge et Malte.
Pouvant s’ajouter à la liste des naufrages de navires, il y a ceux des plates-formes, comme la Deepwater Horizon en 2010. Enregistrée aux iles Marshall, elle a sombré en laissant échapper près des côtes texanes 4,4 millions de barils de pétrole brut ou l’Ixtoc-1 qui a déversé jusqu’à 1 500 000 tonnes de brut dans le golfe du Mexique en 1979. C’est par millions de tonnes d’hydrocarbures échappées dans la mer et sur les littoraux qu’il faut comptabiliser les naufrages avec des conséquences non encore totalement évaluées.
Les incidents/accidents sur le Saint-Laurent
Selon le journal Les Affaires du 11 juin 2010, le ministère fédéral de l’Environnement « estime qu’une douzaine de déversements (chacun représentant environ 4000 litres de pétrole) sont déclarés chaque jour au pays. Ces incidents représentent plus de 17,5 millions de litres de pétrole annuellement dans les écosystèmes marins ». On estime qu’il se produit de 150 à 200 déversements de toutes sortes chaque année dans le Saint-Laurent, dont 56 % dans les ports de Montréal et de Québec[15].
Les catastrophes les plus importantes sont celle du Gordon C. Leitch, qui a échappé 49 tonnes de produits pétroliers à Havre St-Pierre en 1999, et celle du Czantoria arborant le pavillon du Libéria qui a répandu 400 tonnes de pétrole brut au quai de Valero (alias Ultramar) à Lévis en 1988. Les Madelinots se souviennent, quant à eux, du naufrage du Irving Whale en 1970, car ils en subissent encore les conséquences ; plus de 4200 tonnes de mazout lourd et 9 tonnes de BPC s’y étaient alors échappées. Ce sont près de 200 000 sacs de sable contaminés qu’on a dû ramasser et enfouir dans les dunes. Ces sacs réapparaissent au gré des marées et de l’érosion. L’opération de renflouement du Irving Whale a coûté 37 millions $ aux contribuables ; par contre, la compagnie Irving, propriétaire de la barge pétrolière, s’en tire indemne dans la poursuite ; elle a même récupéré la barge et l’a recyclée dans le transport des copeaux de bois.
Un document intitulé « Incidents et enquêtes » de la Garde côtière canadienne fait la recension des principaux accidents survenus près des côtes. Parmi les plus importants, citons celui de l’Odyssey, pétrolier libérien qui a explosé et brûlé avant de se briser en deux, libérant ainsi 132 157 tonnes de pétrole brut et causant 27 décès au large de la Nouvelle-Écosse en 1988 ; celui du Flore, pavillon de Chypre, qui se brise en deux en 1998 près des iles Saint-Pierre et Miquelon, causant une importante pollution au mazout ; celui du Rio Orinoco, enregistré aux Iles Cayman, qui s’est échoué, en raison de son mauvais état, près de l’Île Anticosti en 1990 avec 8245 tonnes d’asphalte.
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada analyse l’ensemble des incidents et accidents survenus sur la voie maritime du Saint-Laurent. Parmi les fort nombreux cas d’échouement dont, par ailleurs, les médias québécois ne parlent pratiquement jamais, notons les événements suivants : le Cast Privilège, pavillon des Bermudes, en 2001 près de l’île Saint-Ours ; le Sunny Blossom, pavillon des Bahamas, en 2000 sur le lac St-François ; le paquebot Norvegian Sky, pavillon des Bahamas, au large de l’île Rouge en 1999 ; le pétrolier Moruy, pavillon du Venezuela en 1998 à Champlain ; le vraquier Venus, pavillon du Liberia, en 1997 au port de Bécancour ; le Federal Calumet, pavillon de la Barbade, à Port-Cartier en 1996 ; le vraquier Ypapadi, pavillon du Panama, en 1996 à Gaspé ; le G. Ordzhonikdze, pavillon de Malte, près de St-Augustin en 1996 ; le Pontoporos, pavillon de Chypre, en 1996, au port de Sorel ; le pétrolier Imperial St-Clair, sur le lac Saint-Louis en 1996 ; le vraquier Vakhtangov, pavillon de Malte, en 1995 dans le port de Sorel ; le pétrolier FIFI en 1995 sur les battures de Manicouagan ; le vraquier Anax, pavillon des Bahamas, en 1994, près de Beaumont ; le vraquier Maple sur le lac Saint-Louis, pavillon des Bahamas, à la suite d’avaries en 1994 ; le pétrolier Jade Star, un pavillon canadien, près de Sainte-Croix en 1994, ce même pétrolier a aussi vécu un évènement d’abordage en 1996 près de Port-Cartier avec un remorqueur ; le vraquier Federal Mc Kenzie, pavillon des Philippines, en 1993 à Contrecoeur, le même navire heurta une barrière de l’écluse de St-Lambert en 1994.
Les cas d’abordage ne sont pas moins nombreux. À titre d’exemple, citons : le Canada Senator, pavillon du Liberia, avec le voilier Mondisy en 2004 près de St-Nicolas ; le pétrolier Maria Desgagnés et le voilier El Tio en 2005 au large de l’ile d’Orléans ; deux portes-conteneurs en 1995 au lac Saint-Pierre, le Cast Bear, pavillon de la Mauritanie et le Canmar Europe battant pavillon des Bermudes.
Et on compte à peine les problèmes mécaniques ou de mauvaises conditions des bâtiments qui occasionnent des remorquages et/ou des réparations aux infrastructures portuaires à la suite de talonnage et de heurts violents aux quais et barrières des écluses. Ainsi, une rupture de la coque du Lake Carling en 2002, pavillon des iles Marshall, dans le golfe Saint-Laurent ; une voie d’eau au Dorado, pavillon de Chypre, en 1995 dans la baie de Sept-Iles ou du heurt du pont 12 par le Federal Maas, pavillon de la Barbade en 2004.
Le relevé des statistiques 2004-2013 du Bureau de la sécurité des transports du Canada (données produites au 14 février 2014) mentionne que le Québec (région des Laurentides selon le BST) a connu 632 accidents de navires, dont 227 de navires-citernes et de vraquiers (minerai-vrac-pétrole). Cette « région » a été le théâtre de la perte de 16 navires et de 22 décès pendant cette même période[16].
Faible capacité d’intervention en situation de déversements majeurs
Ce sont au moins 80 pétroliers de 150 000 tonnes ou plus qui remontent annuellement le St-Laurent jusqu’à Lévis alors que la capacité de récupération d’un déversement de pétrole dans le Saint-Laurent n’est que de l’ordre de 15 000 tonnes. Le manifeste publié par le GIRAM à l’automne 2014 rappelle que le risque pétrolier sur le Saint-Laurent laisse présager des impacts catastrophiques si les projets annoncés devaient se réaliser. En cas de déversement majeur, c’est plus de 1400 kilomètres de rivage qui pourraient être contaminés sous l’effet des courants et du flux et reflux des marées. Avant d’arriver à se fixer au rivage, une nappe de pétrole pourra voyager pendant des jours, voire des semaines sans pouvoir être contenue. La rive sud de l’estuaire risque d’être particulièrement touchée. Les analyses les plus optimistes évaluent à moins de 10 % la part de résidus de pétrole pouvant être récupérée alors que les moyens disponibles sur ce plan demeureront toujours extrêmement limités.
Dans un rapport publié en 2010[17], le Commissaire à l’environnement et au développement durable du Bureau du vérificateur général du Canada émettait déjà plusieurs constats inquiétants à ce sujet. La connaissance des risques liés aux déversements d’hydrocarbures n’est ni complète, ni à jour tant chez Transports Canada qu’à la Garde côtière. Cette dernière n’a pas évalué sa capacité d’intervention depuis l’année 2000. Les risques associés aux déversements d’hydrocarbures n’ont pas été objets de méthodes d’évaluation uniformes, ni systématiques. Il semble également que « l’organisme ne puisse, ni déterminer la quantité d’équipement d’intervention dont elle devrait disposer pour faire face aux déversements de pétrole, ni établir si sa capacité est suffisante en regard des risques[18] ». De plus, on ne possèderait pas les systèmes nécessaires pour assurer une application uniforme de ses programmes de formation et d’exercices dans l’ensemble du pays.
Le Commissaire poursuit en mentionnant que :
[…] la Garde côtière ne dispose pas de documentation complète et fiable sur les mesures d’intervention prises en réponse à des déversements d’hydrocarbures provenant de navires, de sorte qu’elle ne sait pas si elle atteint ses objectifs visant à réduire au maximum les répercussions des incidents de pollution marine sur l’environnement, l’économie et la sécurité publique. Les lacunes du système que la Garde côtière a instauré pour faire le suivi des déversements d’hydrocarbures l’empêchent aussi de produire une analyse fiable des tendances des déversements d’hydrocarbures au Canada[19].
Conclusion
Le transport des marchandises sur les eaux du Saint-Laurent s’avère fort économique en raison du gigantisme des volumes pouvant être acheminés à partir du continent. Pour le transport des hydrocarbures, il est encore moins coûteux que le pipeline du fait qu’il offre plus de souplesse et davantage de partage de risques en raison de la multitude d’armateurs pouvant s’associer à l’opération d’exportation. C’est la raison pour laquelle TransCanada recherche un site pouvant se situer le plus à l’est possible pour l’implantation de son terminal.
Jusqu’à maintenant, le fleuve a été épargné de catastrophes vraiment majeures et aux conséquences irrémédiables de l’ampleur de celles répertoriées dans cette analyse. Compte tenu de l’intensité croissante du trafic sur cette voie maritime et considérant la déficience des mesures de planification et d’intervention en cas d’accidents, il faut vraiment considérer que le facteur chance arrive en haut de l’échelle des explications de cet état de choses. Mais la croissance anticipée de la navigation commerciale sur le fleuve annonce une probabilité statistique d’accidents plus graves et plus nombreux. La possibilité qu’une flotte marchande, dont la fiabilité est souvent plus que douteuse, croise et côtoie sans cesse des navires-citernes de fort gabarit comme ceux que TransCanada souhaite mettre en service sera déterminante en termes de prévalence de ce facteur chance.
Le système des pavillons de complaisance vient complexifier encore davantage l’enjeu de la sécurité du transport des pétroles lourds via le Saint-Laurent. Pour certains, ce système ne serait pas sans parenté avec celui des paradis fiscaux. Il permet, au vu et au su des autorités réglementaires, de faire passer, suite à quelques transactions réalisées quelque part par quelques sociétés anonymes, un état de navire-poubelle à un statut de navire respectable. Exactement le phénomène observé par bien des personnes à propos de la Montreal, Maine & Atlantic Railway (MMA). « La faible culture de sécurité […], conjuguée à une surveillance inadéquate de Transports Canada [a] mené à la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic » selon le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST- août 2014)[20].
Pas étonnant que plusieurs municipalités riveraines du Saint-Laurent exigent du fédéral la mise en force de nouvelles mesures de sécurité pour les navires-citernes. Le Saint-Laurent alimente en eau potable plus de 43 % de la population du Québec, dont 80 % réside sur ses rives ou à proximité. Les municipalités concernées ne sont pas en mesure de faire face à des accidents de navires-citernes au plan de l’eau potable ni à celui des conséquences économiques. Prenant le relai des groupes comme le GIRAM, elles demandent :
- Que soient responsabilisés au moyen de garanties financières adéquates, les utilisateurs de la voie maritime du Saint-Laurent en fonction des dommages que leurs activités pourraient entraîner ;
- Que le gouvernement du Québec soutienne davantage les municipalités riveraines du Saint-Laurent en matière de plans d’urgence ;
- Que le fédéral établisse la liste de tous les produits liquides transportés par navires-citernes sur le Saint-Laurent, qu’il en fasse connaître la composition et leur comportement en cas de déversement.
Outre ces recommandations, il convient d’ajouter que le fédéral doit absolument se doter des moyens nécessaires pour repérer et sanctionner efficacement les navires-poubelles et leurs propriétaires, et ce, avant qu’ils ne soient impliqués dans des accidents catastrophiques ou tout simplement abandonnés.
En terminant, il convient de souligner que parmi tous les documents d’origine gouvernementale traitant des accidents de navigation consultés pour réaliser cette courte analyse, aucun ne fait référence ni ne mentionne le phénomène des pavillons de complaisance. Comme si l’omniprésence de ces derniers dans les statistiques d’incidents et d’accidents représentait une normalité inéluctable. Pendant ce temps, les États voyous continuent d’émettre des enregistrements et d’encaisser des millions en émission de droits, avec tous les aveuglements qui s’y rattachent.
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[1]Transports Canada, site web, Sécurité des pétroliers et prévention des déversements, situation sur la côte Est, octobre 2014.
[2]Energy East Pipeline Project, Alternative Means of Carrying out the Project, p. 50, septembre 2014.
[3]Le Devoir, Libre de penser, actualités internationales, site web, Le pavillon panaméen, une assurance tout risque pour l’armateur, août 2005.
[4]Le Devoir, Libre de penser, actualités internationales, site web, Le pavillon panaméen, une assurance tout risque pour l’armateur, août 2005.
[5] Site web de Jo Le Guen, Keep it Blue, Paradis fiscaux et judiciaires, pavillons de complaisance, août 2007.
[6]ITF, Fédération internationale des ouvriers du transport, Pavillon de complaisance, cité dans Wikipédia France, 2013 et dans Géoconfluences, éduscol, ressources géographiques pour les enseignants, septembre 2014.
[7]Ugo Degrigny, Frédéric Loyau, Christophe Magdelaine, site web Notre planète-info, 1er média web en environnement, écologie, nature et sciences de la terre, Les marées noires, publié en février 2014.
[8] Oumar Niang, « Les droits des marins au carrefour des droits de la personne et du droit maritime… L’espoir ! » décembre 2001, site de l’Institut d’études internationales de Montréal : http://www.ieim.uqam.ca/IMG/html/fichemarinr.html
[10]Le Devoir, Libre de penser, actualités internationales, site web, Le pavillon panaméen, une assurance tout risque pour l’armateur, 8 août 2005.
[12] Communiqué publié dans Maritime Magazine, 20 mars 2014, Desgagnés et Valero forment une coentreprise de transport de pétrole.
[13] Tiré de Wikipédia France, sous licence Creative Commons, mise à jour en septembre 2014, en référence d’un article de presse publié dans Monaco.mc L’Actualité, 2013.
[14]Conférence des nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED), Étude sur les transports maritimes 2001, cité par le BPEM, Biens publics à l’échelle mondiale, à partir des données communiquées par Lloyd’s Register et Fairplay.
[15]Fiche d’information du Gouvernement du Canada, Mieux comprendre les enjeux de santé environnementale pour mieux communiquer, Déversement accidentel de substances chimiques en milieu aquatique, produite par Santé Canada, Environnement Canada et Stratégies St-Laurent, 2006.
[16]Gouvernement du Canada, Bureau de la sécurité dans les transports du Canada, Sommaire statistique des événements maritimes 2013, calculs réalisés à partir de la base de données au 14 février 2014.
[17]Gouvernement du Canada, Bureau du vérificateur général du Canada, Rapport du Commissaire à l’environnement et au développement durable, « chapitre 1 : Les déversements de pétrole provenant des navires, conclusion », automne 2010.
[20] QMI, «Lac-Mégantic : 18 facteurs ont joué un rôle dans la tragédie » Première publication 19 août 2014 à 10h42
* Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM)
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1 commentaire
François A. Lachapelle Répondre
21 mai 2015Plus la saucisse est fraîche, plus les gens en mangent.
Plus la concurrence est vive et fait baisser les coûts du transport maritime, plus les pavillons de complaisance sont nombreux, même majoritaires.
Vous comparez les pavillons de complaisance maritimes aux paradis fiscaux pour éviter de payer ses impôts. Actuellement, plusieurs pays essaient de baliser le secret bancaire pour que soient dénoncés les citoyens et les sociétés qui délocalisent leurs bénéfices pour payer peu ou prou d'impôts.
Est-il possible qu'une semblable campagne internationale de dénonciation soit mise sur pied pour baliser et encadrer le sens des responsabilités des armateurs ayant recours aux pavillons de complaisance ?