Paul Magnette. Vous le connaissez ? Il est l’étoile montante de la politique européenne. Et son étoile monte très rapidement.
Pour citer le Nouvel Obs, le «ministre-président de la Wallonie qui a dit non à l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada (Ceta) ne s'est pas seulement fait un nom. Il est devenu un véritable symbole».
Le Nouvel Obs le décrit aussi comme «fédéraliste», «éloquent», «têtu», «socialiste», «européen», «pasolinien», «écologiste» et «stratège».
Loin d’être conspué, les grands médias européens, toutes tendances confondues, l’ont surnommé «la star du combat contre le Ceta».
«Radicalement socialiste», pour reprendre l’expression du Point, Paul Magnette profite depuis quelques jours d’une couverture médiatique aussi soudaine que positive et spectaculaire.
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Intellectuel brillant, orateur et pédagogue exceptionnel, sont également des épithètes dont on garnit les reportages, de plus en plus nombreux, sur Paul Magnette.
Mais que voulait-il au juste pour s'attirer autant d'attention?
Certains le voient comme le Don Quichotte qui combat le moulin à vent du libre-échange et de l’Europe – ou dit autrement, celui qui a dit NON au Ceta.
Or, ce n’est qu'une vision très partielle de l'homme, voire même déformée.
En fait, Paul Magnette n’avait jamais dit NON au Ceta de manière définitive et pour toujours. Bien au contraire.
Fin stratège, voire même visionnaire, ce qu’il a demandé est plutôt que le Ceta ne soit plus négocié derrière des portes closes; que les intérêts divergents des nations soient pris en compte; que les populations soient mises dans le coup; que des normes sociales et environnementales solides soient prévues au CETA, etc..
D’où la popularité virale d’une vidéo d’un discours de Paul Magnette sur ce même sujet et prononcé le 16 octobre dernier.
D’une clarté indiscutable et d’une intelligence raffinée, son discours, donné sans notes, réconcilierait n’importe quel cynique à ce que la politique peut avoir de plus noble.
Paul Magnette y expliquait brillamment sa position.
En voici d’ailleurs quelques phrases-clé seulement :
«Ce dont nous parlons ici, ce n’est pas seulement d’un traité commercial entre l’Union européenne et le Canada. Ce dont nous parlons ici, c’est de toute la philosophie des échanges commerciaux tels qu’ils vont se construire pour les 10, 15, 20 et peut-être, 30 prochaines années.»
«Au-delà de toute l’amitié qui nous lit aux Canadiens est dans le fond, une discussion de principes. Une discussion éminemment politique et même à certains égards, une discussion philosophique sur le sens même de ce que c’est le commerce et sur la manière dont il faut le mener.»
«S’il y a un débat, ici, en Wallonie, s’il y a des réticences, ici en Wallonie, ce n’est pas parce que nous sommes plus bornés que les autres (...), ce n’est pas parce que nous rêvons d’autarcie. C’est tout simplement parce que dans cette région, il y a deux particularités qu’on rencontre assez peu, ailleurs en Europe. La première, c’est que la Wallonie a toujours été une terre de grande vitalité démocratique. (...)
Deuxièmement, nous sommes (...) l’une de très rares régions en Europe qui a, constitutionnellement, le même privilège, en termes de droit international, que les parlements nationaux. (...) Votre parlement a le pouvoir de ratifier et donc, aussi, de ne pas ratifier un traité. Et ceci donne évidemment une très grande gravité à nos débats. (...)
Nous avons donc de ce point de vue-là, une responsabilité politique majeure. Et tout l’art de la politique, c’est de savoir utiliser ses responsabilités. (...)
À l’inverse, dire mettons tout ça (CETA) à la poubelle, ça ne sert à rien de discuter, ce serait non seulement confirmer un isolement complet, mais ce serait aussi ne pas utiliser pleinement le pouvoir qui est le nôtre. (...)
(Ce pouvoir), nous l’utilisons pour obtenir quelque chose. Pas juste pour crier «non». (...) Il faut ensuite dire ce que l’on veut. Et il faut utiliser le rapport de forces que l’on a construit pour obtenir des concessions qui vont dans le sens de ce que sont nos aspirations. (...)
C’est ça, la politique. (...)
«Nous ne sommes pas contre le commerce. Nous ne sommes pas contre le Canada. (...) Bien sûr que les Canadiens sont nos amis. (...)
Nous sommes un partenaire commercial important du Canada. (...) Je suis convaincu que la Wallonie doit être une Wallonie ouverte (...), qu’elle doit exporter et qu’elle doit attirer des investissements étrangers. (...)
Je n’aime pas quand la discussion, tout d’un coup, commence à glisser vers la menace. (...) Je trouve que ce n’est pas digne d’un débat démocratique. (...)
Les difficultés sont d’abord sur la forme. (...) Il y a un vrai problème avec la manière dont on négocie ces traités commerciaux. (...)
Nous devons défendre l’idée de traités bilatéraux qui fixent des normes et des standards élevés. (...)
Moi, je ne suis pas pour dire on met le traité à la poubelle. (...)
Si nous voulons demain qu’il y ait de vraies normes sociales, (...) en matière des droits de l’Homme et du développement durable, il faut faire un travail de négociation pour obtenir un premier traité qui fixe les standards aussi haut que cela deviendra la norme européenne. C’est ça, l’enjeu fondamental du CETA. (...)
Et c’est pour ça que nous devons dire non POUR négocier. Non pas non pour tout saborder, (...) mais pour créer un rapport de forces qui nous permet d’obtenir plus de normes sociales, plus de normes environnementales, plus de clauses de respect des services publics (...).
Politiquement, ce n’est pas facile. (...)
On peut dire non (au CETA), mais expliquer pourquoi on dit non. Et expliquer à quelles conditions nous accepterions de négocier à nouveau. (...)»
Je ne prends pas ceci comme un enterrement (...), mais comme une demande de rouvrir les négociations pour que de légitimes attentes d’une société civile (...) puissent être entendues par les dirigeants européens. (...)
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Et ce ne sont là que quelques extraits.
Pour apprécier pleinement et la forme et le contenu du discours de Paul Magnette, vous pouvez le visionner et surtout, l’écouter, ici.
Allez-y, vous ne le regretterez pas.
Et n’oubliez pas de nous en donner des nouvelles une fois que vous l’aurez vu.
J’ai très hâte de vous lire...
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Et le résultat étant :
Confirmant en effet que la position de Paul Magnette sur le CETA était certes une position de principe, mais aussi une redoutable tactique de négociation visant à bonifier considérablement le Ceta et non pas à s’y opposer pour toujours, voilà, comme le rapportait hier Le Monde, que :
«Les représentants des différentes régions et communautés linguistiques de Belgique, qui s’étaient retrouvés jeudi matin pour reparler du projet de traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA), sont parvenus à un accord, a indiqué jeudi 27 octobre le premier ministre belge, Charles Michel, en fin de matinée.
La Belgique doit envoyer les termes de cet accord aux ambassadeurs des 27 Etats membres de l’UE à Bruxelles qui doivent se réunir dans la journée, avant d’être présentés aux différents Parlements de Belgique, qui s’exprimeront dessus « avant vendredi minuit ».
De son côté, le président du Conseil européen, Donald Tusk, s’est dit « heureux » de cet accord et a indiqué qu’il contacterait le premier ministre canadien, Justin Trudeau, une fois que toutes les procédures auront été finalisées au sein de l’UE pour la signature du CETA.
L’accord a également été salué par le chef de la diplomatie canadienne, Stéphane Dion, qui participe à une conférence ministérielle sur le maintien de la paix en environnement francophone à Paris. « Si cela se concrétise, c’est une excellente nouvelle », a-t-il déclaré, se disant « prudemment optimiste. »
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Comme quoi, il ne faut surtout pas confondre la position de Paul Magnette - critique du CETA dans le but de le bonifier considérablement – avec celle du Brexit pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Nous sommes ici devant deux phénomènes politiques très différents l’un de l’autre. Autant de par leurs arguments respectifs que leurs finalités respectives.
Évidemment, rien n’est encore coulé dans le béton pour le Ceta, loin s'en faut, mais le succès d'une version bonifiée du Ceta est maintenant envisageable.
En attendant, une chose est sûre : Paul Magnette, avec intelligence et détermination, marquera l’histoire moderne des traités de libre-échange parce qu'il a su comment exprimer, haut et fort, la nécessité de les négocier de manière nettement plus transparente tout en protégeant les intérêts divergents des nations d’une mondialisation trop souvent pressée de servir avant tout les intérêts des multinationales et de la haute-finance.
À preuve, le Globe and Mail rapporte ce matin que l’entente à laquelle la Belgique en est arrivée jeudi prévoit un mécanisme dit d’«option out» ou de retrait.
Lequel permettrait à chacun des États membres de l’Union européenne de «décider s’il accepte ou rejette le pouvoir de la cour qui édicte les ententes formelles permettant à des entreprises du secteur privé de poursuivre des gouvernements nationaux lorsque leurs politiques publiques affectent les investissements des entreprises.»
Eh oui. Paul Magnette – une étoile politique est bel et bien née...
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