Le propriétaire de Power Corporation, de La Presse et des quotidiens du groupe Gesca, Paul Desmarais, est mort hier soir à l'âge de 86 ans.
Dans un communiqué, la famille précise que M. Desmarais s'est éteint paisiblement, entouré de ses proches, au Domaine Laforest, dans la région de Charlevoix.
Les funérailles seront tenues dans la plus stricte intimité au cours des prochains jours, suivies d'un service commémoratif qui aura lieu à une date qui sera annoncée par la famille Desmarais.
M. Desmarais a dirigé Power Corporation à titre de président du conseil et de chef de la direction de 1968 à 1996. À ce moment-là, il a passé les rênes de la direction de Power Corp à ses fils. Paul jr est devenu président du conseil et co-chef de la direction et André est devenu président délégué du conseil, président et co-chef de la direction. M. Desmarais a par la suite continué à remplir les fonctions d'administrateur et de président du comité exécutif du conseil. Il est demeuré l'actionnaire de contrôle de la société jusqu'à son décès.
«Je ne suis pas un financier mais un industriel», affirmait le M. Desmarais le 8 décembre 1990 au cours d'une entrevue accordée au quotidien La Presse, dont il était aussi le propriétaire.
Les premières années
Paul Desmarais fait ses premières armes dans le domaine des transports. Après avoir redressé l'entreprise familiale, il achète d'autres compagnies d'autocars ontariennes et québécoises.
La vie de ce diplômé en commerce de l'Université d'Ottawa et alors étudiant en droit à l'Université de Toronto, venait de basculer. Il n'a que 23 ans. Au cours des 45 années suivantes, Paul Desmarais créera, à coups d'investissements, d'achats et de ventes d'actifs un empire basé sur des intérêts diversifiés et implantés tant en Amérique, qu'en Europe et en Asie.
Il conserve ses actifs à Sudbury le plus longtemps possible. «Ça me donnait l'occasion d'aller voir mes parents», disait-il en entrevue à la revue française Le Point le 26 juin 2008.
C'est d'ailleurs à Sudbury qu'il rencontre Jacqueline Maranger qui allait devenir son épouse en 1953. «On se voyait tout le temps. On habitait dans le même bloc d'immeubles», dit-il dans la même entrevue. Pour la séduire, le jeune homme attendait Jacqueline devant la porte de l'établissement hospitalier où elle travaillait pour lui proposer de la ramener à la maison. Celle-ci préférait prendre un autobus appartenant à... son soupirant! C'est en faisant stopper l'autobus avant d'arriver à l'hôpital que Desmarais a réussi à la convaincre de se laisser ramener à la maison en voiture. Trois mois plus tard, ils étaient mariés.
De leur union, le couple a eu quatre enfants : Paul Jr, André, Louise et Sophie. Les deux garçons sont maintenant à la tête de Power Corporation alors que les deux filles se sont consacrées à d'autres activités. André a marié France Chrétien, fille de Jean et Aline Chrétien.
C'est aussi dans les années 1950 que Paul Desmarais rencontre Jean-Louis Lévesque, un Gaspésien devenu prospère au Québec grâce à l'aide de Maurice Duplessis. À la tête de La Corporation de valeurs Trans-Canada, Lévesque prête de l'argent à faible taux à son ami Desmarais dont il apprécie le côté fonceur. Ce dernier en profite pour réaliser une série de coups fumants et va jusqu'à acheter la compagnie de Lévesque qui comprend l'hippodrome Blue Bonnets et Dupuis Frères.
Power Corporation
Paul Desmarais s'installe à Montréal en 1962. Au début de 1968, il met la main sur Power Corporation du Canada (PCC), une société d'utilités publiques fondée à Montréal en 1925.
Au moment de l'acquisition, les temps sont durs et Power bat de l'aile. Le conseil d'administration accepte de procéder à un échange d'actions avec La Corporation de valeurs Trans-Canada de Desmarais. À ce moment-là, Trans-Canada a des intérêts dans Transport Provincial (autocars), L'Impériale Assurance-Vie, Investors et autres secteurs dont les médias (Gesca, Les Journaux Trans-Canada).
Au terme de l'échange d'actions, Paul Desmarais devient président du conseil et chef de la direction de PCC. Le visage de l'entreprise change radicalement. Plusieurs branches, surtout celles liées aux services financiers et aux loisirs, sont revendues ou liquidées. D'autres sont consolidées. Power accroît sa présence dans Dominion Glass, Consolidated-Bathurst, Groupe Investors et Les Journaux Trans-Canada.
Durant les années 1960, Desmarais s'intéresse à la Canada Steamship Lines (CSL), un géant du transport maritime appartenant au Canadien Pacifique. Il accumule les actions et, en 1975, devient l'unique propriétaire. Desmarais conservera la société, qui comprend alors Voyageur, jusqu'en 1981, année où il la vend à Paul Martin Jr et à son partenaire d'affaires Lawrence Pathy.
En acquérant la CSL, Paul Desmarais obtient aussi le manoir Murray Bay de La Malbaie (futur Manoir Richelieu), une plage qu'il cède à la municipalité et un camp de chasse et de pêche dans les hauteurs de Sagard, un hameau en retrait de la côte de Charlevoix.
Desmarais est déjà un habitué de la région. Au fil des ans, Sagard deviendra synonyme de la richesse de la famille et du mystère entourant celle-ci. Même s'il possède plusieurs propriétés et pied-à-terre luxueux à travers le monde, c'est à Sagard que Paul Desmarais aime le plus se retirer.
Dans ce domaine de 22 000 hectares comptant 32 lacs et dont les limites s'étendent sur 80 kilomètres, Desmarais apprend à ses enfants et à ses petits enfants à pêcher. Chaque année, des invités de marque s'y retrouvent pour de grandes fêtes et des parties de chasse aux faisans. On ne compte plus les célébrités de passage : de Jean Chrétien à George Bush père, des premiers ministres du Québec (libéraux et péquistes) à Robert Charlebois, de Pierre Elliott Trudeau à Brian Mulroney, de Maurice Druon à Nicolas Sarkozy en passant par Helmut Schmidt et des têtes couronnées d'Angleterre et d'Espagne, etc.
Des dizaines de personnes demeurant dans la région immédiate travaillent à Sagard, à temps partiel ou à plein temps. Dans la région, Desmarais est connu sous le nom de «Monsieur Paul».
Nouveaux horizons et échecs
L'intérêt de Paul Desmarais pour les marchés étrangers remonte à la fin des années 1970. Dès 1978, il est à la tête d'hommes d'affaires en voyage en Chine et invite des officiels chinois chez lui à La Malbaie. À la même période, son regard se tourne aussi vers l'Europe. Au cours des années 1978-1979, PCC vend 20 % de ses actions à la Compagnie financière de Paris et des Pays-Bas (Paribas) avant d'acheter 2,3 % des actions de cette même société.
C'est là que Paul Desmarais rencontre Albert Frère, puissant homme d'affaires belge. Entre les deux, le courant passe. Ils ont la même vision des affaires, ils se complètent. Une amitié indéfectible naît entre les deux hommes. Le tandem Desmarais-Frère fonde Parjointco, un holding qui contrôle Pergesa, une société suisse aux intérêts diversifiés. Aujourd'hui encore, celle-ci est sous le contrôle des deux familles fondatrices.
Paul Desmarais ne connaît pas que des succès. Par exemple, dans les années 1980, ses tentatives d'acheter Unimédia et Télé-Métropole se heurtent au refus des gouvernements, inquiets de la concentration des médias. En 1987, contre toute attente, PCC perd également la course à l'achat de Téléglobe, société d'État privatisée sous le gouvernement Mulroney.
Qu'à cela ne tienne, l'homme d'affaires tâte d'autres marchés. Dès 1987, il investit dans les biotechs et en retire les dividendes durant la bulle techno de la fin des années 1990. Lorsque celle-ci éclate, PCC est déjà ailleurs.
Fédéraliste
Quitte à être démonisé par certains, Paul Desmarais a toujours exprimé son attachement au Canada. Il l'a entre autres fait lors de la tenue des deux référendums sur la souveraineté.
En 1980, l'assemblée générale annuelle de Power Corporation a lieu à quelques jours du référendum du 20 mai. Devant un parterre d'hommes d'affaires, Paul Desmarais déclare qu'à la suite de l'élection du Parti québécois en 1976, il a encouragé les chefs d'entreprises de rester à Montréal mais enchaîne en affirmant que cette élection a été suivie d'une période d'instabilité économique imputable à la lenteur du gouvernement à déclencher le référendum.
Il exprime son attachement au Canada en ces termes : «Les quelques trente années que j'ai consacrées au monde des affaires m'ont démontré que les Canadiens-français ont la possibilité de participer pleinement à tous les aspects de la vie canadienne.»
En 1995, alors que les Québécois sont à nouveau appelés à se prononcer sur l'avenir de la province, le dirigeant de PCC prend de nouveau position. Le 3 octobre, il participe au dîner de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain où le président de Bombardier Laurent Beaudoin incite les chefs d'entreprises à voter NON. Appelé à clore la rencontre, M. Desmarais déclare : «Si nous sommes contre le projet séparatiste, nous avons le devoir, nous devons avoir le courage de dire et d'assumer les conséquences de nos prises de position.»
Le retrait
Quelques mois après le référendum, le mercredi 3 avril 1996, Paul Desmarais annonce qu'il renonce à son poste de président du conseil et chef de la direction de PCC. Il passe la direction de l'entreprise à ses fils Paul Jr et André mais s'assure de conserver le contrôle en demeurant président du conseil d'administration et actionnaire majoritaire (avec 61,8 % des actions votantes). «Cela signifie que je ne m'en vais pas», lance-t-il à la blague le 10 mai devant les actionnaires réunis pour l'assemblée générale annuelle de l'entreprise.
Estimant que le vote serré au référendum continue à créer de l'incertitude, Paul Desmarais affirme cependant ne pas vouloir quitter le Québec. À un journaliste lui demandant si le siège social de PCC (à Montréal) allait déménager en cas d'un référendum gagnant pour le OUI, il répond : «C'est une question hypothétique. Nous restons, à moins qu'on nous pousse dehors.»
Depuis ce retrait, le nom de Paul Desmarais n'a jamais quitté le parterre de l'actualité que ce soit en raison de ses activités financières et philanthropiques ou pour des raisons de santé.
Ainsi, en 1997, PCC annonce que M. Desmarais doit subir un pontage coronarien. En 2005, nouvelle alerte. L'homme est victime d'un accident vasculaire cérébral et est hospitalisé à La Malbaie. Il s'en tire et peut reprendre ses activités.
Le collectionneur
Grand amateur d'art, Paul Desmarais a constitué une impressionnante collection d'art canadien et européen, tant à titre personnel qu'au sein de son entreprise.
Conseillé par son ami, le conservateur d'art Serge Joyal, et inspiré par ses racines, Paul Desmarais s'est avant tout tourné vers les artistes francophones. Il possède une des collections les plus importantes, sinon la plus importante de toiles de Jean-Paul Riopelle.
La collection de l'homme d'affaires comprend aussi des toiles de Jean-Paul Lemieux, Guido Molinari, Claude Tousignant, Rita Letendre et plusieurs autres. Chez les artistes plus contemporains, il affectionnait particulièrement Claude Le Sauteur, peintre de Charlevoix. Afin de décorer la rotonde des bureaux de PCC au Centre de commerce mondial de Montréal, Desmarais a commandé à Le Sauteur quatre immenses toiles à l'image des saisons du Québec.
Toujours au siège social de PCC, la salle du conseil d'administration est décorée de 42 petits tableaux du peintre canadien Cornelius Krieghoff.
Des sculptures d'Henry Moore, de Zadkine, de Rodin et autres ainsi que des toiles d'expressionnistes abstraits américains, d'impressionnistes français, de Renoir et de Van Doguen font aussi partie de la collection Desmarais.
Le mécène
Paul Desmarais ne s'est pas fait que des amis durant sa carrière. Ses prises de position en faveur du fédéralisme canadien, les conflits de travailleurs qui ont éclaté dans ses entreprises, son omniprésence dans le monde des affaires, ne serait-ce que sa richesse lui ont fait des ennemis.
En contrepartie, l'homme a épousé plusieurs causes, a participé à plusieurs campagnes de financement, a financé la construction de plusieurs édifices. Son engagement a été présent dans plusieurs sphères d'activités : santé, arts, entreprises.
L'homme a entre autres financé la construction d'un nouveau pavillon, qui porte le nom de son père Jean-Noël Desmarais, au Musée des Beaux-Arts de Montréal. Inauguré en 1991 en face du bâtiment original, le pavillon accueille les expositions temporaires.
À l'Université de Montréal, le pavillon Paul-G. Desmarais, construit grâce à l'engagement du financier, abrite aujourd'hui des programmes de la Faculté de médecine. Un autre pavillon Desmarais a été construit à l'Université d'Ottawa, alma mater de l'homme d'affaires.
Toujours dans le domaine de la santé, une initiative de Jacqueline Desmarais a permis, en 2005, de doter l'hôpital de La Malbaie d'une unité coronarienne.
L'engagement des Desmarais et de PCC envers l'Orchestre Métropolitain, l'OSM, l'Opéra de Montréal, le Metropolitan Opera de New York et bien d'autres est aussi connus de tous.
Décoré de l'Ordre du Canada et du Québec, Grand-Croix de la Légion d'Honneur, détenteur de plusieurs doctorats honorifiques, Paul Desmarais était un homme extrêmement discret avec les médias. Il fuyait les mondanités et la presse «pipole». Cela ne l'a jamais empêché d'être au coeur de l'activité économique du Québec des soixante dernières années.
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