Les soldats canadiens en Afghanistan ont besoin de tout l'appui et de toute la solidarité de la population afin de poursuivre leur mission dans ce pays. Une fois cette position prise et assumée, encore faudrait-il que notre " ami " le Pakistan ne cherche pas constamment à déstabiliser le régime du président Hamid Karzaï et ainsi mettre en danger la vie de nos militaires.
Le Pakistan est en première ligne d'une guerre au terrorisme dont il est en partie responsable. Jusqu'aux attentats du 11 septembre, le gouvernement du président Pervez Musharraf a aidé et financé le régime taliban en Afghanistan. Les services secrets pakistanais savaient pertinemment où allait l'argent: dans les coffres des talibans, bien entendu, mais aussi dans ceux de la nébuleuse terroriste Al-Qaeda dont les actions contre les intérêts américains et occidentaux étaient de plus en plus spectaculaires. Le Pakistan a résisté à toutes les pressions l'invitant à rompre avec le régime taliban, et ce, pour une bonne raison: l'Afghanistan offrait à l'époque une base territoriale aux groupes armés luttant contre l'occupation indienne du Cachemire.
À jouer avec le feu, Musharraf et ses généraux ont fini par se brûler les doigts. Après le 11 septembre, les États-Unis ont sommé le Pakistan de joindre leur camp ou d'être bombardé et renvoyé " à l'âge de pierre ". C'est Musharraf lui-même qui a révélé cette menace, devenue depuis un formidable condensé de la doctrine Bush et un instrument favori de la diplomatie américaine afin d'inciter certains pays à joindre les coalitions de " volontaires " en Afghanistan et en Irak. Le président pakistanais n'a pas eu besoin de longues heures de réflexion pour prendre une décision. En effet, la perspective d'être annihilé physiquement incite toujours les individus à la promptitude. " J'admire votre leadership ", lui a dit Bush, vendredi. Et comment!
Le Pakistan est un volontaire forcé dans la lutte contre le terrorisme, certes, mais il n'a pas perdu de vue ses intérêts nationaux. L'Afghanistan est tout à la fois son État-croupion et un terrain de jeu entre lui et les puissances régionales, comme l'Iran et l'Inde. Les États-Unis sont là, calmant les choses pour un temps. Ils partiront un jour. Le Pakistan, lui, fera toujours face à l'Afghanistan et il n'a pas l'intention de se laisser damer le pion.
Depuis cinq ans, les Pakistanais sont régulièrement accusés par l'Afghanistan et par certains membres de l'administration américaine de se traîner les pieds dans la chasse aux talibans et aux terroristes d'Al-Qaeda. Et on voit mal comment les choses pourraient s'améliorer au moment où le pouvoir pakistanais multiplie les alliances avec les partis islamistes radicaux et se montre incapable de contrôler certaines régions frontalières avec l'Afghanistan.
Naissance du Jihadistan
Les critiques des leaders af- ghans contre le Pakistan sont de plus en plus stridentes et prennent parfois des accents personnels. Il y a quelques mois, sur CNN, le président Karzaï a accusé son homologue pakistanais de ne pas savoir de quoi il parlait à propos de la situation dans son pays. La semaine dernière, dans une entrevue au New York Times, il a enfoncé le clou à propos de la présence de ben Laden dans la région. " Si j'avais dit qu'il était au Pakistan, le président Mu- sharraf aurait été en colère contre moi. Et si j'avais dit qu'il était en Afghanistan, j'aurais menti. "
À Kaboul, le président du Parlement n'y va pas par quatre chemins afin de décrire les agissements néfastes du Pakistan chez lui. " La stratégie du Pakistan envers l'Afghanistan n'a pas changé, vient-il d'affirmer au journal Le Monde. La présence des forces étrangères chez nous et le rapprochement entre l'Inde et les États-Unis sont des facteurs qui poussent le Pakistan à déstabiliser l'Afghanistan. L'objectif des Pakistanais est de faire partir les forces étrangères pour imposer leur tutelle sur notre pays. C'est pourquoi ils soutiennent les talibans. "
La situation est actuellement si dramatique en Afghanistan qu'elle menace tout le projet de stabilisation du pays entrepris par l'ONU et l'OTAN comme le souligne un article publié dans la nouvelle édition de Newsweek et, si justement, intitulé " La montée du Jihadistan ". Pour tenter de calmer les esprits, le président George Bush a convoqué demain à la Maison-Blanche les présidents des deux pays à une conversation qui promet d'être " virile ".
Pendant ce temps, les soldats canadiens sur le terrain font les frais de cette discorde cruelle. Certes, il faut combattre Al-Qaeda. Certes, l'effort de reconstruction de l'Af- ghanistan est nécessaire, le pays restant fragile, et les Canadiens doivent le comprendre: nous sommes là, sous une forme ou une autre, pour au moins 25 ans. Mais les choses doivent être claires avec le Pakistan: nos soldats ne doivent pas mourir au cours de combats contre des talibans au service des intérêts géopolitiques pakistanais.
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal.
Notre "ami" le Pakistan
Les soldats canadiens sur le terrain font les frais de la discorde cruelle entre l'Afghanistan et le Pakistan
Géopolitique — Proche-Orient
Jocelyn Coulon59 articles
L’auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l’Université de Montréal.
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