Le gouvernement compte entreposer la grande majorité des données du Québec dans le nuage numérique d’une entreprise privée. Une solution qui mettrait en danger la vie privée des Québécois, préviennent les experts en sécurité informatique.
Stocker les informations des Québécois dans un espace infonuagique —communément appelé en anglais un «cloud»— permettrait de faire des économies de 100 M$ annuellement, soutient le gouvernement Legault.
Le Centre des services partagé du Québec (CSPQ) possède 457 centres de traitement de l'information (CTI) où sont entreposés les serveurs dans lesquels toutes les informations des Québécois sont emmagasinées. À terme, Québec ne veut en conserver que deux.
«L'État doit absolument se doter d'infrastructures informatiques au diapason de l'évolution des technologies», a soutenu le président du Conseil du trésor, Christian Dubé. Il admet que plusieurs centres ne respectent pas les standards de sécurité.
Ainsi, Québec pourrait confier 80% de nos données personnelles et collectives à des entreprises étrangères, notamment américaines, telles Amazon, IBM ou Microsoft, lesquelles offrent des espaces infonuagiques publics.
«C'est une tendance mondiale dans laquelle on s'inscrit», a argué le ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale, Éric Caire.
Vies privées en danger
Ce scénario n’enthousiasme toutefois pas des experts en sécurité informatique consultés par notre Bureau d’enquête. En plus de mettre une croix sur une expertise nationale en technologie de l’information et l’amélioration des compétences à l’intérieur de l’État, Québec se trouverait à donner l’équivalent d’un double des clefs de notre vie privée au gouvernement américain.
«Ces gros joueurs ont l’infrastructure et la sécurité en place. C’est extrêmement bon. Ils ont mis des milliards là-dedans [...] Sur le plan de la sécurité, s’ils vont dans un nuage public, c’est meilleur que ce qu’ils ont présentement», admet Patrick Mathieu, expert en sécurité informatique. Cependant, ajoute-t-il, une telle décision soulève des questions sur le plan éthique.
Le Patriot Act donne des pouvoirs exceptionnels au gouvernement américain, lui permettant d’examiner des données de toute entreprise américaine, même si elles ne se trouvent pas physiquement à l’intérieur de ses frontières. Le Québec ne fait pas exception. «Peu importe l’endroit où se trouvent les serveurs, ils peuvent aller chercher les informations», indique M. Mathieu. «Pour une entreprise privée, c’est autre chose. Il y a une analyse de risque qui est faite. Mais là, il s’agit des données des citoyens. Par exemple, des données financières ou médicales des citoyens», dit-il.
Entreprises québécoises ?
Québec n’exclut toutefois pas de se tourner vers une entreprise québécoise spécialisée dans le domaine du stockage d’information: MicroLogic et Sherweb, par exemple. Les ministres Caire et Dubé espèrent d’ailleurs que celles-ci chercheront à obtenir le contrat. «La meilleure chose serait d’avoir un genre d’Amazon canadien au québécois», a souligné l’expert Patrick Mathieu. «Mais, le danger d’utiliser une plateforme québécoise ou canadienne, c’est [que celles-ci] n’ont pas d’aussi gros budgets qu’aux États-Unis. [...] La sécurité est faible généralement, c’est ça qui est plate».
Le président général Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ), Christian Daigle, est également inquiet. « Cette annonce nous laisse sur notre appétit. Où est le réel retour de l’expertise ? On va confier à des sous-traitants américains nos données, est-ce que tous les serveurs seront au Québec ? Le gouvernement devrait aussi s’assurer des bonnes pratiques fiscales de ces entreprises ce qui n’est pas toujours le cas», a-t-il indiqué.
Le gouvernement Legault veut
- Passer de 457 centres de traitement de l’information à 2
- Investir 150 M$ pour y arriver
- Transférer 80 % de nos données dans le nuage « public » d’une entreprise privée
- Garder un maximum de 20 % de nos données dans un nuage du gouvernement du Québec
L’objectif du gouvernement
- Économiser 100 M$ par année
- Libérer des ressources et permettre de développer sa propre expertise d’infonuagique
Coût de l’informatique au Québec
- 4,5 G$ par année
Promesse de la CAQ
- Faire le ménage et économiser 210 M$ par année en informatique d’ici 4 ans