Les solutions des lucides ne passent pas. Du moins, la lucidité des 12 signataires d'un manifeste issu de nulle part n'est pas reprise par la très grande majorité des Québécois, le rejet étant davantage accentué chez les plus jeunes répondants. Pendant ce temps, le documentaire L'Illusion tranquille, qui invite à faire une nouvelle Révolution tranquille, fait ses débuts dans les salles montréalaises demain.
Ils étaient 12 signataires du manifeste Pour un Québec lucide. Une équipe de 12 personnalités, animée par l'ancien premier ministre Lucien Bouchard, à vouloir, en octobre 2005, sonner l'éveil. À souhaiter une prise de conscience collective devant l'incapacité financière des Québécois à s'offrir le statu quo en matière de programmes sociaux et de dépenses publiques. Les conclusions d'un sondage sont venues rappeler hier que la lucidité de ces signataires ne parvenait pas à convaincre. À moins qu'elle ne soit tout simplement pas convaincante.
Le président de la maison de sondage CROP, Alain Giguère, appuyait visiblement les conclusions des lucides. Dans sa présentation d'hier, il s'étonnait de mesurer que le constat n'était pas partagé par une très grande majorité de Québécois. Tout au plus a-t-il retenu cette ouverture d'esprit des répondants à l'embryon d'un système de santé à deux vitesses. Car ici, cette ouverture des répondants se limite pour eux à se montrer favorables à «donner la possibilité aux citoyens qui le désirent de se payer des soins de santé et des services médicaux en dehors du système public de santé». En somme, rien de très éloigné de la réalité.
Ce qu'il faut retenir de l'exercice, c'est l'orientation de la question. Son à-priori, son sous-entendu, libellé ainsi: «afin de permettre au Québec d'avoir les moyens financiers nécessaires pour se développer davantage, payer ses dettes, financer ses programmes sociaux et environnementaux et laisser aux jeunes et aux futures générations une société plus prospère». Malgré ce biais, ils étaient 83 % à se dire défavorables (plutôt ou très) à une augmentation des tarifs d'électricité. Il faut dire qu'on a évoqué une hausse de 20 % des tarifs sur cinq ans.
Ils étaient 65 % à se déclarer défavorables à une augmentation des frais de scolarité. Ici aussi la référence était notoire: l'augmentation présentée portait sur un doublement des frais universitaires en cinq ans.
Donc, difficile d'avoir l'heure juste. Une piste de réponse plus éclairante peut venir du pourcentage de répondants (46 %) se disant favorables à une diminution des services, contre 49 % déclarant y être défavorables. Mais ils sont 60 % à préférer que le gouvernement continue à jouer un rôle important. On peut donc observer, ici, une incitation à revoir certains services et, surtout, à remettre en question les structures et la façon de faire. Mais dans l'ensemble, «les Québécois sont très attachés à leur social-démocratie», constate avec étonnement le président de CROP.
Alain Giguère va plus loin. «Contrairement à nos hypothèses de départ, les jeunes générations ne semblent pas particulièrement enclines à vouloir réduire les services de l'État pour réduire la dette qui leur reviendra. Au contraire, ils semblent plus que tous, proportionnellement, attachés à la social-démocratie à la québécoise.»
De toute évidence, on ne parvient pas à convaincre de l'état de décrépitude du «modèle» québécois. De deux choses l'une. Ou bien le message ne passe pas faute d'un argumentaire solide. Ou bien le messager ne parvient pas à faire vibrer les cordes sensibles. Retenant la lecture faite par les lucides, le président de la firme de sondage opte pour la deuxième option et préfère parler d'un problème de crédibilité des porte-parole. «Les politiciens ont un certain problème de crédibilité pour vendre aux citoyens de telles réformes. De nouveaux porte-parole seront nécessaires. Et la crédibilité passera par la conviction de l'absence de conflit d'intérêts.»
Si, pour reprendre l'expression d'Alain Giguère, on doit se mettre à rêver d'«un nouveau René Lévesque», une autre réflexion, plus élargie que celle des lucides, est en cours. Car s'il faut retenir de ce sondage CROP que les répondants tiennent à leur prétendu «modèle» québécois, ils se disent ouverts à l'idée de revoir et de corriger cette façon de faire les choses issue d'une réalité des années 1960.
C'est ce qui ressort de ce documentaire politique, L'Illusion tranquille, diffusé depuis l'automne dernier à Québec et qui prend l'affiche à Montréal demain. Un documentaire tranché et peu nuancé, résolument antisyndical faut-il le répéter, et qui invite à tout refaire plutôt qu'à remodeler à partir des acquis de la Révolution tranquille. Un documentaire qui a, par contre, le véritable mérite de provoquer et de nourrir la réflexion plutôt que d'imposer des solutions qui ne convainquent pas.
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