[L'Illusion tranquille ne laisse pas insensible->2988]. Le discours du documentaire est tranché et peu nuancé. Le ton est radicalement antisyndical et la couleur, plutôt adéquiste, résolument antipéquiste. Mais il doit être pris pour ce qu'il est, à savoir un documentaire politique qui invite à une nouvelle révolution tranquille.
L'Illusion tranquille pousse le «modèle québécois» issu des années 1960 dans la déchiqueteuse. Le documentaire de 72 minutes, projeté depuis près d'un mois dans certaines salles de Québec, parle de l'échec d'une social-démocratie en empruntant la voie de ses revers, de ses ratés et de sa démesure. En reprenant des statistiques parlantes, des données brutes qui auraient pourtant bénéficié d'une mise en contexte, on nous parle d'un Québec qui étouffe. On nous condamne à foncer dans un mur présentement caché par une illusion construite par la pensée magique et le dogmatisme. Mais sans vouloir révéler le «punch» de la fin, on peut retenir cette belle contradiction. Cette conclusion voulant que la Révolution tranquille nous aura laissé, en héritage, une capacité de refaire les choses différemment.
Le ton est donné dès le départ. Les premiers intervenants dénoncent cette culture de la complainte et de la revendication qui s'est installée à demeure au Québec. Ils soutiennent que la Révolution tranquille nous a permis de nous soustraire au joug de la «religion religieuse» pour nous scléroser dans une religion syndicale. Une nouvelle Église a pris la relève, sous le nom de «syndicat», qui remplace la citoyenneté par l'ancienneté. Et les révolutionnaires des années 1960 forment le clergé des années 2000.
Réjean Breton va plus loin. «Nous en sommes là d'abord et avant tout à cause des syndicats», a déploré le spécialiste en droit du travail de l'Université Laval, qui se voit confier un (trop) large espace dans le documentaire. Celui qui en a contre les «syndicaleux» et leur connivence avec les «péquouistes» parle de deux monopoles superposés, celui de l'État et celui des syndicats, l'un étant soumis au diktat de l'autre. S'ils sont les défenseurs de l'intérêt public, quand les syndicats vont-ils se préoccuper de la capacité de payer des Québécois? demande-t-il.
Assurance médicaments, Régime des rentes du Québec, frais de garderie à 7 $, gel des droits de scolarité... Autant de programmes qui, même s'ils sont des gouffres financiers sans fond, sont devenus immuables tellement le courage politique fait défaut lorsque vient le temps de remettre en question ce que l'on tient trop rapidement pour acquis. Que dire, aussi, de l'universalité, si ce n'est qu'«on met dans le trouble tous ceux qui n'y ont pas accès», a soutenu un représentant de la génération des 20-30 ans. Si ce n'est qu'«on a accru l'universalité pour régler un problème d'accessibilité», a ajouté un analyste. Les dogmes religieux ont été remplacés par ceux du social-nationalisme.
Paradoxalement, au nom d'une solidarité sociale, en ne faisant pas payer davantage ceux qui en ont les moyens, «on subventionne les riches», a dénoncé l'un. «Plus on est riche, plus le cadeau du gel des tarifs est grand», a renchéri un autre.
On revient sur la nécessité de créer de la richesse avant de redistribuer celle-ci, pour défaire le mythe que le Québec est riche. Et l'on dénonce le discours dominant d'une certaine gauche martelant que la richesse existe. Qu'il faut aller la chercher là où elle se trouve. Dans les poches des riches, des grandes entreprises, dans les profits des banques, à Ottawa.
Cette gauche utopiste a tout faux. Le Québec est pauvre. Sur 50 États et dix provinces, il arrive au 54e rang pour ce qui est du niveau de vie. Le Québec est à peine plus solidaire que l'Ontario, mais deux fois moins riche. On a voulu faire du Québec un paradis social et on s'est contenté d'une loi contre la pauvreté plutôt que de créer de la richesse. En fait, «le Québec est riche en pauvres et pauvre en riches». Et si 42 % des contribuables québécois ne paient pas d'impôt, contre 29 % en Ontario, c'est une affaire de pauvreté et non de paradis fiscaux. D'ailleurs, les paradis fiscaux ont été remplacés par les paradis syndicaux au Québec. «Fonction publique, monde syndical, progressivité du système fiscal... Trop de gens profitent du régime tel qu'il est pour vouloir le changer.»
Il y a donc persévérance dans l'erreur. «Les chiffres et les faits sont pourtant là, mais les symboles ont pris une telle ampleur», insiste-t-on, pour finalement se demander pour qui, pour quoi, la social-démocratie?
Et si rien n'est fait? Le Québec va continuer de s'enfoncer doucement et s'accoutumer à une certaine médiocrité. Les Québécois seront, certes, tous égaux, mais tous également pauvres. Que peut-on faire? Ce qu'a fait l'Irlande qui, après avoir tout essayé, a décidé de déréglementer, de réduire les impôts et de laisser libre cours au laisser-faire, au libre marché. Quant au monopole d'État, ça reste un monopole. Il faut insérer un niveau de concurrence dans la production des services publics et sociaux.
Mais voilà, le Québec est trop confiant en ses politiciens et pas assez exigeant au chapitre des résultats, a énoncé la réalisatrice et coauteure du documentaire, Joanne Marcotte. Le Québec étouffe, l'universalité est une illusion, a-t-elle enchaîné. Pour les représentants des 20-30 ans, la Révolution tranquille et tout ce temps dévolu à la question nationale deviennent des préoccupations d'une autre époque, d'une autre génération. L'un d'eux dira qu'individuellement, ils ne sont pas inquiets. Ils sont plus instruits que jamais et habitués à la précarité. Mais collectivement...
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé