SONDAGE CROP

Un travail bâclé

Par Jean-François Ouellet et Caroline Lacroix

Solidaires vs Lucides - sondage CROP


Avant la fin des années 70, les constructeurs automobiles, notamment, étaient aux prises avec un problème de taille devant les choix qu'ils devaient réaliser dans leurs investissements en développement de nouveaux modèles. Comment déterminer ce que les consommateurs recherchaient réellement dans une voiture alors que les sondages semblaient suggérer qu'ils souhaitaient tout avoir... "Aimeriez-vous des sièges en cuir?" "Oui!" "Aimeriez-vous un moteur puissant?" "Oui!" "Aimeriez-vous une faible consommation d'essence?" "Oui!" "Voulez-vous payer 1000$ de plus pour une voiture?" "Non!" Sans savoir ce que leurs clients potentiels souhaitaient le plus obtenir, ce pourquoi ils étaient véritablement prêts à payer, ou ce qu'ils étaient prêts à compromettre en vue d'obtenir autre chose pour le même prix, les constructeurs ne disposaient d'aucune information utile pouvant être transposée en choix de développement.
Le sondage CROP, dévoilé la semaine dernière, sur l'opinion des Québécois quant aux programmes sociaux, au rôle de l'État et à l'endettement public reflète ce même problème. En demandant aux citoyens s'ils veulent plus ou moins de programmes sociaux, la réponse sera invariablement toujours "plus" à moins d'introduire dans la question ce qu'il en coûte de faire ces choix. Ce qu'il en coûte en termes de frais, de taxes et d'impôts, ou encore puisqu'un dollar investi dans un secteur ne peut pas l'être à la fois dans un autre en délais supplémentaires de soins, en environnement saccagé, en qualité d'éducation déclinante, en croissance économique anémique, en niveau de vie inférieur pour les générations qui suivront, etc.
À la fin des années 70, la branche du marketing qui s'intéresse au développement des produits nouveaux a importé de la psychologie mathématique une technique appelée analyse conjointe. Sans entrer dans les détails, cette technique permet désormais aux organisations réalisant des études de marché de cerner précisément les préférences des consommateurs pour certaines caractéristiques de produits par rapport à d'autres caractéristiques de même valeur. L'analyse conjointe permet ainsi aux manufacturiers de voitures de connaître la voiture idéale pour un prix donné aux yeux des consommateurs appartenant à un segment donné.
Dans le contexte qui nous intéresse, cette méthode aurait permis de déterminer avec moins d'ambiguïté si réellement les Québécois préfèrent, par exemple, un scénario prévoyant la préservation du niveau actuel de services publics avec, en contrepartie, sensiblement plus de taxes et d'impôts, ou encore un scénario prévoyant une baisse sensible de services publics pour le même niveau de taxes et d'impôts. Sans la considération de ces compromis dans les sondages, les Québécois dans leur ensemble apparaîtront toujours à la fois solidaires "nous voulons plus de services publics!" et néo-libéralistes "nous voulons payer moins d'impôts!".
Dans le cours de gestion de produits offert au baccalauréat à HEC Montréal, un étudiant qui réaliserait un sondage de marché à l'instar de celui réalisé par CROP perdrait invariablement beaucoup de points. S'il apportait, sur la base de ce travail, les mêmes conclusions que celles véhiculées par la presse la semaine dernière, il n'obtiendrait pas la note de passage. À notre avis:
- en demandant aux Québécois leur opinion sur le niveau de service public qu'ils souhaitent avoir sans les questionner en même temps sur leur volonté d'assumer les coûts de ces services; puis;
- en interprétant par la suite que les Québécois sont plus solidaires que lucides, les auteurs de ce sondage ainsi que les médias qui ont aveuglément communiqué ces conclusions ont failli à leur tâche, du moins à celle de communiquer les limites inhérentes à cette recherche et à la prudence que ces limites devraient imposer dans l'interprétation des résultats.
Jean-François Ouellet

Caroline Lacroix
M. Ouellet est professeur de marketing à HEC Montréal et Mme Lacroix est étudiante au doctorat en marketing à l'Université de Grenoble 2.


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