Le système de collusion et de corruption qui s’est établi est la conséquence du néolibéralisme sur lequel s’appuie le gouvernement et qui favorise sa non-intervention.
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
François Beaudry, ingénieur à la retraite - À l'automne 2009, dans le cadre de l'émission Enquête de Radio-Canada, je me suis permis de révéler un des aspects les plus troublants du monde de la construction au Québec, soit la collusion et la mainmise de la mafia sur des travaux publics. Ce reportage s'ajoutait au travail déjà amorcé par les médias pour mettre en lumière des pratiques aussi subtiles que malhonnêtes de ce milieu qui s'alimente des millions de dollars destinés aux travaux publics.
Le dévoilement du rapport Duchesneau vient sceller ce qui fut identifié maintes fois comme étant de simples allégations. En ce qui me concerne, le rapport confirme totalement ce que j'ai commencé à connaître en 2003, moment où j'ai remis aux autorités, dans le cadre de mes fonctions au ministère des Transports, des preuves formelles de collusion. Ce qui me bouleverse n'est donc pas le contenu du rapport, mais son impact, soit la perception tout à fait diabolique des citoyens face aux élus et à tout ce gâchis qu'est devenu ce dossier. Nous sommes en présence d'un cancer, mais on parle d'euthanasie.
Obstination politique
J'ai la profonde conviction que nous vivons dans une société où, malgré tout, la démocratie est solidement établie et que nous avons en main tout ce qu'il faut pour corriger le tir. Au cours de ma carrière, j'ai côtoyé des attachés politiques, des hauts fonctionnaires, des sous-ministres, des ministres et tous, presque sans exception (!), s'avéraient des gens intègres, sincères, dédiés à leur travail et motivés par des préoccupations beaucoup plus nobles que ne l'estime le citoyen moyen. Les escrocs sont là, mais en faible nombre, que ce soit chez les ingénieurs, les politiciens ou fonctionnaires. Mais voilà, l'obstination politique à refuser une enquête publique, la position inflexible et indéfendable du premier ministre Jean Charest et l'image des députés libéraux qui suivent le chef en se regardant les souliers les rendent presque coupables par association.
Permettez-moi une simple tentative d'explication de ce fiasco. Depuis quelques années les orientations gouvernementales s'appuient sur un néolibéralisme favorisant la non-intervention de l'État. Combien de fois avons-nous entendu parler des vertus du «privé» pour régler les problèmes de l'État? Beaucoup d'interventions dans ce sens s'avéraient utiles et nécessaires. Tout est dans la façon de faire. Si l'approche devient doctrine, alors les problèmes qui y sont associés sont ignorés ou même camouflés.
Vous pouvez imaginer que le Nirvana des firmes de génie-conseil est de se voir confier la gestion complète de travaux publics sans «bureaucrates» qui regardent par-dessus l'épaule. C'est justement la tendance qui s'est établie. Dans un tel contexte, tout le monde est heureux, en plus la firme et l'entrepreneur arrivent plus facilement à s'entendre puisque c'est un tiers parti qui paie la note. Les élus n'ont que des amis à rencontrer et non pas des entrepreneurs frustrés par des «fonctionnaires» pointilleux.
Malsaine complaisance
Simpliste comme explication, à des fins pédagogiques, mais cela touche à l'essence du problème. Conspiration orchestrée par des élus pour dilapider les fonds publics? Je ne le crois pas. L'appareil gouvernemental est un immense bateau stable, même dans la tempête, et qui met du temps à changer de cap. Les politiciens passent rapidement. Les ingénieurs, entrepreneurs du monde de la construction restent et connaissent tous les rouages du système, pour le meilleur et pour le pire. Les fonctionnaires eux aussi restent et doivent être des gardiens avertis du «trésor» public.
La complaisance avec le milieu politique et certaines orientations idéologiques peuvent s'avérer malsaines si elles sont partisanes et ne laissent pas de place au sens critique de la haute fonction publique, même au droit à l'indignation! Malheureusement, dans certains cas, le cheminement de carrière prime le sens de l'État.
Pourquoi les politiciens et les fonctionnaires ont-ils failli à la tâche? Dans un univers où il y a beaucoup d'argent en jeu, ceux qui en profitent directement travaillent patiemment à peaufiner les façons de tirer profit des lacunes administratives ou carrément de frauder le système. Si ces gens sont des gentlemen qui savent influencer les politiciens et décideurs et qu'ils alimentent subtilement les préjugés à l'égard des soi-disant bureaucrates et fonctionnaires, puisque ces mots sont devenus hautement péjoratifs, alors même le peuple réclame de privatiser l'«imprivatisable».
Y-a-t-il meilleur exemple que le dossier de l'amphithéâtre de Québec pour illustrer cette incohérence? Faute de politiciens plus visionnaires que populistes, nous en paierons encore le prix dans quelques années.
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François Beaudry, ingénieur à la retraite
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L'auteur a travaillé pendant 33 ans au sein du ministère des Transports du Québec, notamment à titre d'ingénieur conseiller auprès du sous-ministre des Transports pendant plusieurs années.
Système de collusion et de corruption
Néolibéralisme et complaisance
La complaisance avec le milieu politique et certaines orientations idéologiques peuvent s'avérer malsaines si elles sont partisanes et ne laissent pas de place au sens critique de la haute fonction publique, même au droit à l'indignation! Malheureusement, dans certains cas, le cheminement de carrière prime le sens de l'État.
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