La dernière année politique a laissé l'impression d'un Québec divisé, voire d'une société dressée contre elle-même. Le Québec serait-il à ce point morcelé? Le débat sur les accommodements raisonnables a accéléré certains grands questionnements, favorisant au passage des querelles tout émotives et dénuées de rationalité. Le Devoir a posé la question à diverses personnalités venues de différents coins du Québec. Sommes-nous déchirés à ce point? Voici le septième d'une série de dix textes.
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Je suis un indigène mauricien, fils d'un papetier de Trois-Rivières. Étudiant, je cordais des «pitounes» dans la cour de l'usine où mon père travaillait. Le père de ma conjointe, qui a elle-même pratiqué la drave à l'époque où elle était étudiante, était bûcheron. La forêt recouvre 88 % du territoire mauricien. En ce sens, il ne faut pas se surprendre si plusieurs familles de Trois-Rivières, Shawinigan ou La Tuque ont un profil semblable à ma propre petite tribu.
J'habite Trois-Rivières avec ma conjointe et mon fils de dix mois. Encore une fois, l'histoire de ma nouvelle et petite famille ressemble à celle de beaucoup d'autres. Après un essai peu convaincant à Montréal, nous avons regagné nos pénates et sommes redevenus des urbains trifluviens. Je sais que, pour plusieurs Montréalais, on ne peut prétendre être urbain et vivre hors des frontières de la métropole; c'est pourtant notre cas.
J'habite à dix minutes de vélo du centre-ville où je peux flâner sur une terrasse, bouquiner, visiter mon disquaire préféré ou lire mon journal favori un allongé à la main. Comme dans les autres villes, on a aussi des parcomètres, des seringues à récupérer et des itinérants à loger. Qu'on se le tienne pour dit: Trois-Rivières n'est pas un gros village, mais une ville de taille moyenne. Trois-Rivières pense comme une ville, investit comme une ville, rayonne comme une ville et se développe comme une ville.
La pauvreté, sans le savoir
Enfant, je ne savais même pas que j'habitais un quartier défavorisé. On me l'a appris. Nous habitions près de l'usine où mon père travaillait, ce qui était plus simple étant donné qu'il n'avait pas de permis de conduire. Nous n'étions pas riches dans ma famille, mais nous n'étions certainement pas pauvres. Enfant, je ne savais même pas que certains de mes petits camarades étaient pauvres. On me l'a appris.
Fin des années 1970, mes amis vivaient pour la plupart dans des maisons presque neuves et toutes pareilles sur Saint-Paul et Hertel. Pas nous. Je les enviais d'avoir d'aussi grands sous-sols où on pouvait s'énerver en paix. On ne m'avait pas encore expliqué que c'était, en fait, des HLM et qu'il fallait être pauvre pour avoir le privilège de les habiter.
Je pense que mes amis, sauf les plus lucides d'entre eux, ne savaient pas non plus qu'ils étaient pauvres. On était des enfants et le simple exercice de ce titre parvenait à remplir amplement nos candides journées. On a vieilli. On a poussé comme des fleurs de macadam (merci pour la phrase, Jean-Pierre). Mes amis d'enfance, mes frères et soeurs de ruelle sont devenus mes chums pour finalement être des connaissances que je suis heureux de croiser au hasard des courses au dépanneur ou des rendez-vous chez le pédiatre.
Nous savons tous maintenant que nous habitions dans le temps un quartier défavorisé, un quartier pauvre. Mes anciens potes et moi savons aussi pertinemment qu'on a eu des vrais bons moments dans le quartier Sainte-Cécile de Trois-Rivières. Au-delà de la mauvaise presse, bien au-dessus du mépris, il y a un fait qui demeure concernant le quartier de mon enfance: il est beau!
Il est beau par sa diversité, son dynamisme. Il a des racines, une histoire et des gens pour la raconter. Je suis heureux de cette jeunesse dans mon quartier où j'ai vite appris qu'il m'était permis de rêver assis parfois à l'ombre d'une vieille prison, d'un vieux tank devenu monument militaire ou d'une vieille église. Mon bébé, ma blonde et moi habitons maintenant un autre des premiers quartiers de Trois-Rivières et je souhaite que mon fils puisse vivre un peu de ce que j'ai vécu dans le mien.
Mauricie accommodante?
Depuis l'épisode d'Hérouxville et de son problématique code de vie, plusieurs personnes associent la Mauricie aux accommodements raisonnables. Effectivement, en tant que famille indigène, urbaine et mauricienne, nous devons chaque jour composer avec différents accommodements. Des accommodements qui relèvent, par contre, plus des sens que de la raison...
Il y a les accommodements gourmands de mon restaurateur libanais, qui réussit parfois à me convaincre que le deuxième shish taouk sera encore meilleur que le premier. Les accommodements humanitaires du comité de solidarité, qui récupère les vieux vélos et leur donne une seconde vie quelque part dans le monde. Les accommodements émotifs des filles et des gars de l'organisme Point de Rue, qui ont connu la rue et décident de s'exiler quelques mois au Madagascar pour redonner l'aide, la compréhension et l'amour qu'ils ont probablement reçus comme autant de barreaux d'une échelle qui vous sort du trou.
Les accommodements visuels du soleil qui plombe sur le fleuve et poignarde de ses rayons les spectaculaires vitraux de MargiArt. Le regard curieux d'un enfant de la garderie de l'université posé sur une couleur de peau différente de la sienne. Le retroussement du poil de nez d'une dame devant la première expérience d'un parfum de cumin dans la cage d'escalier dans son triplex. La contagion du rire de l'Africain dans l'autobus qui vient vous remplir les oreilles de sa bonne humeur. Ces accommodements, on s'en accommode chaque jour avec délectation dans ma petite ville de 126 000 habitants!
Vibrante Mauricie
Nous avons la chance d'habiter une région déposée au milieu de la poitrine du Québec. Petit bond de 45 minutes et nous sommes dans le Parc national de la Mauricie. Petite heure quinze de route et nous voici sur les plaines d'Abraham. Le temps d'écouter le dernier CD de Paul Cargnello et nous sommes au marché Jean-Talon. Notez qu'il est toutefois de plus en plus difficile de sortir de la Mauricie avec tous nos nouveaux produits régionaux. Nous avons maintenant en Mauricie des bières, des fromages, des saucisses, des légumes frais en grandes variétés et des produits de boulangerie qui nous rendent de plus en plus pantouflards.
Il se passe quelque chose en ce moment en Mauricie. Des grosses usines disparaissent et cèdent la place à des musées, des plages, des parcs. La culture semble vouloir prendre le dessus et s'élever plus haut que jadis les cheminées, et ce qui nous retombe dessus, ce n'est plus de la suie ou des odeurs désagréables, mais de la poésie à saveur internationale comme celle de l'Américain Jack Hirschman ou du Québécois Jean-Marc Desgent, de la danse plein la rue des Forges en juin, des expositions comme celle de Carsten Höller à Shawinigan ou des spectacles comme ceux d'Amadou et Mariam, Afro-Cuban Allstars et Tragically Hip. Même Kenny Rogers viendra tremper sa barbe poivre et sel chez nous à l'automne!
Je ne suis ni économiste, ni urbaniste, ni même prophète, mais les indices semblent vouloir s'additionner quand vient le temps d'être positif par rapport à l'avenir de la Mauricie. Un premier exemple flagrant est certainement l'Université du Québec à Trois-Rivières, qui agrandit et développe des secteurs de pointe au coeur de l'actualité comme l'hydrogène, les sages femmes ou les trajectoires d'usage de drogues et les problématiques associées chez les jeunes.
Il y a aussi les édifices commerciaux et les maisons qui poussent comme des pissenlits. Il y a également tout ce courant de pensée alternatif qui souhaite la prolifération de l'économie sociale, du commerce local et équitable, et d'une approche plus communautaire de problématiques graves comme la rupture du lien social, l'intégration des nouveaux arrivants, la pauvreté ou l'abandon pur et simple de certains jeunes par rapport au reste de la société.
Finalement, ce qui me laisse croire que l'avenir de la Mauricie est rose, c'est cette épidémie de poussettes remplies de nouveaux petits indigènes mauriciens qui déferlent dans les rues de Trois-Rivières, Shawinigan ou Saint-Élie-de-Caxton. Du mélange des nouveaux Émile, Manuel, Ali, Alexandre, Samina ou Juliette jaillira certainement les nouvelles couleurs de la Mauricie de demain.
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Jean Lamarche, Collaborateur à la radio de Radio-Canada
Autour de chez nous (7)
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