Marco Micone rides again !

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« Micone était annonciateur d’un retournement de sens majeur et d’un révisionnisme historique, bien présent aujourd’hui, qui transforme les « nègres blancs » d’hier en suprémacistes blancs. »

Dans un texte paru, le 12 juin, dans Le Devoir, sous le titre Hier les italophones, aujourd’hui les musulmans, l’écrivain Marco Micone y va d’un nouveau chapitre dans son offensive contre le mouvement nationaliste québécois. Il compare le débat sur la laïcité à celui des années 1960-1970 sur la langue. Il présente les italophones comme ayant été les victimes de cet affrontement, oubliant que l’origine de la crise de Saint-Léonard découlait de l’inscription des italophones dans des classes anglaises.


Au cours des dernières années, M. Micone a trituré les faits, traité de xénophobes les défenseurs du français et craché sur un des plus beaux poèmes québécois – le Speak White de Michèle Lalonde – avec son Speak What. Voici un portrait de Marco Micone et un rappel de ses idées.




Qui est Marco Micone


Marco Micone est né à Montelongo en Italie. Il débarque à Montréal en 1958 à l'âge de 13 ans, accompagnant sa mère et son frère plus âgé. Ils viennent rejoindre son père, qui est à Montréal depuis déjà sept ans. Micone aime à raconter que l'école Saint-André-Apôtre dans le quartier Ahuntsic de Montréal aurait refusé son inscription et celle de son frère. Il termine son primaire dans une classe française de l'école italienne Saint-Philippe-Benezi, puis il fait ses études secondaires au Pius 10 Comprehensive High School, une école catholique anglophone, fréquentée très majoritairement par des enfants d'immigrants italiens. Il choisira d'étudier les littératures québécoise et française au collège Loyola, dans l'ouest de l'île de Montréal, puis il obtiendra sa maîtrise à l'Université McGill, en 1971. Son mémoire porte sur l'œuvre du dramaturge québécois Marcel Dubé. Par la suite, il enseignera l'italien au Collège anglophone Vanier. Il a deux enfants, qu'il inscrira à l'école Saint-André-Apôtre, celle-là même qui l'avait refusé à son arrivée au pays.


Pendant les années 1970, il milite pour un Québec français et il se joint au Parti Québécois. Le thème majeur de son œuvre est la lutte contre l'intolérance ethnique et linguistique. Il s'intéresse au dialogue interculturel, particulièrement entre les Italo-Québécois et le reste de la population québécoise, nous informe le site Wikipédia. Soulignons qu’il se garde bien de présenter cette relation italo-québécoise comme idyllique et harmonieuse. Dans un texte, paru dans Le Devoir du 16 novembre 2011 et intitulé « Le parcours cahoteux des italophones en sol québécois », Micone évoque d’ailleurs l’émeute de Saint-Léonard (1969).




Des affirmations contestées


Dans une chronique parue dans l’aut’journal (« Les Italiens préfèrent toujours l’anglais », 13 décembre 2011), Charles Castonguay remet en question plusieurs des affirmations de Micone dans son texte sur « le parcours cahoteux des italophones ». Il rappelle – en s’appuyant sur une étude de la Commission Gendron – qu’au début des années 1950, la moitié des enfants d’origine italienne inscrits à la Commission des écoles catholiques de Montréal étudiaient en français. Cela laisse entendre qu’en général, les écoles françaises de la CÉCM ne refusaient pas les jeunes Italiens. Au début des années 1960, cette proportion avait fondu à 28 %. Castonguay en tire la conclusion qu’« il semble bien qu’ayant constaté que la langue d’avancement socioéconomique à Montréal était plutôt l’anglais que le français, un nombre croissant de parents italiens choisît d’inscrire leurs enfants à l’école anglaise ».


Après avoir passé en revue les données des recensements depuis 1961, le mathématicien contredit Micone qui prétendait dans son article que la langue d’assimilation préférée des italophones était toujours le français. « Les résultats signalés pour la population italophone (langue maternelle) en 2006, tous âges confondus, laissent voir, écrit Castonguay, que parmi ceux qui ont adopté soit l’anglais, soit le français comme langue d’usage à la maison, 76 % ont préféré l’anglais contre 24 % pour le français. Parmi les moins de 45 ans, la préférence pour l’anglais s’élève à 87 %. Chez les moins de 15 ans, elle atteint 90 %. »


L’erreur de Micone provient, selon Castonguay, de sa définition du terme « italophones ». « C’est en présentant comme ‘‘italophones’’ la totalité des 300 000 Québécois qui se sont dits en 2006 d’origine italienne que Micone induit les lecteurs en erreur. Ils sont loin de tous être des ‘‘italophones’’, en ce qu’un grand nombre sont des descendants d’italophones assimilés, mais qui n’ont jamais eux-mêmes appris l’italien. Le recensement de 2006 n’a énuméré que 191 000 Québécois capables de parler l’italien – d’ailleurs pas tous d’origine italienne. Et il n’a énuméré que 124 000 personnes de langue maternelle italienne. Ce sont ces derniers qu’on qualifie habituellement d’''italophones’’ », précise le chercheur.




De langue maternelle à langue fraternelle


Marco Micone allait répliquer quelques années plus tard (« La colère d’un immigrant », Le Devoir, 3 mars 2017) en attaquant les « croisés de la langue » et le critère même de « langue maternelle ». Il écrit : « L’objectif de la loi 101 était de faire du français langue maternelle une langue fraternelle. Dans une société pluriethnique comme la nôtre, l’utilisation du critère de la langue maternelle, dans les enquêtes sur l’état du français, fait le jeu des alarmistes et perpétue l’image de l’immigrant comme menace. C’est éthiquement inacceptable ».


À tous ceux qui croyaient et croient toujours que l’objectif de la Loi 101 était de faire du français la « langue commune », le message de Micone est le suivant : Vous faites fausse route. Vous êtes atteint de la « xénophobie sournoise des croisés de la langue ».  Vous en « demandez trop au français ». Vous croyez que le français est « le synonyme de notre culture et de notre identité » ? Détrompez-vous, « il n’en est qu’un aspect ». Vous soutenez que le français est « porteur d’une vision du monde » ? Erreur ! « La même vision du monde peut être exprimée en plusieurs langues », affirme Micone.


Dix ans auparavant, dans un texte paru dans Le Devoir, (« Nous, les Québécois », 28 novembre 2007), il soutenait déjà cette thèse que « Nous, les Québécois n’avons pas que le français comme langue identitaire » en développant ses applications à la littérature. « Par littérature québécoise, il faut entendre la somme des oeuvres littéraires produites par ces communautés, qu'elles soient écrites en français, en anglais ou dans l'une ou l'autre des langues autochtones », affirme-t-il.


« Par conséquent, enchaîne-t-il, l'utilisation du français comme seul critère équivaudrait à plus ou moins ethniciser la notion de littérature québécoise et à faire fi de notre identité fondée sur des valeurs civiques et sur l'appartenance à un territoire ». Et de conclure que « nous, les Québécois, sommes désormais aussi diversifiés que notre littérature ».


On ne voit pas trop pourquoi l’utilisation du français comme seul critère s’oppose aux valeurs civiques et à l’appartenance à un territoire et qu’elle équivaudrait à un « nationalisme ethnique » xénophobe. Comme nous l’avons documenté dans notre livre Dans quel camp êtes-vous? (Éditions du Renouveau québécois), nous nous sommes démarqués, lors de la Révolution tranquille, de cette vieille conception du nationalisme ethnique des Canadiens français coast-to-coast. Désormais, avons-nous alors proclamé, la nation québécoise a une langue, une culture, une histoire, une vie économique et un territoire qui lui sont propres. Conséquemment, notre littérature nationale a non seulement une langue, le français, mais également un territoire, le Québec. Et elle comprend des auteurs comme Dany Laferrière, Sergio Kokis… et Marco Micone, qui écrivent en français et publient au Québec. Mais elle n’inclut pas, par exemple, Mordicai Richler. Cela n’enlève rien aux qualités littéraires des œuvres de ce dernier, mais elles appartiennent à la littérature canadienne-anglaise. Tout comme les œuvres des écrivains autochtones s’inscrivent dans la littérature des nations autochtones.



Un emprunt à Ernest Renan


L’approche de Marco Micone s’inscrit dans le courant du « nationalisme civique ». Elle propose une approche basée sur le « vouloir vivre ensemble ». Dans son texte de 2007, Marco Micone utilise cette notion passe-partout du « vivre ensemble » pour contextualiser son propos. Il écrit que « dans la région de Montréal surtout, on assiste à une cohabitation cosmopolite à la fois harmonieuse et diversifiée reflétant à la fois le ‘‘vouloir-vivre ensemble’’ et l'hétérogénéité autant de la communauté d'accueil que de la population immigrante ».


Le fait de vouloir substituer le « vouloir vivre ensemble » à la langue commune dans la définition de la nation n’est pas un phénomène nouveau. C’était la position développée par Ernest Renan dans son célèbre texte Qu’est-ce qu’une nation? paru en 1882.


« Une nation, écrivait Renan, est une âme » constituée de deux choses : « L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble ». Aujourd’hui, nos partisans du « vouloir vivre ensemble » n’ont que faire de l’héritage commun, mais ils aiment bien citer cette phrase de Renan selon laquelle « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ».


Il est compréhensible que Renan n’ait pas retenu la langue comme critère de la nation. Son texte a été écrit pour réclamer le rattachement de l’Alsace-Lorraine à la France plutôt qu’à l’Allemagne, malgré la présence d’une population en majorité germanophone de naissance. « Il y a dans l’homme, écrivait Renan, quelque chose de supérieur à la langue : c’est la volonté. » Dans le cas précis qui l’intéressait, c’était la volonté présumée des habitants de l’Alsace-Lorraine à faire partie de la France plutôt que de l’Allemagne. On se rappellera que l’Alsace-Lorraine a été annexée par l’Allemagne en 1871 et qu’elle subira trois autres transferts de souveraineté, en 1919, 1940 et 1945, sans jamais la moindre consultation de sa population.



La langue d’usage public


Contrairement à Renan, Marco Micone et les partisans du « vouloir vivre ensemble » ne peuvent totalement faire abstraction de tout référent linguistique. Ils se sont donc rabattus sur le concept de langue d’usage public et ils ont écarté les données lourdes de langue maternelle et de langue d’usage sur lesquelles se basent depuis toujours les démographes pour mesurer la vitalité d’un groupe linguistique.


La langue d’usage public est un concept fumeux d’une langue sans racines, dont nous devrions pourtant être les premiers, nous Québécois, à savoir combien fragile il peut être. Les plus âgés se souviendront de cette époque pas si lointaine alors que la langue d’usage public était l’anglais pas seulement dans les grands magasins de Montréal, mais dans tous les domaines de la vie publique, malgré une population très majoritairement francophone. Une situation qui est toujours la norme dans la plus grande partie du West Island. La plupart d’entre nous ont également expérimenté des situations où la présence de quelques unilingues anglophones – parfois même un seul – amène un groupe composé majoritairement de francophones à passer à l’anglais comme « langue d’usage public ».


Aussi, avec le recul démographique des francophones sous la barre des 50 % sur l’île de Montréal, il n’est pas exagéré de craindre que la langue d’usage public bascule en quelques années du français à l’anglais, étant donné la pression extraordinaire qu’exercent le marché du travail, les médias de masse et l’environnement nord-américain en faveur de l’anglais.



Le « Speak What » de Marco Micone


Dans son livre La Grande Déception (Édition Somme Toute), Francis Boucher a choisi de coiffer chacun des chapitres par une strophe du poème de Marco Micone Speak What, qui se voulait, selon l’auteur, une « mise à jour » du poème Speak White de Michèle Lalonde, dont nous avons célébré le 50e anniversaire en 2018. Au moment de sa parution en 1980, le Speak What de Micone a été reçu par les indépendantistes comme « un crachat au visage », selon les mots de Gaétan Dostie, directeur des Éditions Parti Pris (1976-1984) et prisonnier politique lors des Événements d’Octobre 1970. Pour Gaétan Dostie, Micone réduisait « un texte fondateur et révolutionnaire à un ‘‘n’importe quoi’’ ». Dans le texte qu’il a fait paraître lors du 40e anniversaire de Speak White, Dostie écrit :


« D’une injure que des marchands arrogants nous lançaient, surtout dans l’ouest de Montréal, quand nous nous adressions à eux en français : ‘‘Speak white’’, d’où est né le « nègre blanc », d’un « white » qui a un sens colonial même, arrivait ce non-sens, cette négation de sens, une anecdote locale, ce rien : ‘‘what’’ ! D’un texte qui est un appel à la liberté, le voilà réduit à un texte ‘‘d’intégration’’. D’une solidarité universelle qu’appelle le texte de Michèle Lalonde, Marco Micone ramène ça à un problème de coloniaux qui sont ridiculement encore pris avec un problème de ‘‘White’’ ». Dans le même texte, Dostie nous apprend que Michèle Lalonde a refusé que son poème soit repris dans une publication où figurait le texte de Micone. Elle a même rompu avec son éditeur quand il est devenu celui de Micone !


Avec ces mots :


Vous souvenez-vous des vacarmes des usines

And of the voice des contremaîtres

You sound like them more and more


le texte de Micone était annonciateur d’un retournement de sens majeur et d’un révisionnisme historique, bien présent aujourd’hui, qui transforme les « nègres blancs » d’hier en suprémacistes blancs, des colonisés d’hier en colonisateurs, d’une nation opprimée une nation oppressive, effaçant au passage la Conquête britannique et 260 ans d’histoire.


Le texte qu’il a fait paraître, ce 12 juin 2019, dans Le Devoir s’inscrit dans la même trajectoire.